Sur la Terre d'après le Chaos, il y a de nouveau des maîtres, des riches, et puis il y a des Fouilleurs qui creusent et qui grattent parmi les ruines. A la recherche des vestiges d'avant… On les paye pour ça. Mal. C'est en ces lieux de misère sauvage que surgit Julius Port, l'orphelin perdu, vite surnommé Kid le Maigrichon. Aussi bon Fouilleur que les autres, mais différent…
Ainsi, sur le chantier, il sauve de la mort un adolescent blessé, Alano… Ainsi, à des putains venues distraire les Fouilleurs, il parle de révolte. Et il crie qu'eux, les "gratte-sol", ils ont aussi le droit d'exister ! Drôles de mots dont on se moque mais qu'on arrive pas à oublier… Julius Port se baptise Kid Jésus et Alano ne le quitte plus… (4ème de couverture, 1980).
Kid se redressa, les reins douloureux. Il souffla lentement, longuement ; un gros nuage de condensation filtra entre les mailles lâches de son vieux passe-montagne. La laine de la cagoule déformée était blanchie, durcie par le gel au niveau de la bouche. Kid tira sur le passe-montagne pour en agrandir l'ouverture et découvrir son visage. La sueur qui coulait sur sa peau fraîchit immédiatement ; il l'essuya avec son gant, effaçant du même coup les cristaux de glace qui s'étaient formés dans les poils roux de sa moustache, sous les narines, et dans sa barbe. Il soupira.
Cela faisait une bonne heure, sinon plus, que Kid-le-maigrichon (ou encore Kid-le-coup-de-vent, comme certains fouilleurs de l'équipe le surnommaient parfois) se bagarrait avec le bloc de béton gelé, au milieu du carré de ruines délimité par quatre pieux de fer entre lesquels se balançait une ficelle roidie. Plus d'une heure, oui, c'était sûr. Kid donna un coup de brodequin ferré dans l'arête du bloc, mais sans y mettre de force, négligemment. Il dit à haute voix :
- Salaud… et dans pas longtemps la nuit va tomber. Je ne t'aurai pas aujourd'hui, allez !
Le gros pavé de béton resta ce qu'il était, c'est à dire une saloperie de bloc de deux mètres sur un demi, un bloc comme il en existait quelques autres dans ce carré de ruines.
Kid débita quelques jurons tout en faisant grincer ses dents. Pourtant, il n'y avait nulle trace de colère dans le ton de sa voix, comme si lancer des obscénités était la seule chose qu'il pût encore se permettre à ce stade.
Il y avait beau temps que Kid ne gâchait plus son énergie à s'énerver pour rien. Pendant un court moment, il demeura immobile, comme si le froid l'avait d'un seul coup transformé en statue. Il regardait ce monstrueux pavé qu'il tentait de soulever depuis trop longtemps sans succès. Son regard délavé était calme. Il était probablement en train de calculer, pour le lendemain, la meilleure façon de s'y prendre.
Il soupira une fois de plus, bougea, fit un pas de côté et dit :
- J'ai vu trop grand, voilà la vérité. On déblaie un coin, et on s'imagine que c'est du tout cuit, du gâteau. On se fait avoir. Demain, je remettrai le Trax au boulot, à l'assaut de ces satanés blocs de béton. Nom de Dieu, oui, c'est ce que je ferai.
Il ramassa sa barre à mine, considérant pendant quelques secondes sa courbature (il l'avait tordue en essayant de l'utiliser comme levier) ; il hocha la tête et fit une grimace, légèrement ennuyé.
La première fois que Kid s'était surpris à parler à haute voix, seul dans un carré de fouilles, s'adressant à lui-même, il avait eu peur. Il s'était dit qu'il devenait cinglé - il y avait de quoi le devenir rapidement sur le Territoire F. Mais non ! Dans la gamme ô combien étendue des symptômes très diversifiés annonçant l'imminence d'une crise psychotique chez le fouilleur, un grand nombre étaient autrement plus sérieux et révélateurs que le soliloque. C'était peut-être au fond une manière de conserver en bon état de fonctionnement ses facultés de raisonnement… Se faire une tranquille conversation à soi-même pour lutter contre la solitude, l'isolement, et les effrayants assauts de paranoïa provoqués par cette situation… Oui, qui sait, c'était peut-être un moyen ! En tous les cas, Kid l'utilisait généreusement depuis plusieurs années, et il ne s'en portait pas plus mal. Il n'était pas fou. Du moins l'espérait-il !
Futurs, science fiction et fantastique
Mensuel, n° 1 (2° série), Paris, février 1981. Critique anonyme, p. 109
17 décembre. 7 heures du matin.
- Allo, Pierre ? Je te réveille ?
- Ben...
- Je dois faire un papier pour Futurs. Sur Kid Jésus. Tu peux m'en dire deux mots ?
- Deux mots! A sept heures du matin ? C'est pas un peu tôt pour une interview, non ? Bon, enfin... Je peux te dire que c'est un bouquin que j'ai eu plaisir à écrire parce que j'aime beaucoup le cadre dans lequel il se passe : celui d'une colonie de "Fouilleurs" qui grattent le sol à l'aide de gigantesques bulldozers qui leur servent d'habitations, à la recherche d'"explications" du passé. C'est un peu une récréation du Grand Nord américain, avec ses villes-frontières, ses chercheurs d'or et ses filles de bar. Entre les lignes - et même un peu plus -, c'est un livre sur le terrorisme manipulé, à travers l'histoire de Julius Port, alias Kid le Maigrichon, qui devient Kid Jésus à la suite d'une découverte qui va changer son existence et celle de la colonie... Je ne peux guère t'en dire plus, d'autant que, tu sais, je suis vraiment très mal placé pour parler de ce livre, puisque je l'ai écrit... Mais, au fait, tu l'as lu, le bouquin ?
- Ben... non... Je l'ai pas encore reçu. Euh... Tu peux me parler de tes projets immédiats ?
- Bien sûr. J'ai un grand projet qui me tient à cœur : essayer de me rendormir.
- ...
18 décembre. 4 heures du matin.
- Allo, Pierre ? Ca y est, je l'ai lu : génial ! Pierre ? Tu m'entends ? J'ai lu Kid Jésus ! Pourquoi tu tousses ?...
S.-F. & Quotidien
Mensuel, avril 1981. Maurice CAUCHIE, pages 90-91
Sur Terre, après le chaos, tout est revenu à la normale, il y a un ordre vital : des maîtres, des riches et des fouilleurs. Kid est un fouilleur, mais différent... Kid parle de révolte, il crie son droit d'exister. Cela, ce n'est pas normal. Qu'est-ce qui fait dire ça à ce gars-là ? Qu'y a-t-il derrière ces mots ? Que veut-il ? Que représente ce nouveau jeu ? La recherche du passé ? Peut-être mais pas vraiment, plutôt un prétexte qui sert de filigrane au Terrorisme manipulé. Cela me rappelle, dans un autre contexte, le scénario qu'avait écrit Fassbinder à propos de "troisième génération". D'une autre manière, Pelot nous traite ici d'un sujet qui se révèle être en apparence l'expression véritable d'une activité à but profond, le terrorisme. MAIS, par le jeu des pouvoirs et des contre-pouvoirs, celui-ci devient le jouet du "Big Brother" et sert de tremplin à toute sorte de pièges et de machinations susceptibles de servir le système. Un système que certains prétendent combattre et que d'autres essaient réellement d'anéantir. Drôle d'histoire dont on se moque peut-être, mais qu'on n'arrive pas à oublier...
Fiction
N° 321, septembre 1981. Claude ECKEN, pages 149-150
Julius Port, un vulgaire fouilleur qui déterre les vestiges du passé, se fait nommer un jour Kid Jésus et s'en va prêcher parmi ses compagnons d'infortune : ils ont eux aussi droit à une existence décente, au même titre que les Volants qui profitent de leurs découvertes. Les motivations du Kid ? L'argent, le succès rapide, par le biais de la mystification. L'affaire se politise vite, la situation devient explosive, et du jour au lendemain Kid Jésus est propulsé dans le monde des grands et des puissants. Fier de la force qu'il représente et obnubilé par les buts qu'il s'est fixé, il ne se rend pas compte que c'est lui qui est en fait manipulé...
Le sujet n'est pas bien nouveau, mais Pelot a su l'exploiter avec le brio qu'on lui connaît, en le situant dans un monde à la recherche de son passé et de sa culture, bref de son identité perdue depuis l'Holocauste. C'est dans cette période de confusion que Julius Port n'hésite pas à changer d'identité pour se forger un avenir qu'il ne connaîtra pas. La réalité de ce monde est en fait insaisissable : les Migrants existent-ils, reviendront-ils un jour, et sera-ce pour aider ou détruire l'humanité ? Au fur et à mesure que le lecteur progresse, les suppositions se multiplient et de nouvelles théories s'élaborent, sans qu'il soit possible d'en créditer une seule. Un vrai polar à l'envers que ce roman raconté par un Pierre Pelot en pleine forme !
Page créée le jeudi 30 octobre 2003. |