1764. Le Gévaudan. Plus de cent morts. Qui sème la terreur dans la région ? Un loup ? Un démon ? On a beau croire ni en Dieu ni au Diable, comment ne pas douter de sa raison lorsque la Bête survit aux balles des chasseurs et disparaît chaque fois que sa capture semble inéluctable ? Le chevalier Grégoire de Fronsac, envoyé sur les lieux pour dresser le portrait de la Bête, va bientôt se trouver face à l'incroyable vérité. Et rien au monde ne saurait le préparer à ce qu'il va découvrir. (4ème de couverture, 2001).
La petite histoire... "Un passionnant roman où vous retrouverez la magie du plus grand film français de l'année, Le Pacte des Loups, avec Samuel Le Bihan, Vincent Cassel, Emilie Dequenne, Monica Bellucci, Jérémie Renier, Jean Yanne et Mark Dacascos. Un film de Christophe Gans. Une production Samuel Hadida et Richard Grandpierre. D'après le scénario original et les dialogues de Stéphane Cabel. Adaptation de Stéphane Cabel et Christophe Gans". (4ème de couverture, 2001). Novélisation de Pierre Pelot.
Sur les forêts vibrantes de septembre et sur les landes recuites par trois mois de sécheresse et sur les plaies croûteuses des ruisseaux, les pluies revenues déferlaient brusquement, cohortes safres surgies des brumes en ululant.
Les gens qui vivent sous le ciel de ce pays de pierres soiffeuses disent qu'il faut deux saisons, pas mieux, pour franchir l'année : neuf mois d'hiver et trois mois d'enfer. L'enfer consumé s'éteignait.
Seul un regard de bête, ou de spectre, ne se serait pas enlisé à plus de vingt pas dans la brouillasse qui faisait de la terre et du ciel une même sagne grise fourragée par le vent.
Le loup ne bronchait pas, son regard d'ambre étréci scrutant sans siller la grisaille.
Immobile, de pierre, comme le granit usé du calvaire à quelques pas duquel il se tenait assis dans la boue ruisselante de la sente, taillé dans un semblable bloc, pareil au crucifié et, comme lui, adressant aux deux courants du temps un même signe de souvenance et d'avertissement, il fixait par quelque entrebâillement de lui seul remarqué dans les rideaux de pluie, l'approche de quelqu'un, de quelque chose, l'apparition, sans doute, de chairs et de sang ou de ce que les loups savent seuls voir et entendre, qui proclamerait par des cris ou du silence à sa mesure la venue annoncée de l'eivar.
C'était un loup de forte taille, qu'à première vue les mois secs d'enfer n'avaient pas trop méchamment damné. La boue gantait de crottes baveuses ses pattes antérieures, jusques aux coudes. Son pelage épais, gris sur les flancs, fauve et sombre de l'échine au râble, lui faisait comme une cotte d'écailles épaisses et lisses qui s'ajustaient à ses muscles raidis quand passait la bourrasque. La crinière drue qui lui pendait du garrot au poitrail en un collier de mèches filiformes découvrait, s'il tournait légèrement le cou vers la gauche, une estafilade sombre qui pouvait aussi bien avoir été ouverte par la griffe, le croc ou l'épine. Une égratignure, rien de grave, qui ne lui avait même pas fait tomber le poil et datait d'avant le retour des pluies.
Il regardait la brume écorchée par l'averse. Parfois clignait d'un œil si une goutte s'écrasait proche des noires pupilles fendues sur son âme de loup ou becquait un peu fort une partie sensible de son museau.
Assis là, sur le bord d'une trace depuis longtemps sans odeur, gardien et surveillant attentif des ombres camouflées dont le calvaire de granit rongé et déserté ne soupçonnait même plus la possible existence.
Ce n'était pas un loup solitaire, il n'en avait ni l'allure ni le peu de patience, à rester là comme sa propre dépouille pendue au-dessus de sa présence pétrifiée sous les coup en écharpe des ébrouements diluviens. Ce n'était pas un banni, rogue et abandonné. La marque de la solitude n'avait pas imprimé son regard, ni son attitude. C'était un loup de meute, sans aucun doute un des meneurs. Probablement le mâle du couple meneur.
Les autres, ceux dont il savait l'odeur depuis l'instant de leur venue au monde, étaient ailleurs. Les femelles, les mâles, les anciens d'avant lui, les jeunes de longtemps après, les siens, qui étaient la harde, et, dans la harde, la femelle qui d'entre toutes portait à la fois son odeur à elle et la sienne de mâle aussi, sa compagne de tant de jour et de nuits et de saisons, de froidures à fendre les pierres et de chaleurs à les faire suer. Du ventre de cette femelle, les petits qui avaient pris leur taille et leur force, et qui avaient marché au centre puis à la traîne, puis à l'écart de la harde, ceux qui étaient encore là et ceux qui étaient partis - mais dont l'odeur était restée dans les marques du vent, parfois revenue au bord d'une trace et d'un moment.
Les autres.
Le Monde
2 mars 2001. Jacques BAUDOU
Sauvagerie de la bête
Pierre Pelot a écrit la novélisation du film de Christophe Gans, Le Pacte des loups.
L'histoire de la bête du Gévaudan est sans doute l'un des faits divers les plus étranges qui aient défrayé la chronique en France. Si l'on ne compte plus les ouvrages qui ont tenté de rendre compte de la série d'agressions cruelles qui ont ensanglanté et endeuillé, entre 1764 et 1767, les villages de cette région de la Lozère où l'on avait l'habitude de côtoyer les loups, il est rare que l'événement ait été le sujet d'une fiction.
Il convient de citer au moins l'étonnante tentative effectuée par René Sussan, alias René Réouven, le maître de la spéculation historico-littéraire, dans une nouvelle, Le grand sacrilège, de son recueil L'Anneau de fumée . J'ai imaginé qu'un médecin, en avance sur son temps, supprimait la défense anticorps des êtres humains, parce qu'il pensait qu'ils mourraient du chancre - le nom du cancer à l'époque - non pas à cause du chancre lui-même, mais à cause de la bataille qu'il livrait aux anticorps et qui épuisait l'organisme. Grâce à ce qu'on appellerait aujourd'hui un sérum antilymphocytaire, il paralysait la défense immunitaire afin de laisser le champ libre au chancre et voir ce qui arriverait puisqu'il s'agissait de cellules remplaçant d'autres cellules. En fait, il advient la bête du Gévaudan. (Entretien avec René Réouven, Enigmatika, N° 40.)
Il fut plus rare encore que la bête du Gévaudan fasse l'objet d'une oeuvre audiovisuelle. Tout juste peut-on citer l'émission culte de Michel Subiela, Le tribunal de l'impossible, dont le premier sujet, en octobre 1967, lui fut consacré. Pour Le tribunal de l'impossible, c'était le sujet exemplaire : le fantastique au travail dans la petite histoire, puis dans l'histoire ; l'imagination populaire incarnant ses peurs, les vivant et les exorcisant par la création d'un mythe, déclarait Michel Subiela.
Il aura fallu attendre 2001 pour que la bête du Gévaudan devienne enfin le sujet d'un film (que l'on compare à ce que les Anglo-Saxons ont pu faire de Jack l'éventreur !) et pour que le scénariste Stéphane Cabel se livre sur la nature de la bête à d'audacieuses et astucieuses spéculations. Ce film, Le Pacte des loups, qui échappe à l'ordinaire corseté et étriqué du cinéma français, a fait l'objet d'une novélisation que l'on a eu l'intelligence de confier à l'un des meilleurs auteurs français des littératures de l'imaginaire : Pierre Pelot. Dès lors, le résultat dépasse largement ce qu'on peut attendre d'un exercice de ce genre.
On ne peut que recommander sa lecture à ceux qui ont vu le film, car entre celui-ci et le scénario original de Stéphane Cabel sur lequel Pierre Pelot a travaillé, il y a quelques différences sensibles. Ainsi le beau personnage de Cécile, qui dans le roman noue entre eux, de si fine manière, les temps du récit, a-t-il disparu de la version filmée. Ainsi la figure de Jean-François de Morangias est-elle ici bien mieux dessinée, a-t-elle plus de relief et d'arrière-plans que ne lui en octroie Christophe Gans.
Mais on peut conseiller aussi cette lecture à ceux qui n'ont pas vu le film, car, sur le canevas du script, Pierre Pelot s'est livré à un formidable travail d'écriture, sensible dès les premières lignes : Seul un regard de bête, ou de spectre, ne se serait pas enlisé à plus de vingt pas dans la brouillasse qui faisait de la terre et du ciel une même sagne grise fourragée par le vent. Le loup ne bronchait pas, son regard d'ambre étréci scrutant sans ciller la grisaille.
Cette phrase drue et dense, cette langue un peu râpeuse, qui ne dédaigne ni le mot ancien oublié ni l'expression patoisante pour coller à l'époque ou au terroir, ne soulignent pas seulement l'omniprésence des éléments, la sauvagerie sombre du décor ou la présence obsédante des loups. C'est toute l'intrigue qui prend ainsi de la pesanteur, de la force et du charme (au sens sorcier du terme) ; c'est le pacte des loups qui se nimbe d'une aura véritablement maléfique, c'est l'aventure monstrueuse de la bête qui prend vie par le verbe, comme elle le fait, ailleurs, par l'image.
Bifrost
N° 23, août 2001. Cid VICIOUS
Sur les forêts vibrantes de septembre et sur les landes recuites par trois mois de sécheresse et sur les plaies croûteuses des ruisseaux, les pluies revenues déferlaient brusquement, cohortes safres surgies des brumes en ululant. C'est par ces mots que commence la novélisation du Pacte des loups, un des trois titres du début d'année à s'intéresser à cet animal fascinant. Nous sommes dans le Gévaudan en 1764, deux hommes (un naturaliste français et Crying Freeman privé dieu sait pourquoi de ses gros calibres et de son katana) arrivent sous une pluie digne d'un clip de Whitney Houston. Et pourquoi qu'y viennent ! ? Hébin, pour mettre fin à un règne de terreur qui a fait plus de cent victimes — une bête rôde, très très méchante, même qu'elle tue des mannequins scandinaves à 100 000 balles le défilé, déguisées en fermières du Gévaudan... Oui, vraiment, c'est bien la première fois qu'il nous est offert de lire une novélisation plus intéressante que le film dont elle a été tirée (on s'amusera d'ailleurs à remarquer les petites divergences, parfois savoureuses). Dans une langue riche, prodigieusement maîtrisée, Pierre Pelot évite certains écueils ridicules du film de Christophe Gans et nous offre, dès janvier, ce qui sera peut-être le meilleur livre de fantasy francophone de l'année 2001.
Page créée le dimanche 2 novembre 2003. |