Soyez heureux et fiers, car vous êtes citoyen de l'Union Fasciste des États d'Amérique ! Votre pays est le seul, et le plus grand. Il détient le plus faible pourcentage d'Anormaux au monde ! Soyez heureux et fier ! Même vous, Price Mallworth, prêtre de la Nouvelle Religion Catholique Éclairée, pour la paroisse 16 de Tucumcari !
Même si vous plaigniez de tendances marquées à l'asthénie, même si votre promise a des troubles de mémoire, et confond le temps... même si elle s'imagine que vous êtes déjà unis depuis des années... Et si cela vous arrive de quitter ce monde par moments, sans comprendre comment ni pourquoi... ne cherchez pas, Price Mallworth. Vous n'êtes pas de taille... Et les Dieux ne sont pas ceux que l'on imagine... (4ème de couverture, 1974).
La petite histoire... Ce titre mystérieux est tiré d'une phrase du Tao.
Si cette histoire doit être écrite, il faut bien se servir de mots.
Mais les mots ne sont rien, pour "Eux".
Tenter de "Les" décrire équivaut obligatoirement à faire jaillir une image quelconque dans l'imagination d'un lecteur. "Ils" ne sont pas des images. "Ils" ne sont rien que l'on puisse imaginer. "Les" décrire serait faux, folie et incommensurable présomption.
Pourtant, il faut malgré tout se servir de mots. De lettres bout à bout qui forment des images. Il faut se plonger dans l'impossible, sachant que la tentative sera un mensonge.
Il le faut.
Ils sont deux.
Ne possédant point de corps, et pourtant allongés.
Allongés en endormis, quand bien même leur sommeil n'a rien de commun avec ce que nous connaissons du sommeil.
Ils sont deux, allongés, endormis.
Ils n'ont pas de noms, mais nous les appellerons des Candidats-Créateurs.
Il y a le Candidat-Créateur Un, et le Candidat-Créateur Deux.
Ils se trouvent fatalement à un endroit. Et ils ne sont pas seuls ; il y a beaucoup d'autres Candidats-Créateurs. Mais ces deux-là seulement nous intéressent.
Ils intéressent aussi les deux Superviseurs qui se trouvent à cet endroit.
Les deux Superviseurs n'ont pas davantage de noms. Mais nous les appellerons l'un Elio, l'autre Alam.
Sans cette tricherie, rien ne serait possible.
A Claude Auclair
A Michel Gonzalez
Ce roman qui n'existait pas
qui n'existe pas
Qui n'existera pas
Fiction
N° 248, août 1974. Michel JEURY, pp. 155-157
Il suffit de commencer le livre à la page 9 et de s'arrêter à la page 205 : alors, Mais si les papillons trichent est un - petit - chef-d'œuvre. Roman "dickien" ? Peut-être, mais très personnel, malgré une construction sommaire et une écriture hâtive. A peine 200 pages en gros caractères... A côté de quelques livres qui n'en finissent pas et qu'il faut lire à la loupe, en voilà un - comme l'excellent Matières grises de William Hjortsberg, dans la collection Ailleurs et demain - presque trop court.
An 2534 de l'ère du Dieu nouveau : l'Union Fasciste des États d'Amérique. Ce serait l'extrême début du XXI° siècle qu'on ne serait pas tellement surpris. On n'est pas si loin de Simulacres ou de Tous à Zanzibar. "Aux dernières statistiques officielles, 57 % de la population vivait en asiles" (p. 10). Même s'il s'agit d'un univers parallèle ou adjacent, la force de Pierre Suragne est de n'avoir pas peur des mots. "Le sectarisme nationaliste, le patriotisme forcené, le fascisme pur, voilà quelles étaient les armes, les dernières armes à peu près efficaces contre la prolifération des maladies mentales" (p. 14).
La Nouvelle Religion Catholique Éclairée et les conseillers-psycho règnent avec les Protecteurs sur l'U.F.E.A. (mais on devine que les industriels et les banquiers sont derrière eux). Toutes les communications sont coupées avec le reste de la planète qui est, pour autant qu'on sache, dans la même situation. Le monde que décrit Suragne appartient au fonds commun de la SF moderne - comme naguère l'hyperespace, les robots et les mutants à la SF classique.
Price Mallworth est Parleur de son état, c'est-à-dire prêtre de la N.R.C.E., une religion terriblement mercantile (entrer à l'église de Tucumcari coûte 15 dollars) et pas mal portée sur le défoulement sabbatique (la cérémonie au milieu de laquelle se fourvoie Natcha ne manque pas de piquant). Price "parlait, il débitait des paroles et des formules, des mots. Des mots creux, horriblement creux, de plus en plus creux" (p. 39). Mais il a des problèmes. Avec la foi, avec le temps, avec Natcha, sa fiancée ou peut-être sa femme. Qui de Price ou de Natcha a des trous de mémoire ? Qui a perdu contact avec la réalité ? Et puis qu'est-ce que la réalité ? Je considère comme nulle et non avenue l'explication finale : je préfère rester dans le doute.
Price et Natcha sont-ils mariés, comme le pense Natcha qui se souvient des huit années de leur vie commune ? Ne le sont-ils pas encore, comme le croit Price ? Pas encore... mais bientôt. "Il épouserait Natcha si tout allait bien". Seulement, il y a l'obstacle des cartes génétiques. Le père de Natcha était un Noir. De ce fait, sa mère a été internée dans une prison d'État où elle est morte. Et le père de Price est un schizophrènes... Lui-même souffre de tendances schizoïdes et d'asthénie, tandis que Natcha est atteinte de claustrophobie. Ils se marieront peut-être, mais ils n'auront pas d'enfant : cela est exclu... Natcha, elle, est sûre d'être mariée à Price. Elle sait que son mari confond le temps et qu'il croit que la confusion vient d'elle. "C'était encore cela le plus horrible : le fait qu'il s'imagine que c'était elle qui était folle...". Mais Price a la certitude d'être sain d'esprit, alors que Natcha... Dieu nouveau, faites qu'elle guérisse ! "C'était cela le plus atroce. Le fait qu'elle s'imagine qu'il était fou, que c'était lui qui confondait le temps...".
Un matin comme les autres, Price se réveille, déjeune, écoute les informations. Rien de bien neuf. Les cas de démence habituels dans les quartiers pauvres, la chasse aux nègres dans les bas-fonds, les bulletins des conseillers-psycho... Il part pour l'église, car c'est un jour ouvrable (sa semaine de travail est de neuf heures, réparties en trois jours : les privilégiés ne se tuent pas à la tâche, en U.F.E.A.). Dans la rue, il croise un psychopathe, un exhib borgne, sale et puant. Le personnage n'hésite pas à l'aborder. Il n'a pas les 15 dollars nécessaires pour entrer à l'église et il se pose justement des questions sur Dieu, le ciel et la terre. Mais Price n'est pas homme à se laisser extorquer une consultation théologique gratuite. "Je me suis renseigné sur vous", prétend Muks. "On m'avait dit que vous étiez moins salaud que les autres...". Mais pourquoi Price Mallworth serait-il moins salaud que les autres ? La discussion tourne mal. "La paix des cieux, mon cul !", répond le pauvre type à une pieuse exhortation de Price. Et Price croit entendre sur lui-même, la religion et le régime qu'elle soutient quelques vérités bien senties (et facilement transposables en l'an de grâce 1974). Pire encore : Muks lui parle de sa femme. Mais Price sait bien qu'il n'est pas marié. C'est Natcha qui a trop parlé. Il comprend qu'il va être obligé de la dénoncer. "Dans la chaleur de midi, il se sentait glacé". Il ferme un instant les yeux. Quand il les rouvre, l'exhib a disparu, la rue est vide et il pleut. Il pleut, vous entendez ? Quelque chose est arrivé. Price se retrouve ailleurs... On suit dès lors son errance entre deux univers et, en contrepoint, la quête de Natcha à la recherche de son mari qu'elle dénoncera finalement aux Protecteurs, quand elle aura acquis la certitude qu'il est un anormal.
La plupart des chapitres s'ouvrent sur un encart publicitaire, moyen très efficace de caricaturer une société. Celle de l'U.F.E.A. se prête trop bien au sarcasme : Pierre Suragne s'est donné la partie belle. Bordel Company S.A. voisine avec le jus de citron Wayne (aux antidépresseurs) et la Bible éclairée de Stan Laurdry (300 dollars : c'est moins cher que le revolver Tommy Spunk, l'arme efficace contre les anarpsychopathes). Pierre Suragne peut se dispenser de toute analyse sociologique ou écologique. On est en terrain connu. Une note brève, de loin en loin, suffit. "La loi qui interdisait de se servir de l'eau pour arroser les plantes ou pour laver la vaisselle, les vêtements, cette loi datait maintenant d'une bonne trentaine d'années" (p. 26). Les "douches d'air" qui nous étaient présentées dans la SF optimiste comme le comble du progrès sont ici une conséquence du manque d'eau sur la planète.
Le style est vif, nerveux, tendu - non sans quelques négligences. Quel dommage que Pierre Suragne s'oblige à écrire si vite... Quand il prend la peine de décrire un paysage, cela donne à l'occasion une petite merveille du genre : "C'était de nouveau cette double rangée de bungalows blancs, avec les petites cours, les grappes d'enfants qui jouaient en silence, les silhouettes transparentes des vieillards dans l'ombre grumeleuse des vérandas couvertes de vigne vierge sèche" (p. 32). Sans être une réussite totale - et il n'en est pas si loin -, Mais si les papillons trichent marque un nouveau pas en avant de Pierre Suragne et s'inscrit parmi les quatre ou cinq meilleurs livres publiés dans la collection Anticipation du Fleuve Noir. Et, comme dirait Philip K. Dick, cela ne fait que commencer.
Spéculation, S.F. & B.D.
Cherbourg, septembre 1974, n° 3/4. Michel JEURY, p. 4
Price Mallworth, prêtre de la Nouvelle Religion Catholique Éclairée à Tucumcari, ville des États Fascistes d'Amérique, est-il en train de devenir fou ? Ou bien est-ce Natcha, sa femme... sa fiancée ? Et quel est cet univers plat, sans limites, peuplé d'humanoïdes étrangers ? Qui joue, qui triche ? Un roman haletant qui se lit comme il a été écrit, à toute vitesse.
Hermetoc
Fanzine SF et BD, bimestriel, n° 3, novembre 1974.- Fanéditeur : Eric VIAL.- Trois avis dans la même page 22
Ronald R. Rengaw : Ce titre, inspiré du Tao, couvre un roman hallucinant et terrifiant. Heureusement, la fin de notre Terre est prévue pour 2600 ; on ne sera plus là ! (NDLR : et la métempsychose ? !). Très bon roman! Fascinant, mystique ! Captivant! Sans doute un des chefs d'œuvre de Suragne le grand ! Oui, Pierre, tu as fait un bon bouquin. Ne t'inquiète pas. C'est un chef d'œuvre. Et les pubs-citations du début des chapitres rendent ton bouquin véridique. Tu as mis le temps, mais c'est un roman égal en qualité à Et puis les loups viendront et à La Nef des dieux. Ton héros est le parfait antihéros, et les psychoses diverses qui règnent sur la Terre illustrent parfaitement l'univers mortel vers lequel nous courons actuellement. Espérons que le premier et le dernier chapitre hors du texte du livre soient faux...
Glupsissimoo : Non, non et non, les Papillons ne sont pas le meilleur roman de Suragne. C'est sa meilleure idée, ce n'est pas son meilleur texte, car mis à part les paragraphes "hors texte" et les premiers chapitres, ça se traîne. Il n'y a pas le suspense attendu d'un Fleuve noir, c'est pénible. C'aurait pu être LA nouvelle de l'année, moitié moins longue, ce n'est qu'un roman parmi d'autres, inférieur à La Septième saison ou aux Loups...
Eric Vial : Même si c'est un peu pénible, un peu long, il faut faire ce que n'a pas fait Glups, s'armer de courage et persévérer, pour découvrir le vrai talent de Suragne... Bien sûr, si on lit ça comme un Bessières ou un Randa, on est déçu... Il aurait fallu la couverture argent des bouquins de Klein pour qu'on prenne au sérieux ce bouquin génial, mais qui n'est pas à sa place dans une collection de détente et de suspense. Suragne dépasse ses confrères du FN de la tête et des épaules, et c'est à cause de cela qu'il irrite Glups ou Frog, qui ont trop l'impression qu'un FN doit être un FN, et rien de plus... Alors disons que ce n'est pas un Fleuve noir, et profitons du fait qu'il est vendu aussi bon marché que si c'en était un...
Horizons du fantastique
N° 32, bimestriel, 2ème trim. 1975. Richard D. NOLANE, pp. 74-75
Le F.N. sortirait-il de ses centrales nucléaires et autres gadgets de la société pourrie enfantée par le Capitalisme Immonde pour se tourner vers la SF moderne virant à gauche, vers le Paradis Écologiquement Libre chanté par le barde René Dumont ? Hé là! Mais qu'est-ce qui se passe ? T'as pas fini, espèce de Bernard Blanc à la manque ? Non mais... On essaye de saboter les critiques des copains! Vas-tu sortir de ma machine, petit démon! Et tâche de ne pas y revenir, sinon je t'écrabouille. Compris! Je disais donc, ou plutôt, j'essayais de dire que notre ami Suragne continuait son ascension régulière en direction du firmament, malheureusement bien peu étoilé, de la SF d'expression française. Mais si les papillons trichent, c'est avant tout la pénétration consciente de Pierre Suragne dans les univers piégés hantés par les fantasmes qui nous submergent un peu plus chaque jour, si habituellement dévoilés par Philip K. Dick. D'ailleurs, Pierre ne s'est jamais caché d'être un inconditionnel de Dick et il avait même eu l'intention de lui dédicacer ce livre. Seule, sa modestie l'en a empêché et non la tenue du roman. On pourrait croire qu'il n'a fait qu'imiter le maître américain. Ce serait une erreur quand on connaît la force de caractère de Pierre Suragne qui s'annonce comme une sorte de Stefan Wul de la SF moderne en remaniant d'une manière originale des thèmes considérés déjà comme classiques en son sein. Le cas de Mais si les papillons trichent illustre à mon avis très bien cette manière d'aborder l'œuvre : nous avons ici un mélange subtil d'Ubik et du Maître du haut château, mais orchestré de telle façon qu'il en sorte un roman original basculant dans le non-sens et dans la non-existence pure et simple au niveau des acteurs du drame qui se déroule au fil des pages. Je ne ferai qu'une seule réserve concernant la forme : pourquoi alourdir le développement de l'histoire par six ou sept pages de politique à haute dose qui ne serviront en fin de compte qu'à prêcher des convaincus ? Pourquoi avoir fait ce matraquage qui ne s'imposait pas puisqu'il ne faisait que redire ce qui était habilement distillé dans le reste de l'ouvrage ? A vrai dire, Pierre n'a pas pu me l'expliquer lui-même. Sacré subconscient! Faire de la politique dite "de gauche" deviendrait-il une névrose en notre époque troublée ? Attention, cela pourrait finir par être dangereux. Mais peut-on résister à entrer dans cet univers où durant La Septième saison, Mal Iergo le dernier, L'Enfant qui marchait sur le ciel vola La Nef des Dieux pour pénétrer dans la Mécanic jungle bien qu'il soit certain que les papillons trichent et qu'un jour ou l'autre les Loups viendront ? Mais le plus terrible n'est-il pas l'existence d'un Dieu truqué ? Comme bon nombre de choses en ce bas monde, d'ailleurs...
Univers 02
Septembre 1975, pp. 175-176. Italo et Tomaso TOMASINI
Dans une étude concernant la coll. Anticipation du Fleuve noir, ces deux auteurs citent Pierre Suragne comme l'un des trois meilleurs auteurs de la "période moderne" de cette collection : "Suragne (qui a débuté dans le roman-western sous son vrai nom: Pierre Pelot) est plus attiré vers les sombres perspectives de l'avenir proche, qu'il recrée à l'ombre de ses maîtres : Sturgeon et Dick. [...] Agé de 29 ans, (Pierre Suragne) se lance à travers tous les thèmes explorés par ses aînés avec une fougue juvénile et une ardeur de néophyte. Parfois, ça rate, mais souvent la variation est originale, et bien enlevée par un style violent, rugueux, imagé et très efficace. Oeuvres : La Septième saison, n° 505 (une planète se venge "écologiquement" d'une invasion humaine), La Nef des dieux, n° 544 (Le retour des Atlantes), Mais si les papillons trichent..., n° 612 (interpénétration de deux univers mentaux).
L'Année 1982-1983 de la Science-Fiction et du Fantastique
Dirigée par Daniel RICHE, p. 127
Soyez heureux et fiers car vous êtes citoyens de l'Union Fasciste des États d'Amérique. Suragne s'engage sur la voie dickienne. Et ça marche!
La Liberté de l'Est
14 février 1995. Raymond PERRIN
Pierre Pelot : un maître reconnu de la science-fiction et du fantastique français
[...] L'illusion messianique : faux prophètes et compagnie
Des romans à l'allure dickienne, des "récits-gigognes" peuvent envelopper, masquer l'approche métaphysique.
Mais si les papillons trichent, où se cache la vérité ? En l'an 2534 , le prêtre Price Mallworth, Parleur sans conviction, névrosé, connaît des résurgences dans un autre monde et à d'autres époques de sa vie. En fait, sa femme Natacha et lui sont les inventions de deux créateurs dont l'un triche, puisqu'il intervient dans la fiction de son partenaire. Ces personnages vagabondent entre deux univers aux réalités énigmatiques [...]
Page créée le samedi 18 octobre 2003. |