Zone 004 est contrôlée majoritairement par la Secte des Botanistes des Jours Ultimes. Dylan Dancer Moab, le Veilleur, vit en haut de sa tour, à la périphérie de la ville. Depuis quinze ans, il observe la jungle. Dès qu'elle avance, on évacue les quartiers menacés. Jamais l'on n'abat un arbre vivant. Les hommes, coupables d'exister, ne sauraient commettre un tel sacrilège.
Mais voilà que tout se détraque. En une nuit, la température tombe de 20°. Les Devins n'avaient rien prévu. Alors Dylan est frappé par le doute. Il se désespère pour la pauvre Lorane, qui joue à faire semblant d'être vivante. Comment Divine Nature, dans sa toute-puissance, peut-elle causer tant de malheurs ? La révolte gronde. Mais les Hautes Castes n'ont pas dit leur dernier mot. (4ème de couverture, 1981).
Comment un homme normal aurait-il pu raisonnablement aimer Lorane ?
Ce n'était pas la première fois qu'il se posait la question ; en fait, il se l'était posée aussitôt après l'avoir rencontrée. Dans les mois qui suivirent, elle devint une sorte de leitmotiv qui ne manquait jamais de s'imposer à lui, tous les jours, tôt ou tard, lui vrillant le crâne et interrompant le cours ordinaire de ses pensées… Il s'en était accommodé. Et n'avait toujours pas trouvé de réponse satisfaisante.
Peut-être était-ce mieux, finalement ? Une réponse satisfaisante ne signifierait-elle pas la fin de quelque chose ? Encore une question à laquelle Dylan Dancer Moab, le veilleur, ne voulait surtout pas apporter l'ombre d'une réponse. Rien qui aurait pu clarifier le problème. Surtout pas…
Dans la coquille translucide de son petit "rat" électrique, il avait chaud. La température extérieure était pourtant plus que fraîche ; un friselis de givre soulignait la lame caoutchoutée des essuie-glaces, et Dylan avait dû essuyer plusieurs fois la buée qui recouvrait le pare-brise et opacifiait tout le cockpit. Les faibles vibrations du moteur précipitaient des gouttelettes de condensation qui traçaient sur le verre un écheveau brouillon. Les lumières de la ville, glissant sur la voiture, malaxaient durement le visage maigre du conducteur, creusant des ombres à l'emporte-pièce qui accentuaient la sécheresse de son physique, claquant comme des éclats de pierre sur les verres de ses lunettes noires.
Ses reins, pourtant bien soutenus par le dossier moelleux du siège, étaient douloureux, plombés. Un sérieux point faible, les reins… Il le savait depuis longtemps. La moindre fatigue, la plus petite tension nerveuse, et hop ! il se retrouvait emprisonné dans cette espèce de corset lourd qui le ceignait depuis les hanches jusqu'au milieu du dos. Lourd… de plus en plus lourd avec l'âge et le temps qui passait. Comme cette moiteur désagréable au creux des paumes…
Dylan grogna entre ses lèvres minces. Il se redressa un peu sur le siège, pour tromper l'engourdissement qui lui nouait le dos et ne réussit qu'à se faire mal. Sous la veste de grosse toile délavée, sa chemise se colla le long de sa colonne vertébrale ; un vilain attouchement froid et mouillé qui fit courir dans ses muscles une série de frissons. Il s'aperçut qu'il transpirait abondamment et jura. L'une après l'autre, il retira ses longues mains osseuses du volant, pour les essuyer sur les cuisses de son pantalon. Puis il nettoya la buée sur le pare-brise à l'aide d'un chiffon spongieux qu'il rejeta ensuite sur le plat du tableau de bord.
Des crampes s'insinuaient dans ses mollets, dans ses avant-bras, ses épaules. Rien à voir avec la fatigue physique, il le savait. Une fois de plus, il perdait les pédales…
Par tous les Devins, Dylan, du calme ! Il sera toujours assez tôt pour se faire réellement du souci, tu ne crois pas ?
Un esprit libre ne doit rien apprendre en esclave (Roberto Rossellini).
Les Nouvelles d'Orléans
Hebdomadaire, N° 24, 1er mai 1981. Alain GROUSSET
Finissons le festival avec le dernier Pelot : Les Îles du vacarme, chez Presses Pocket. La manipulation des masses, le thème de prédilection de l'auteur, est ici encore à l'honneur. Les villes sont entourées par la jungle, chose sacrée pour la secte des Botanistes des jours ultimes. Pourtant ces adorateurs rencontrent de plus en plus de difficultés à faire partager leur point de vue, beaucoup s'évadant pour vivre libres dans la nature. Libres, peut-être, mais pas autant qu'ils l'avaient espérés.
Ère comprimée
Revue bimestrielle, n° 11. Bayonne, août-septembre 1981. Charles MOREAU, page 66
Dans un très lointain avenir, traumatisés par la crainte des sautes d'humeur de mère nature, les hommes vivent repliés dans des zones habitables, contrôlées par des sectes plus ou moins scientifiques en compétition constante et soumises à une sorte de tyrannie religieuse.
L'écriture, les livres y sont oubliés par toute une civilisation basée sur l'audiovisuel, et cela à la suite d'un cataclysme mystérieux à la suite duquel il a bien fallu laisser se reconstituer les réserves végétales que sont les forêts.
Pierre Pelot nous raconte tambour battant et avec un rien de machiavélisme, dans l'un de ses plus beaux romans, l'histoire de la révolte du veilleur, Dylan Dancer Moab, qui pour sauver celle qu'il aime en vain, va commettre tous les sacrilèges et devenir un meneur d'hommes malgré lui, au cœur d'une société truquée où les Hautes Castes dirigent un jeu subtil et cruel.
Histoire sublime, histoire désespérée qu'on lit d'une traite et qu'on n'est pas prêt d'oublier tant Pierre Pelot a du talent à revendre.
Science Fiction & Quotidien
N° 9, août-septembre 1981. Gilles BERGAL, page 10
Je suis une île, et toi aussi
Une île en vacarme
Dans l'océan des bruits
Une île du vacarme
Dans les vacarmes de la nuit (p. 28).
Dylan Dancer Moab est une île, une île qui vient de s'amarrer à l'île Lorane, qui dérivait encore plus que lui.
Mais Dylan est aussi un Veilleur, chargé d'observer Divine Nature afin de déterminer dans quelle direction pourra s'étendre la ville. Car Divine Nature est sans pitié envers l'Homme qui doit expier pour les fautes commises jadis à l'encontre de la planète. Et les Sectes sont là pour rappeler ses pêchés à l'Homme, et pour le maintenir sur le droit chemin.
Dylan a commis une faute en accueillant Lorane. Il avait fait un vœu de célibat et la Secte des Botanistes ne lui pardonnera jamais d'avoir recueilli la jeune femme.
Pour la garder, une seule solution : gagner la forêt où vivent les Hors Sectes, et se joindre à eux.
Chez Pelot, quand un héros met le doigt dans l'engrenage, on peut être sûr qu'il y passera entier. Première pierre d'une avalanche qui le dépasse et le submerge rapidement, Dylan ne manque pas à la règle : les événements s'enchaînent suivant une implacable logique, jusqu'à l'aboutissement inéluctable.
Il se retrouvera finalement sur un bout de rivage, île sur une île, avec une poignée de paumés dans son genre, qui pensent réapprendre à vivre alors que le jeu a pour nom la mort.
On ne peut manquer de rapprocher ce livre du dernier Pelot paru chez J'ai Lu, Kid Jésus. Dans les deux cas, le héros est un paumé qui se retrouve à la tête d'une véritable révolution. Dans les deux cas, il se retrouve broyé par la machine, et s'il sauve sa peau, il. demeure perpétuellement en sursis, alors que sa lutte n'aura servi que l'ambition des autres, de ceux-là qui, dans l'ombre tirent les ficelles. Est-ce que par hasard Pelot serait un pessimiste manquant de confiance dans la nature humaine ?
Fiction
N° 321, septembre 1981. Jean-Pierre VERNAY, page 149
Ce roman est l'histoire avant tout de deux solitudes : celle de Dylan Dancer Moab, Veilleur de son état, et celle de Josie Books, envoyée par les Hautes Castes afin de mater la rébellion. Ils sont chacun murés quelque part en eux-mêmes : Dylan avec Lorane, la fille autistique qu'il aime, et Josie avec sa crainte de ne pas avoir d'enfant. Des îles vides qui hurlent leur solitude. Et puis il y a le reste de cet univers au sein duquel ils évoluent en aveugles : la Terre contrôlée par des sectes aux motivations floues, "Ciel Ouvert" et la colonisation de Mars, d'autres mensonges... Il y a la solitude parce qu'il y a refus de cet univers bâti sur la tromperie. Par ce thème, Les Îles du vacarme est à rapprocher des Barreaux de l'Eden (J'ai Lu). Un Pelot à lire comme un hors-d'œuvre à la série qui va suivre chez Presses-Pocket.
Encyclopédie de poche de la Science-Fiction
Guide de lecture / Claude AZIZA, Jacques GOIMARD.- Paris : Presses Pocket, 1986 (Presses Pocket Science-Fiction; 5237).- Pages 311-315, notice de François RAHIER
1. L'œuvre
Les Îles du vacarme est un des fleurons de l'œuvre abondante et diverse d'un jeune auteur qui a déjà à son actif pas moins d'une centaine de romans, ouvrages pour la jeunesse, westerns et BD, policiers, récits fantastiques, romans d'"angoisse" ou de science-fiction, publiés depuis 1966 dans des collections de poche, caractéristiques d'une certaine veine de la littérature populaire d'aujourd'hui qu'on a peut-être trop rapidement cataloguée comme une "littérature de quai de gare"". La bibliographie de Pierre Pelot reste à établir; nous retiendrons seulement quelques titres : la série des Dylan Stark chez Casterman ; Sierra brûlante en Folio junior ; Je suis la mauvaise herbe (LP jeunesse) ; Vendredi, par exemple (FNLR 150).
Date de parution : 1981.
2. Structures
Une réflexion sur le pouvoir
L'expérience ainsi accumulée, l'écriture visuelle, très cinématographique, un goût prononcé pour l'action chez ce conteur d'histoires professionnel, et un ton généralement noir et violent à l'image du monde qu'il décrit (et où, semble-t-il, nous vivons aussi) sont mis au service ici d'une réflexion sur les pouvoirs politiques et religieux et les rapports entre l'homme et la nature. Politique et écologie sont des thèmes récemment apparus dans la SF et aujourd'hui souvent utilisés, les communautés rurales fleurissant après le cataclysme étant un des archétypes de cette littérature dans les années 1970. Pelot va plus loin, abordant le problème des sectes, et concluant au rejet de l'utopie comme d'ailleurs de tous les pouvoirs.
Il est difficile de situer dans le temps le monde dans lequel nous entraîne ce roman. Plusieurs milliers d'années peut-être après une catastrophe climatique (que les sectes écologistes qui détiennent le pouvoir présentent comme une réponse à l'homme de Divine Nature) sur une Terre où la civilisation ne résiste plus à l'approche envahissante de la jungle (et où la géographie, au moins humaine et politique, semble profondément modifiée), le climat se détraque à nouveau et un vent de folie déferle sur des foules fanatisées qui recourent au sacrifice humain ou à l'automutilation.
La prise de conscience de quelques-uns entraîne une dissidence organisée qui touchera bientôt des millions de personnes. L'exode vers une hypothétique terre promise se transformera pourtant en convoi de déportés à destination d'une terre inhospitalière où les survivants tenteront de rebâtir une communauté à visage humain. Les dés étaient pipés et les privilégiés des Hautes Castes, véritables détenteurs du pouvoir, avaient monté une gigantesque machination, à l'aide d'une technologie sophistiquée qu'ils étaient les seuls à véritablement maîtriser. Le projet "Ciel ouvert" d'installation sur "Marks" (Mars ? - seule allusion aux voyages spatiaux et à un thème classique de la SF) était réservé à une élite qu'il fallait débarrasser de ses scories de sous-humains.
Deux personnages opposés
La composition du roman qui fait alterner presque continuellement un chapitre centré sur "Dylan", l'âme de la dissidence, avec un chapitre centré sur "Josie", l'envoyée des Hautes Castes, suggère un parallèle entre les deux personnages principaux : à la soif de pouvoir de l'une s'oppose le refus de plus en plus déterminé de tous les pouvoirs par l'autre, et l'on s'aperçoit en fin de compte qu'ils ont été tous les deux manipulés, de manière différente. Mais si Josie se retrouve seule (p. 242), il reste à Dylan, qui n'acceptera pas de rejoindre le troupeau à la recherche d'un leader, l'amour fou de Lorane (encore que le véritable amour fou soit celui de Dylan et de Josie qui ne se rencontrent qu'une fois) et la conviction d'être un "grain de sable éternel dans les rouages de l'éternelle machine" (p. 252)... "Jusqu'au désert vivant", Îles du vacarme ou îles du silence, il est difficile à un être humain d'en comprendre véritablement un autre. Fin amère, noire même, d'un roman dont le titre, qui évoque le "bruit et la fureur" des dernières paroles du Macbeth de Shakespeare, connote une désespérance que tempère mal la profession de foi humaniste et libertaire des pages 250 à 252.
Page créée le jeudi 30 octobre 2003. |