Aux temps anciens, disent les vieux, il y avait sur terre des périodes de jour et des périodes de nuit. Au jour, le soleil brillait… Ce n'était pas la nuit perpétuelle, et la neige, et le froid.C'est ce que disent les vieux… Mais les vieux sont-ils sages ? Ont-ils encore toute leur raison ? Que font-ils d'autre, les vieux, sinon attendre dans la grotte la venue des "machines volantes" du Gouvernement ? Et prier, et radoter…
Il y a longtemps que Ars ne croit plus ce que disent les vieux, longtemps qu'il a soif d'une révolte brûlante. Et c'est ainsi que ce jour-là, dans une terrible explosion de sang, Ars naîtra une seconde fois. C'est ainsi qu'il connaîtra Aliane, et la violence, et la folie, et l'horreur de ce monde voué au règne des loups… (4ème de couverture, 1973).
Ils étaient environ une quinzaine.
Quelques années plus tôt, ils étaient encore cent. Et puis, le froid s'était mis à grandir, et mille nouveaux bras avaient poussé au spectre de la mort. Les enfants chétifs s'étaient éteints les premiers, comme ces petites flammes vacillantes qui tremblotent péniblement au-dessus des coupelles des lampes à suif. Soudain bleus et raides comme des bûches. Ou bien encore, ils se mettaient à tousser, puis à cracher du sang. Quelques jours, pas davantage. Et puis, ils mourraient.
Ensuite, en nombre croissant, des femmes s'étaient couchées pour ne plus s'éveiller. Et aussi les vieux, ceux qui avaient dépassé le cap de la trentaine. De ceux-là, il en restait quelques-uns, mais très peu.
Ils restaient environ une quinzaine, sur cent et plus.
Ils n'étaient pas tous visibles, dans la pénombre lourde qui mangeait la grotte. On apercevait nettement ceux qui se trouvaient à proximité immédiate du feu. Les autres, confondaient avec les caries et les excroissances de la roche.
Mais tous priaient.
Un murmure, une rumeur sourde qui roulait doucement, menant un combat désespéré contre les hurlements du vent, à l'extérieur. Parfois, ce vent noir lançait quelques attaques directes à l'intérieur de la grotte, brassant les peaux tendues qui prétendaient fermer le gueule au-dehors.
Alors, la maigre flamme fumeuse du feu se couchait davantage, roulait, et les braises devenaient blanches, palpitantes. La rumeur des prières montait un ton plus haut, comme un élan une force amplifiée. Cela durait jusqu'à ce que le vent s'en aille, que les peaux durcies et mal tannées retombent avec des gémissements sur l'entrée de la grotte.
Voilà comment c'était.
Depuis des jours et des jours.
Depuis trop longtemps.
Fleuve Noir Informations
1973
Quelle est la différence entre un homme et un loup?
Qu'est-ce qu'un homme? Est-ce que cela ressemble aux vieillards larmoyants qui vivent dans les grottes du Pays de la Nuit ? Ces vieillards qui geignent, qui prient, qui attendent les "machines du Gouvernement" ? Et qu'est-ce que cela peut être, le Gouvernement ? Un Dieu?
Ou bien encore, les hommes sont-ils de cette race de pillards qui sillonnent les étendues du pays ravagé, dans l'immense nuit éternelle ? Sont-ils ces renégats sans cause, ces affameurs, ces destructeurs qui ne croient plus en rien, même pas en leur folie ?
Qui sont les hommes... c'est la question que se pose Ars, qui est né dans la grotte sur la montagne, qui a grandi dans la grotte. Et puis, un jour, Ars rencontrera les rebelles, et Aliane, la femme qui porte un enfant en elle. Ars rencontrera la folie, la mort, la violence, l'horreur et le sang... ainsi qu'un petit bout d'espoir dans tout cet épouvantable fatras.
Mais les hommes, comme les loups, ont-ils droit à l'espoir ? Et aussi, méritent-ils l'espoir ?
Qui sont les loups ? Qui sont les hommes ?
Fiction
N° 242, février 1974. Denis PHILIPPE, pp. 170-171
Autre "jeune" du Fleuve dont les promesses ont largement éclaté, Pierre Suragne est à l'opposé de Jan de Fast. Alors que le premier modèle de roman en roman un univers stable et précis, le second se cogne la tête dans toutes les directions ; alors que la prose du premier est plate et rectiligne, celle du second est boursouflée d'images violentes. Cette tendance à la couleur, à la métaphore, est particulièrement voyante dans Et puis les loups viendront. Mais il faut dire que le sujet appelait un traitement à coups de hache : il ne s'agit de rien de moins que de la description de la survie et des combats de quelques groupes d'hommes qui, vers le milieu du XXI° siècle, essayent de reconstituer un semblant de civilisation après un conflit nucléaire qui a lui-même entraîné un écocataclysme et l'arrivée sur la Terre d'un nouvel âge glaciaire.
Sujet bateau, on s'en doute ! Mais Suragne, auteur pessimiste, y met au moins de la conviction : "Ces villes entières, soufflées net. Embrasées, rasées. La mort aux longues dents bâfrant en quelques secondes plusieurs millions de vies humaines, femmes, enfants, vieillards, sans distinction aucune, vorace et échevelée. La mort en plein ciel, soufflant des hôpitaux dans lesquels on s'acharnait à vivre, rasant des cliniques et des maternités dans lesquelles on commençait à vivre" (p. 76). Le schéma du roman, linéaire et ramassé dans le temps, est axé sur l'errance d'Ars et d'Aliane, deux survivants rongés par des maladies mutationnelles, qui veulent fuir les montagnes glacées où s'abritent leurs clans et descendre vers le sud, vers la chaleur qui y règne peut-être, vers ces terres où s'abrite peut-être ce mythique Gouvernement dont les hélicoptères surgissent parfois dans le ciel bouché pour parachuter des vivres. Mais les deux jeunes gens, irrécupérables à cause de leurs tares congénitales, sont abattus par ceux-là même qu'ils voulaient rejoindre : le "projet Cleaning" n'admet pas de cas particuliers, le rouleau compresseur de l'assainissement planétaire doit passer.
Ce qui a surtout intéressé Suragne, c'est la haine désespérée des survivants malades, affamés, grelottants, pour qui la connaissance est l'ennemi numéro un : "Nous tous, sur cette Terre maudite, nous sommes les produits de l'intelligence des hommes ! Nous, avec nos malformations, avec nos yeux qui ne voient pas, avec les doigts qui poussent en surnombre à nos mains, avec nos gueules de monstres ! Avec les ventres des femmes qui accouchent des horreurs, avec les couilles des hommes plus sèches que des buissons d'épines ! L'intelligence ! L'intelligence nous a donné la nuit et le froid !" (p. 65). L'ouvrage en entier n'est fait que de meurtres, de vomissements, de décapitations, d'entrailles qui éclatent, d'expectorations. N'y aurait-il pas là, toutefois, quelque complaisance ? On sait que la frontière entre la dénonciation et la fascination est souvent bien difficile à tracer, et Suragne, avec son indéniable "facilité" d'écriture, s'est sans doute laissé entraîner un peu loin sur la pente de l'horreur pour l'horreur, de même que son goût pour les images fortes ("squelettes de métal tordu... (corps) raides et bleus comme des bûches... froid brut comme un coup de couteau... comme un piège aux dents de fer...") est à la longue lassant, car n'échappant pas toujours aux clichés. Mais il est juste aussi de dire que son dernier bouquin vous empoigne et vous touche, malgré une irritation superficielle, et que c'est cette sensation de désespérance absolue qui s'en dégage qui restera dans les mémoires.
Nadir
N° 2, juin 1974, Jean HENRY, pp. 39-40
Pour son sixième livre dans la collection Anticipation, Pierre Suragne nous apporte en 250 pages garanties, ses univers apocalyptiques. De quoi réjouir les nombreux hystériques qui guettent du plus haut de leur tour, la parution d'un de ses nouveaux ouvrages. En effet, depuis quelques mois, quelques trop rares écrivains du Fleuve (dont Suragne) se sont placés en orbite, laissant dans leur crasse habituelle les tristes sires barbouilleurs de pages dont je tairai le nom par pitié. Pour revenir au livre, c'est un excellent Suragne, quand même à mon avis un peu inférieur à son premier bouquin La Septième saison, mais qui dépasse très facilement le niveau habituel de la collection. Il manque presque toujours aux bouquins de Suragne ce petit rien qui transforme un bon bouquin en "chef-d'œuvre accompli". Ce n'est pas par méchanceté que je dis cela, car Pierre Suragne est un de mes auteurs français préférés. Mais je crois que ce petit rien viendra avec les prochains romans. Et puis je suis un peu blasé de ces grandes catastrophes qui arrivent à notre putain de planète. Allez, je vais vous dire mon secret : pour moi, les loups sont déjà venus, et ils ne sont pas repartis. Va falloir aller à la chasse.
Pourquoi j'ai tué Jules Verne
Bernard BLANC, 1978, p. 56
On lira aussi Pierre Suragne, Et puis les loups viendront (FN n° 557), Mais si les papillons trichent (FN n° 612) et Le Dieu truqué (FN n° 625). Sans oublier La Septième saison (FN Super luxe, n° 38)... Sous le grand souffle épique de l'aventure, il fait passer quelques messages politiques d'importance qui tournent presque tous autour de l'anti-autoritarisme. Mais Pierre Suragne, alias Pierre Pelot, a toujours des problèmes pour faire passer ses romans, souvent refusés parce que trop engagés.
Page créée le mercredi 15 octobre 2003. |