L'envoûtement... On y croit ou on n'y croit pas, mais en aucun cas ce phénomène qui guide la majeure partie des civilisations contemporaines peut nous laisser indifférents. En effet, et sans que nous osions même nous l'avouer les uns les autres, chacun dans son milieu et avec ses propres moyens cherche à soulever un coin du voile pour essayer d'y voir plus clair.
Sans pour cela estimer posséder la solution, Pierre Suragne, dans cet ouvrage, entreprend de démontrer, par le biais d'un cas bien précis, que personne ne peut se sentir totalement à l'abri. Un texte à ne pas écarter... (4ème de couverture, 1976).
La route menant au bourg était de terre battue et de caillasse pilée. Depuis des années, il était question que les Ponts et Chaussées y coulent un jolis tapis d'asphalte, mais c'était devenu comme un rêve. Le bourg n'était probablement pas suffisamment important, avec sa douzaine de maisons serrées autour de la petite chapelle, ses quelques fermes plantées sur les flancs des collines environnantes.
Le chemin de terre décrochait de la nationale qui grimpe vers le col, vers la Haute-Saône, de l'autre côté. Il descendait d'une façon plutôt raide dans le val, et sur plus de trois cents mètres surplombait le bourg. Un mur de pierres rudes l'empêchait de s'effriter sur le vide. Sur l'autre bord du chemin, il y avait des maisons. Quelques maisons. Exactement sept maisons, dont une, seulement, était encore habitée. Les autres n'étaient plus que ruines. Dans les temps passés, le bourg était encore quelque chose de vivant. Il s'étiolait de jour en jour, d'année en année.
Pour les jeunes, quatre en tout, comme d'ailleurs pour ceux qui ne l'étaient plus vraiment, les travaux de ferme ne valaient plus la peine qu'on s'y crève. Restaient les femmes qui s'occupaient de quelques vaches sans trop de mal. Les grimpaient dans leurs voitures et s'en allaient gagner de l'argent dans les puanteurs molles de la tannerie du Thillot. Et même, certaines femmes et jeunes filles y allaient également. Ou bien elles prenaient le car qui les conduisait à une dizaine de kilomètres de là, dans une usine de tricots.
C'est vrai que Château-Lamey était en train de crever.
Les maisons abandonnées s'écroulaient chaque jour davantage, couvertes de mousse et d'orties ; les arbustes qui poussaient dans les décombres étaient chaque année un peu plus hauts au-dessus des toitures lépreuses.
Les jours d'été étaient plus gais. Souvent surtout les jeudis, des guirlandes d'enfants conduits par des Sœurs en cornettes ou des abbés suants s'éparpillaient dans le village, et une messe était dite derrière la chapelle, trop petite pour contenir ces essaims bruyants. Ensuite, les enfants grimpaient tout en haut de la colline de la Vierge, et ils faisaient des jeux autour de la statue décapitée par l'orage. Notre-Dame-de-Château-Lamey. C'était une sorte de pèlerinage, et on ne savait plus pourquoi exactement. Pas plus qu'on ne se souvenait de ce qu'avait fait le bourg pour mériter ce nom de "Château-Lamey", vu qu'il était impossible de retrouver à dix kilomètres à la ronde le moindre château. Pas même ses ruines.
En été, il y avait aussi des touristes.
Piranha
Fantastique, SF, insolite, revue bimestrielle.- Paris, I/1977, n° 3. Albert Méssamorh, alias VOLNY, p. 55
En suivant les parutions du Fleuve noir, on commençait à se demander si Suragne n'avait pas laissé tomber la Science-Fiction. Ces derniers temps, deux Suragne sont sortis, deux bouquins fantastiques... Elle était une fois... et Le Septième vivant, dans la collection Super Luxe, n° 25 et 27...
Ces deux livres ne sont cependant pas négligeables. Dans le genre, ils sont même d'un excellent niveau, Le Septième vivant en particulier. Dans cet ouvrage, Suragne nous transporte une fois encore dans le milieu des petits paysans qu'il affectionne tant. Des êtres qui font corps avec leur terroir nous proposent une tranche de leur vie sur un fond d'envoûtement.
Mais, pour une simple question de goût, je préfère la S.F., et je reste sur ma faim.
Et soudain, c'est l'avalanche. Apparaissent coup sur coup : Les Barreaux de l'Eden chez J'ai Lu, Foetus Party chez Denoël, et Le Sourire des crabes à paraître en avril aux Presses de la cité.
Le seul changement, c'est le nom. Suragne a repris son vrai nom: Pierre Pelot... Et ce, chez trois éditeurs différents...
Je n'ai lu que le premier pour l'instant : Les Barreaux de l'Eden. En 280 pages, Pelot démonte tous les mécanismes d'un certain pouvoir... Et si ce monde semble bien loin dans le futur, les mécanismes ne nous semblent pas étrangers...
On ne le dira jamais assez... Lisez Pelot!... Dans le n° 2 de Piranha, vous avez d'ailleurs pu lire une de ses nouvelles...
Page créée le samedi 25 octobre 2003. |