Après cette halte au milieu des cow-boys et de la horde de chevaux, - halte qui suscite aussi une profonde réflexion sur la vieillesse et sur la mort des animaux et des humains -, Dylan retrouve son sang Cherokee, grâce au vieil Indien Joseph. Rebelle mais humble, il va jusqu'à partager la marche des bannis, le sort humiliant de ses frères de race emmenés, une fois de plus sur "le chemin des larmes", vers une réserve Comanche, plus au nord, mais désertique et sans espoir.
Un peu de réconfort lui vient de la belle Wahika dont il tombe amoureux. Mais le combat couve depuis trop longtemps entre Blancs et Indiens, ces derniers seront nombreux à mourir pour une révolte d'honneur. Dylan ne peut accepter de partager plus longtemps le rôle passif des survivants, malgré Wahika, dont l'amour reste sans lendemain, puisque le personnage-clé d'une série ne peut ni s'attacher, ni mourir ! (Raymond Perrin, Dylan Stark 2, Lefrancq, 1998).
Il était assis dans les caillasses, absolument immobile, enroulé dans sa couverture pelée, grise comme la roche.
Les jours précédents, les dieux avaient lavé le ciel : dernière toilette avant bien longtemps.
La terre, toute fendillée, crevassée comme une peau de vieillard, buvait l'onde bien vite. L'eau coulait en rus éphémères le long des pentes, comme une sueur. Sans trouver le temps de s'alanguir en flaques.
La terre avait grand soif.
Pourtant, les terres étaient encore craquantes, et la course d'une bande de coyotes, quelques minutes après l'averse, élevait un long sillage pulvérulent. Mais elles avaient bu. Alors, on vit pointer le nez des herbes, tendres, fragiles, visiteuses inquiètes et paisibles dans un pays ou la poussière et l'air sec tuaient comme la peste.
L'herbe se décida brutalement : un matin, elle fut là. Partout. Sur les plaines, les éboulis de roches, au bord des ruisseaux et des pistes. Elle était folle et ivre. Un peu plus tard, le maïs leva dans les champs. Il leva très tôt, sur les terres grises.
L'homme était assis, immobile, au bas du grand éboulis. Il tournait le dos aux collines lointaines. A sa gauche, la paroi grimpait, caillouteuse, hérissée de touffes jaunâtre : elle montait haut, douce mais franche, pour se terminer sur rien, dans une grande pelade. L'ombre était sur la pente, étalée en bleu.
Dylan Stark eut un frisson. Derrière lui, dans le maquis profond, son cheval secoua la tête avec impatience, faisant cliqueter ses mors. Dylan fronça les sourcils et rejoignit silencieusement l'animal.
- Apache…murmura-t-il doucement.
Il lui caressa le front, gratta le toupet raide entre les oreilles. Une nouvelle fois, le cheval secoua la tête : il ne comprenait pas cet arrêt soudain en pleine brousse.
- Allons, murmura encore Dylan.
Son visage aux traits anguleux était grave. Dans la fraîcheur du matin, son teint mat de métis avait pris une couleur cendrée. Il cessa de caresser le cheval, remonta le col de sa veste. Il se coula de nouveau vers le taillis, laissant derrière lui une trace sombre très visible dans l'herbe lourde des larmes nocturnes. L'homme était toujours là, pareil, assis dans le " val ", au beau milieu du passage, à cent yards environ. C'était un vieux. D'ou il se trouvait, Dylan pouvait apercevoir aisément la chevelure blanche encadrant la tache sombre du visage. Un vieux, immobile, enroulé dans une couverture incolore. Le premier Indien que Dylan Stark rencontrait sur l'Indien Territory, depuis qu'il avait quitté Fort Gibson, là-haut dans le Nord, une quinzaine de jours plus tôt.
Durant ces quinze jours de marche sur la piste à peine tracée, parmi les coteaux et les boqueteaux maigres, Dylan n'avait cessé de penser à ces indiens de la Rivière Rouge… ces Cherokees parqués là depuis 1838, depuis la grande Piste des Larmes ; ces Cherokees dans les veines desquels coulait un sang pareil au sien…
Dylan avait appris beaucoup de choses pendant les quelques jours de halte à Fort Gibson. On lui avait dit, là-haut, que les Rouges bougeaient, un peu partout en Louisiane Inférieure. C'était comme un vent de sable soulevé brutalement.
Le couard, c'est celui qui, dans une situation périlleuse, pense avec ses jambes (Ambrose Bierce).
1968 - Le Courrier de l'Escaut - Pilote - Bulletin de la Société belge des professeurs de français
Tournai, 26 mars 1968
Depuis qu'il a remporté le Prix des Treize, Pierre Pelot commence à être apprécié par les critiques aussi bien que par ses lecteurs, de plus en plus nombreux et fidèles. On sait maintenant que chaque nouveau livre de cet écrivain de 22 ans est un événement. Jamais il n'utilise les recettes de la facilité. C'est du neuf, et du meilleur, qu'il propose, et c'est toujours un enrichissement que l'on en retire.
La Marche des bannis nous remet en mémoire les longues théories d'Indiens qui furent déportés de territoire en territoire, dans des conditions incroyables et sous les prétextes les plus divers. C'est une page tragique de l'histoire des Cherokees, le peuple de Dylan Stark, que Pelot écrit cette fois. Les Blancs ont besoin des terres où la tribu est installée, selon les termes de la promesse faite : "tant que couleront les eaux". Dès lors, on envoie des détachements dans la réserve pour mener les clans vers les horizons désertiques de ce qui deviendra, plus tard, l'Oklahoma. Un des clans refuse de partir, de quitter le sol où les cultures maigres ont coûté sang et sueur, où la plupart sont nés. Seuls quelques vieux se souviennent encore de ce que fut la première "piste des larmes" et ne tiennent pas à recommencer un exode au cours duquel beaucoup mourront de faim, de soif, de fatigue, de mauvais traitements. Stark, fidèle à la mémoire de son père Cherokee, se joint à eux qui sont "de son sang". Une troupe de plus de cent soldats viendra les obliger à partir. Les plus durs ont quitté le clan pour se retirer dans les collines. Leur but est de harceler la petite troupe. La plupart ont décidé de se taire en signe de résistance. C'est Stark qui parlera pour eux, qui s'adressera - en vain d'ailleurs - à l'officier qui commande la troupe. Jusqu'au bout, il tentera de faire entendre raison à ces hommes qui sont souvent de bonne volonté, mais déformés par les habitudes, le racisme, le mépris. Pelot nous entraînera, à la suite du terrible cortège, au cœur même du calvaire qui mènera quelques-uns de ces Cherokees dans une nouvelle réserve, vers une maigre survie.
23 mai 1968
Le dernier Pierre Pelot - car pour ce garçon de 22 ans qui a déjà publié, je crois, une quinzaine de titres, on peut dire désormais le dernier Pelot comme on dit le dernier Simenon - ce dernier, disais-je, s'intitule : La Marche des bannis. C'est un morceau d'histoire racontant la déportation de la tribu des Cherokees et le comportement généreux et courageux de son héros Dylan Stark dont le père était Cherokee. Un récit sain et nerveux. Il vous ouvrira une fenêtre sur un monde rude et captivant.
Bulletin de la Société belge des professeurs de Français
S.d.
Qui est Pierre Pelot ? Je ne sais ! Un jeune auteur né en 1945, lauréat d'un prix littéraire pour la jeunesse, mais que ces histoires méritent d'être conseillées aux jeunes lecteurs pour la chaleur humaine qu'il y développe, pour l'esprit de solidarité et de justice auquel il aspire, pour une mise au point historique que courageusement il entreprend. "L'Indien est un obstacle à la civilisation, il doit être exterminé", cette phrase du major Jacob Downing exprimée en 1838 sert d'exergue au récit.
Dans cette huitième aventure de Dylan Stark, métis d'un père Cherokee et d'une mère européenne, Pierre Pelot puise à nouveau dans l'histoire des États-Unis qui à cette époque s'illustrait par le génocide et le racisme.
Peu d'années après la Guerre de Sécession, devant la nécessité de donner des terres de culture et d'élevage à de nouveaux immigrants, les autorités fédérales chargent les troupes et les agents des Affaires indiennes de parquer les tribus Cherokee dans de nouvelles réserves. La tribu de Loup Jaune est la dernière à quitter ses maigres champs de maïs. Ses hommes se divisent : les uns, surtout des vieux et des tout jeunes, veulent combattre pour ne pas subir l'humiliation, les autres acceptent le bannissement vers de nouvelles terres moins fertiles car ils veulent la paix. Après de nombreuses péripéties, les survivants de la marche forcée arriveront dans la réserve.
Pierre Pelot fait de l'anti-western : pas de plumes de guerre, pas de chevauchées orgueilleuses, pas de sauvages, pas de justicier, mais des hommes déguenillés, silencieux, buttés dans leur souffrance avec des éclairs de chaleur humaine, qu'ils soient blancs, qu'ils soient rouges. Cette démystification permanente n'empêche pas le lecteur de subir le charme de ce récit raconté par des yeux de Peau-Rouge, récit dans lequel la poésie apparaît à chaque page dans de brèves images ou dans l'emploi d'expressions qui imitent les légendes de la Grande Plaine. "Puis les hommes d'où le jour paraît sont venus, et c'est pour cela qu'ils sont blancs, car le soleil n'a pas encore chauffé suffisamment".
Les Cherokees qu'il décrit me rappellent les Shoshones que connut mon père et qui furent pour moi le sujet de nombreux récits oraux au temps où la télévision n'existait pas et la radio était un luxe. Je comprends maintenant pourquoi les organisateurs de l'émission radiophonique La Pensée et les Hommes lui consacrèrent une demi-heure en décembre 1967.
Voici déjà quinze récits honnêtes, humains que nous devons recommander aux jeunes lecteurs dès la première année de l'Athénée ou du Lycée. Pour les professeurs chargés du cours de morale, voici quinze récits (tous publiés chez Marabout) qui méritent de figurer dans la bibliothèque de la classe comme illustrations des principes de justice, de tolérance, de fraternité, que nous devons inculquer à nos élèves.
P.S. L'éditeur ou l'auteur ne pourrait-il prévoir un lexique des termes de la langue peau-rouge utilisés dans ces récits ?
Page créée le vendredi 19 avril 2002. |