Articles parus dans la presse nationale
Bifrost, janvier 2004, Claude Ecken
Le Magazine littéraire, décembre 2003, Anne-Marie Koenig
L'Humanité, 23 octobre 2003, Guillaume Chérel
Télérama, 11 octobre 2003, Michel Abescat
Le Point, 10 octobre 2003, François Nourissier
Lire, octobre 2003, Christine Ferniot
Le Monde des livres, 26 septembre 2003, Josyane Savigneau
L'Express, 18 septembre 2003, Daniel Rondeau
Libération, 18 septembre 2003, Frédérique Roussel
Le Figaro littéraire, 11 septembre 2003, Olivier Delcroix
Journal du Dimanche, 24 août 2003, Hubert Prolongeau
Le Nouvel Observateur, 21-27 août 2003, Jean-Louis Ezine
Livres Hebdo, 4 juillet 2003, Jean-Maurice de Montremy
Articles parus dans la presse régionale
N° 33, janvier 2004. Claude ECKEN, pages 86-87
Voici donc ce roman qui a connu une si longue gestation, écrit sur deux ans mais déjà bénéficiaire d'une bourse à la création en 1994 afin de mener les recherches nécessaires. Il ne s'agit pas de SF, bien que cette Lorraine du XVII° offre un dépaysement et un exotisme au moins aussi grands que l'exploration d'une autre planète. Il ne s'agit pas non plus de fantastique, même si le roman s'ouvre sur un procès en sorcellerie minutieusement conté, observé par les mentalités de l'époque, et se poursuit par une impressionnante descente aux enfers. Il s'agit simplement d'un roman de Pelot, d'un grand roman où l'on retrouve toutes les qualités de l'auteur, un récit d'une extrême noirceur où surnagent cependant des îlots de tendresse : Dolat, né pendant la captivité de la supposée sorcière, échappe à la mort et devient le filleul d'adoption d'Apolline, une fillette de haute lignée éduquée par les religieuses de Remiremont. Mais la belle marraine qui déniaise le "fils du Diable" à son adolescence l'entraîne dans ses intrigues coupables : ayant cherché à se débarrasser de la mère supérieure qui a aboli certains privilèges des religieuses par des maléfices auxquels elle a associé Dolat, elle fuit avec lui dans la montagne habitée par des "myneurs" et des "forestaux" vivant en marge de la société et des juridictions locales. Les péripéties, et elles sont nombreuses, qui ont jusqu'ici émaillé la vie de ces deux personnages, ne sont rien en comparaison des épreuves qui les attendent. Ce cortège de malheurs où l'humain descend toujours plus bas sans jamais toucher le fond atteint son point culminant lors des sanglants épisodes de la guerre de Trente Ans.
Parallèlement à cette intrigue, Lazare Grosdemange, grand reporter récemment victime d'une crise cardiaque qui l'a rendu partiellement amnésique, se penche sur ses origines jusqu'à ce que ses recherches croisent les événements dont ses ancêtres furent les acteurs. Travail de mémoire pour retrouver des bribes de sa vie, mémoire du passé : la double quête rejoint celle de l'identité. Cette préservation de l'oubli est également à l'œuvre quand Apolline entreprend d'écrire sa vie. Pelot, pour qui écrire, c'est respirer, souligne bien les vertus identitaires de l'écriture, a fortiori si elle est biographique (ce qu'est en partie ce roman) : "Parce que l'écrire, c'était admettre. Qu'admettre c'était donc exister…"
On n'avait pas lu pareille fresque depuis longtemps. Pierre Pelot a magnifiquement restitué le moindre détail de cette sombre période, en effectuant notamment un impressionnant travail sur le langage, qui intègre les mots d'alors dans un phrasé très contemporain. C'est un torrent de mots qui roule, dévale et ravine, un torrent qui n'est pas fait d'une eau pure comme les phrases filtrées pour éliminer les redondances, choisir les expressions et peser le sens des mots, mais une eau de terre et de pierres mêlée, qui charrie un vocabulaire glaiseux encore mal dégrossi de sa gangue originelle, des gravillons de patois crachés avec un accent rocailleux, des expressions profondément racinées dans le rude quotidien du lieu et de l'époque, des tournures anciennes immergeant dans ce passé révolu le lecteur ballotté comme un fétu, tournures qui se succèdent tumultueusement le long d'infinis déroulement de phrase, virevoltant et tourbillonnant dans le flot furieux des pensées cherchant à se fixer comme des branchages qui s'accrocheraient sur une berge ou un tronc flottant qui se coincerait entre deux rocs de certitude, revenant avec obstination sur l'image, l'idée, la scène, pour les mieux préciser, à coups d'adverbes et d'adjectifs qui sans cesse nuancent, corrigent, retouchent ou redressent l'impression première, avec l'impossible mais convaincant et sinon séduisant projet de réaliser par ces patientes touches impressionnistes une fresque hyperréaliste qui restituerait la trame et la texture même de ce monde éteint, afin de témoigner que c'est ainsi que les hommes vivent.
Ce roman n'est pas un chef-d'œuvre de plus de Pierre Pelot : c'est son chef-d'œuvre !
Décembre 2003, N° 426, p. 72. Anne-Marie KOENIG
Les Livres du mois
C'est ainsi que les hommes vivent
Remiremont, dans les Vosges. En ce tout début du xviie siècle les ducs de Lorraine et les chanoinesses de l'abbaye se partagent la main haute sur les terres, la guerre de Trente Ans n'est pas loin. Une belle horreur : plus de la moitié de la population exterminée, des villages entiers rasés de la carte. Sur les répandisses des montagnes, se cramponnent des froustiers, des charbonniers, des myniers, des coquefredouilles, des escornifleurs. Mais là n'est pas l'histoire, du moins pas toute.
Cette époque-là, avec tout son hourvari, ses gueuseries, chasses aux sorcières, manants d'une [...]
23 octobre 2003. Guillaume CHEREL
La légende de l'ogre vosgien
C'est ainsi que les hommes
vivent,
une saga vosgienne.
Pierre Pelot, l'auteur de la fresque préhistorique Sous le vent du monde, livre sans doute son chef-d'œuvre.
Si un auteur français mérite le vocable d'écrivain, c'est bien lui. Pierre Grosdemange, porte bien son nom. Plus connu sous son nom de plume, Pierre Pelot est un ogre de la littérature. Jamais, au contraire d'une légion de collègues "écriveurs" qui pondent le même roman une fois l'an, il n'a écrit le même livre. Non content d'avoir écrit 185 ouvrages, en trente ans, dans des genres aussi divers que la SF, le polar, le western, le conte pour enfant, le roman préhistorique, il vient de publier le plus gros livre de la rentrée littéraire (1 100 pages), C'est ainsi que les hommes vivent. Si ce n'est son chef-d'œuvre, son grand oeuvre écrit avec ses tripes et celles de ses ancêtres de la vallée des Vosges.
Pelot rêve de cette fresque vosgienne depuis une vingtaine d'années. Il lui a fallu deux ans pour l'écrire. Sans retour en arrière, sans se relire, comme s'il était envoûté, habité par un scribe revenu du "temps longtemps", comme on dit en créole réunionnais. Une saga qui va de la guerre de Trente Ans à aujourd'hui. Irracontable dans le détail, tant la matière est riche. Un travail sur la langue et la mémoire, qu'il s'est décidé à écrire après son accident cardiaque de 1999. Lui, le fils de bûcheron à la mine patibulaire (barbu, poilu, tatoué), mais à l'oeil rieur, qui a failli laisser sa peau d'avoir trop travaillé sur une autre fresque, préhistorique cette fois, Sous le vent du monde, admirée mais qui n'eut pas le succès qu'elle méritait. Plutôt que de se reposer, comme l'enjoignait sa femme et ses amis, il s'y est remis avec plus de cœur encore.
Il y a deux histoires en une. Celles de Lazare Grosdemange, double de l'auteur, journaliste et grand voyageur revenu chez lui au pied du ballon d'Alsace, après un accident cardiaque survenu en 1999. Dans sa quête pour retrouver la mémoire, il s'intéresse aux origines de son grand-père, né dans la vallée des Vosges. Ainsi commence une deuxième histoire, celle de Dolat "fils du diable", rejeton d'une paysanne que l'on accuse de sorcellerie pour n'avoir pas voulu céder aux avances des hommes. Nous sommes au début du XVIIe siècle. Après avoir accouché dans des conditions atroces (un moment d'anthologie), elle est brûlée vive. Dolat est recueilli par les religieuses de Remiremont. Avant d'être "adopté" par Apolline, demoiselle de haut lignage, qui deviendra sa maîtresse. Avec elle, il fuira les intrigues qui secouent le duché de Lorraine et trouvera refuge chez les "forestaux" et autres "myneurs" de Bourgogne.
Plus qu'un travail "exotique" sur la mémoire et la description des guerres de religion, ou des us et coutumes à l'époque des gueux plein de "misayres", c'est le jeu sur le vocabulaire et la langue qui fascine. Un langage qui croustille, bouillonne, enfle, serpente, écume, charrie, laboure, résonne, plie, éclate, s'arc-boute, casse, glisse, résiste, gonfle, et donne à voir et sent la poudre et la sueur et la boue. Une matière vivante, formée et déformée par un sculpteur de mots halluciné. Un peintre des lettres, un charpentier de l'être. Pierre Pelot est un maître artisan. Pas un artiste, ni un intellectuel. Un manuel du verbe. Un alchimiste des mots.
N° 2804, 11 octobre 2003. Michel ABESCAT
Rencontre avec Pierre Pelot, auteur de C'est ainsi que les hommes vivent
L'écriture cannibale
Une fresque à l'ambition dévorante qui retrace quatre siècles d'histoire vosgienne.
On a pris le train à la gare de l'Est, lesté des 1 100 pages de cette extraordinaire épopée qu'on a dévorée en trois jours : C'est ainsi que les hommes vivent, un des joyaux de cette rentrée, superbement ignoré par les Goncourt (mais qu'importe !). Dans le wagon, on brasse tous les clichés qui courent sur son auteur, Pierre Pelot, l'homme aux 180 romans, l'ermite de la forêt vosgienne. A Nancy, un tortillard nous conduit jusqu'à Remiremont, où se déroule une bonne partie du livre. Là, on saute dans un taxi, seul moyen de gagner le village de Saint-Maurice, près des sources de la Moselle, où l'auteur est né il y aura bientôt cinquante-huit ans. Quelques tours et détours, histoire de trouver le chemin, planqué dans les arbres, et voilà la maison, solide bâtisse de pierre et de bois, chaleureuse et confortable... Cinq minutes plus tard, chaussures de marche enfilées vite fait, on arpente la forêt environnante en compagnie de l'écrivain.
Sacré bonhomme en effet. Silhouette de flibustier, retour de mille tempêtes, visage raviné, enneigé par la broussaille des cheveux et des sourcils. Et incroyable sourire de gosse. C'est d'ailleurs de l'enfance que l'on parle en crapahutant sur le chemin. De cette ancienne carrière à l'écart du village où il venait jouer aux Indiens avec ses copains à l'époque, ils l'appelaient le Wyoming et où plus tard il a construit sa maison. De la vie qui paraissait alors toute tracée pour ce fils de menuisier et de tisserande. Certif, centre d'apprentissage : emballé, c'est pesé, il serait électricien. Sauf qu'il s'y est opposé. Tout net. Lui, il voulait continuer à jouer avec ce qu'il avait dans la tête. Raconter les histoires qu'il s'inventait quand il était môme. Et ce n'est pas un hasard si ses premiers romans sont des westerns : une bonne trentaine publiés dès l'âge de 20 ans. J'avais trouvé le chemin de ma fuite. Et j'ai vécu toute ma vie comme ça. Je suis un évadé que la police ne recherche pas.
Une fuite par l'esprit, car l'homme n'apprécie guère les voyages. Pourquoi se déplacer quand on pense, comme lui, que les histoires sont là, à portée de la main ? Qu'elles flottent dans l'air, au-dessus des chemins, à la cime des arbres, dans la mémoire des choses, comme autant de présences invisibles. Et qu'il suffit de savoir les entendre. Une conviction dont on trouve un écho dans Natural Killer, un de ses meilleurs romans, qui met en scène un écrivain qui lui ressemble comme deux gouttes d'encre : Ce que les gens ne comprennent pas, encore moins que le reste, c'est que les histoires sont vivantes, dangereuses, fascinantes, et qu'elles rongent ceux qui tentent de les approcher de près...
On est rentré entre chien et loup retrouver Irma, sa femme, et Dylan, son fils, pour un pot-au-feu de tous les diables. Plus tard, dans le cocon de la nuit, on s'est remis à parler du travail de l'écrivain, de tous ces romans qu'il a écrits, toutes ces histoires qui l'ont rongé, science-fiction, polars, fantastique, de sa fameuse saga Sous le vent du monde, dont l'action se situe à l'aube de l'humanité. Du banquier aussi, qu'il a fallu si souvent rassurer quand les droits d'auteur se faisaient attendre, de la table de travail à laquelle il s'est longtemps arrimé dix heures par jour, du corps à corps avec le texte qui le laisse parfois physiquement anéanti. Vous voulez savoir à quoi elle ressemble, la putain d'existence de ce type qui crache ses romans ? demandait le héros de Natural Killer. Elle n'existe pas, sa vie, en dehors de l'écriture. Il utilise tout son temps, tout son souffle, à la mettre en pièces et en place sur le papier. Le mieux possible. Ne reste rien. Quand on se couche, il est très tard. Profitant de la nuit, la forêt s'est approchée encore plus près de la maison. Jusqu'à lécher les fenêtres.
Au matin, la lumière a tout balayé. Assis dans le jardin, on évoque le bonheur de l'écrivain quand les phrases se mettent à venir toutes seules, quand les mots sonnent justes, quand les épisodes s'emboîtent à la perfection. Les chats il y en a quatre s'installent tranquillement sur nos genoux... et sur le dernier livre du maître de maison, C'est ainsi que les hommes vivent. Vingt ans qu'il y pensait, Pierre Pelot, à ce roman. Raconter, sur quatre siècles, l'histoire de sa vallée et des gens qui l'habitent. Faire surgir cette mémoire dont il est pétri, mettre en évidence cette continuité entre les générations, ces constantes de l'humaine condition qui font que la vie au XVIIe siècle n'est finalement pas si différente de celle d'aujourd'hui.
Ce sont les personnages qui sont venus, d'abord. Apolline d'Eaugrogne, chanoinesse de l'abbaye de Remiremont. Et Dolat, fils d'une paysanne brûlée pour sorcellerie, qui va avoir le malheur de s'éprendre de cette dame à laquelle il ne devrait jamais avoir droit. Ils se rencontrent dans la Lorraine du début du XVIIe siècle secouée par les intrigues locales et les horreurs de la guerre de Trente Ans, que Pelot fait revivre avec une force singulière. Et croisent, par-delà les siècles, le destin de Lazare Grosdemange, journaliste parisien revenu à la fin de 1999 dans ses Vosges natales pour enquêter sur les racines de sa famille...
Où va le passé quand il est passé ? Pierre Pelot aura mis vingt ans pour dérouler le fil de son récit. Et deux de plus pour l'écrire. Etonné parfois de ce qui lui arrivait, quand ses personnages s'imposaient soudain à lui. Comme s'il était le premier témoin de l'histoire qu'il était en train d'imaginer. Est-il besoin de préciser que le résultat est exceptionnel ? Ecrit à hauteur d'homme, brûlé par un souffle à nul autre pareil, inspiré, visionnaire, C'est ainsi que les hommes vivent est porté par une langue d'une richesse remarquable. La voilure gonflée de termes empruntés au français ancien, la phrase nous fait pénétrer comme rarement dans l'esprit du temps qu'elle évoque, file toujours juste dans les dialogues, avant de s'emporter souvent en longues vagues hallucinées, au diapason de la violence qu'elle met en scène.
Quand vient l'heure de se séparer, Pierre Pelot se souvient d'une image qui a commencé à envahir ses rêves. Ses personnages marchent sur un chemin montant. Parvenus au sommet, ils vont bientôt entamer la descente, de l'autre côté du chemin, et disparaître à sa vue. Le laissant désemparé. Contrairement à ce qu'on imagine, glisse-t-il en confidence, les histoires ne vous nourrissent pas. Elles vous rongent, comme disait le héros de Natural Killer. Elles vous ôtent une partie de vous-même et vous laissent plein de trous...
10 octobre 2003. François NOURISSIER, de l'Académie Goncourt
La tentation du chef-d'œuvre
ROMAN C'est ainsi que les hommes vivent est un pavé de plus de mille pages et un beau défi que Pierre Pelot relève avec prouesse et panache.
Imposer au public un roman ? Oui, bien sûr, on le peut. Au moins peut-on le tenter. Nous voyons une opération de cette sorte se dérouler depuis la fin de l'été en faveur de Pierre Pelot. Le diable d'homme a surgi comme d'une boîte ; anar hyperactif, Bové de la littérature populaire, ensauvagé laborieux dans sa retraite vosgienne, Pelot s'est fait un nom auprès des minoritaires de la lecture : amateurs de fantastique, de préhistoire ; amateurs de langage, aussi, car l'invention verbale est une autre de ses spécialités. Et ça marche ? Eh bien oui, ça a l'air de marcher. Pelot nous balance un de ces pavés ! Les gens reçoivent sans broncher un bouquin de 1150 pages. Comment ne pas explorer le plus gros roman de la rentrée ?
C'est le droit de l'auteur, Fregoli polygraphe d'une fabuleuse fécondité (ne parle-t-on pas de 150, peut-être 180 livres publiés depuis 1965 - est-ce possible ?), de proposer ce qu'il considère comme son maître livre sous la forme d'un fleuve.
Mais c'est aussi le nôtre, de droit, peut-être même est-ce un devoir, de confesser dans un seul et même aveu le désarroi, l'incrédulité, l'admiration, la colère que nous inspire - selon les pages - cette inflation généralisée, cette surchauffe littéraire. Question sérieuse : cette crue, cette avalanche étaient-elles indispensables au propos de Pierre Pelot ? Était-ce ça ou rien ? A fausse question point de réponse. Si vous prenez un coup de chaleur (un coup de longueur ?), vous pouvez aller croquer en cachette cinquante pages de Patrick Besson (Tour Jade, chez Bartillat) : c'est l'antidote idéal. Quant à Pelot, il possède assez de savoir-faire, de singularité, de ruse pour imposer son travail par la vertu de ses excès mêmes.
Prouesse narrative ? Mais oui ! Pour risquer un camion dans les zigzags hystériques de la formule 1, il faut du culot ! De quelles armes Pelot dispose-t-il pour relever le défi qu'il s'est lancé à soi-même ? Disons : la déraison et la dérision langagières, le goût de la rareté lexicale, l'archaïsme (c'est ancien donc c'est beau), l'estimable passion d'infliger à la langue des tortures de sa façon. Ah, j'oubliais : le temps. Écrire vite, à l'économie, à la classique, doit lui paraître du gâchis. Lui, il prend son temps et même, si j'ose, il prend son pied à prendre son temps, à détailler la miniature au cœur de la fresque. Voyons cela de plus près.
Des miniatures au cœur de la fresque
Pour se faire un titre, Pelot a chipé un vers à Aragon et, d'une question, est passée à une affirmation. "Est-ce ainsi que les hommes vivent ?" demandait Argon. Oui, c'est ainsi, et Pelot nous annonce par ce simple changement de mode qu'il va nous parler de l'homme réel, de l'homme de chair et de sang, de guerre et d'humiliation. Il va nous raconter, nous montrer un homme, ou même deux, un homme coupé dans le temps (aux alentours de 1600 et de l'an 2000), mais rassemblé par la continuité géographique et sociale. Lazare, le journaliste accidenté et amnésique, et Dolat, fils d'une paysanne brûlée pour sorcellerie, sont nés natifs de la même vallée vosgienne : l'enquête du premier, qui cherche les secrets d'un des siens, va révéler la tragédie où Dolat fut emporté il y a quatre siècles. Un secret de naissance ? Mais oui, comme sur le boulevard du Crime. A Remiremont se trouvait un couvent, le chapitre des dames de belle et haute naissance. On y enfouissait des personnes et des souvenirs. C'est de ce côté là que Lazare déterrera les histoires interdites.
Les miniatures enfoncées au cœur de la fresque : on pourrait dire aussi les "scènes à faire". Pelot écrit large, vaste, surabondamment. Mais il ne résiste pas à la tentation de s'arrêter si un "désir de texte" le saisit. Ce goût du morceau de bravoure vaut au roman ses plus belles pages : le pillage des ruches, la tempête de 1999 et ses suites, un guet-apens, tous les abominables épisodes de violence et de mort dans la guerre de Trente Ans. Entre ces réussites, le voyageur languit un peu.
Le bon vieux procédé de l'amnésique, qui a servi de cheville à bien des intrigues, permet de raconter commodément, mais il encourage les narrateurs à s'étendre…On en revient donc toujours au même regret, aux même louanges : "Il y a trop de notes, monsieur Mozart !" disait l'empereur au musicien. Vous le voyez, mes comparaisons convoquent du beau monde !
Conçu très "à la française", c'est-à-dire avec le goût de la prouesse et du panache, mais aussi avec une application un peu scolaire, C'est ainsi que les hommes vivent restera une belle aventure à la mi-course d'une vie d'écrivain. L'auteur doit, à mon avis, accepter cette évidence que l'accélération, la discrétion, voire le silence sont les vertus de la richesse. Pierre Pelot a parfois oublié les ombres portées, la perspectives, tout ce qui fait la profondeur de champ, la force, le spectaculaire. Je ne suis pas sûr que les commentaires partout et vites publiés (bravo à l'éditeur - beau travail !) nuancent suffisamment le jugement. Ce roman devrait dérouter - il intimide. Il irrite. Les compagnons, autrefois, devaient produire leur "chef-d'œuvre" avant de passer maîtres. Chef-d'œuvre, un sacré mot ! On comprend qu'il fasse rêver.
Octobre 2003. Christine FERNIOT
Ceux de la Moselle
Après 38 ans d'écriture et plus de 180 livres, Pelot le Vosgien s'est enfin décidé à écrire un gros roman sur l'histoire et les gens de sa vallée natale.
"Depuis longtemps je voulais parler des gens de la vallée de la Moselle, là où je suis né. Des êtres qui traversent l'Histoire sans en avoir conscience, sans qu'on leur demande jamais leur avis". Trente-huit ans d'écriture, plus de cent quatre-vingts romans et nouvelles à son actif, de gros succès de librairie comme L'Été en pente douce, des adaptations au cinéma et à la télévision... On pourrait croire que rien n'arrête ce forçat de la page noircie. Et pourtant, Pierre Pelot a dû patienter longtemps avant d'oser écrire C'est ainsi que les hommes vivent (Denoël), un "western fabuleux" de mille cent pages qui se situe parallèlement au dix-septième siècle et en 1999, dans les Vosges, à deux pas du village où il continue de vivre et d'écrire. Il faudrait d'ailleurs inverser l'ordre des verbes, car Pelot écrit pour vivre, n'a jamais rien envisagé d'autre, expliquant avec humilité qu'il se met chaque fois au service des histoires qui lui traversent l'esprit.
Cet homme a besoin d'imaginer des personnages, des situations et de se mettre à sa table de travail pour les raconter : "C'est ma bouée, un moyen de m'accepter, d'exister. Enfant déjà, je rêvais d'être à l'origine de mes lectures". A seize ans, il veut devenir dessinateur de BD. Or, même s'il persiste à peindre dans son atelier, Pierre Pelot comprend vite qu'il est plus à son aise dans la narration que dans le dessin. A vingt ans, il imagine ses premiers westerns, influencé par l'histoire des Indiens d'Amérique et les films qu'il a pu voir au cinéma. Il abandonne son nom, Pierre Grosdemange, pour devenir Pelot, le "petit Pierre" comme le surnommait sa mère. Les noms, il en changera plus d'une fois, jouant avec les pseudonymes pour ses romans de science-fiction, policiers, fantastiques, des oeuvres "de genre", bien qu'il refuse ce terme dérisoire. On le dit boulimique, il répond qu'il n'a de compte à rendre qu'à ses textes, rappelant cette interrogation indienne : mais où vont les histoires qui ne sont pas racontées ? Celle de son dernier roman l'a emporté comme un fleuve impatient. "Je venais de terminer la novélisation du Pacte des loups, je m'étais alors plongé dans la langue française du dix-septième siècle, découvrant la beauté de ses mots en pleine évolution. Peu à peu, l'histoire de la Moselle, de ses habitants, s'est imposée. Des personnages sont apparus, prenant une place de plus en plus considérable. J'ai rédigé toute la partie concernant le dix-septième siècle avec la guerre de Trente Ans, puis la partie contemporaine. Ensuite, les deux époques se sont imbriquées comme par miracle". Il en ressort aujourd'hui un livre unique et puissant que le romancier a du mal à laisser partir loin de lui. Inquiet d'abandonner ce qui lui prit plus de deux ans de sa vie. L'homme est fragile, bien loin de l'image un peu hirsute du Vosgien taciturne qu'il laisse filer. Une simple dépression post-natale ? Pierre Pelot s'en sortira, tout comme il se tira d'une belle crise cardiaque survenue au moment où il offrait justement à son héros, Lazare, le même accident de santé. Deux histoires lui trottent déjà dans la tête, avec des pirates, pour changer un peu. Et un projet de scénario télévisé sur l'odyssée d'Homo Sapiens. "petit Pierre" peut retourner au bord de la Moselle, ses histoires l'attendent, des fantômes du passé qui n'ont pas fini de le prendre par la main pour lui chuchoter la bonne route.
Page créée le lundi 1er septembre 2003. |