Le Sourire des crabes

 
 
  • Pierre Pelot
  • 1977 | 69ème roman publié
  • SF
 

Date et lieu

Dans un futur proche (1993 !), de Marseille à Strasbourg...

Sujet

Cath et Luc ont fait quelque chose de défendu. De très défendu. Et les crabes se sont mis à sourire... Alors, ils sont partis tous les deux. Loin de leurs parents. Sur l'autoroute. Direction : le bout de la nuit. Et vite. Vite ! Vite ! Un livre dur, sans concession. Une violence à couper le souffle. Un mépris total des interdits et des tabous. Une explosion de sang et de colère. Et surtout une dynamique, une rapidité qui vous entraînent sans vous laisser un seul instant pour respirer. Livre déconseillé aux personnes sensibles ! (4ème de couverture, 1977).

Pierre Pelot, le plus vosgien de nos auteurs contemporains, fête cette année ses trente ans de carrière, parcours exemplaire fort de cent cinquante romans appartenant à des genres aussi divers que le polar, la science-fiction, le fantastique ou le western. Une bonne occasion pour republier Le Sourire des crabes, l'un de ses meilleurs livres dans le domaine de la SF... De Marseille à Strasbourg, en direct à la télévision, Pelot ensanglante une France totalitaire et ce, au-delà de tout ce qui a été fait précédemment dans le genre. Roman inoubliable ? Sans aucun doute... Road-story au goût de poudre, sur fond de manipulations médiatiques et d'inceste, publié pour la première fois quinze ans avant la sortie du film Tueurs-nés, Le Sourire des crabes est un des romans les plus importants de la science-fiction française. Pierre Pelot crie dans ces pages toute sa volonté de vivre libre, et pour cela sa machine à écrire brise tous les tabous, s'attaque à nos certitudes jusqu'à l'intolérable. Aurez-vous le courage d'aller jusqu'au bout de la route avec Luc et Cath ? (4ème de couverture, 1996).

 

La petite histoire... Classé parmi "les douze meilleurs livres de SF de l'année 1977" par Maxim Jakubowski (Les Nouvelles littéraires, n° 2617, du 5 janvier 1978).
Dans Fiction (N°346, décembre 1983, p. 176), Pelot écrit : "Le Sourire des crabes a été refusé onze fois avant que Jacques Goimard-le-Preux l'accepte, [...] c'est un bouquin maintenant épuisé, comme tant d'autres sur le paquet que j'ai pondu, pas réédité, comme des tas d'autres qui semblent ne plus intéresser personne et agonisent doucement dans leur tombeau naturel : les rayonnages des "clients", au lieu de plastronner en vitrine des marchands, tout neuf et tout beau".

 

Éditions

Couverture de Wojtek Siudmak.

  • 1ère édition, 1977
  • Paris : Presses Pocket , I/1977 [impr. : 24/03/1977].
  • 18 cm, 246 p.
  • Illustration : Wojtek Siudmak (couverture).
  • (Science-Fiction ; 5003). Collection dirigée par Jacques Goimard.
  • ISBN : 2-266-00348-8.
  • Réimpressions : 1984, 06/1988.
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  • 2ème édition
  • Tours : Association des donneurs de voix, [s. d.].
  • Enregistrement sonore in extenso (5 cassettes audio).
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    Couverture de Dylan Pelot.

  • 3ème édition, 1996
  • Amiens : Encrage-Destination Crépuscule, septembre 1996 [impr. : 08/1996].
  • Préface et entretien avec l'auteur par Claude Ecken, postface de Serge Delsemme.
  • 20 cm, 172 p.
  • Illustration : Dylan Pelot (couverture).
  • (Lettres Science-Fiction ; 3). Collection dirigée par Gilles Dumay.
  • ISBN : 2-911576-02-0.
  • Prix : 85,00 F.
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    Couverture : Marc Simonetti.

  • 4ème édition, 2008
  • In Orages mécaniques.
  • Paris : éditions Bragelonne, août 2008 [impr. : juillet 2008].
  • cm, 504 p.
  • Illustration : Marc Simonetti (couverture).
  • (Les Trésors de la SF). Coll. dirigée par Laurent Genefort.
  • ISBN : 978-2-35294-209-2.
  • Prix : 25 €.
  • Ce volume comprend : Kid Jésus (pp. 7-210), Le Sourire des crabes (p. 211-370), Mais si les papillons trichent (p. 371-482).
  • Edition revue et corrigée par l'auteur.
  • Postface de Claude Ecken : L'Homme qui attrapait les histoires (p. 483-498).
  • 4e de couv. : Sur la Terre d'après le Chaos, il y a de nouveau les maîtres et la populace. Il y a aussi les Fouilleurs qui creusent les ruines, à la recherche des vestiges d'antan... et parmi eux, celui qui deviendra Kid Jésus.
    Soyez heureux et fiers, car vous êtes citoyen de l'Union Fasciste des Etats d'Amérique, le pays doté du plus faible taux d'Anormaux du monde ! Surtout vous, Price Mallworth, prêtre de la Nouvelle Religion Catholique Eclairée. Même si, peu à peu, l'univers se fissure et que des questions interdites vous taraudent...
    Cath et Luc ont fait quelque chose de défendu, et les crabes se sont mis à sourire. Alors ils sont partis tous les deux. Loin de leurs parents, sur l'autoroute sans fin. Direction : le bout de la nuit.
    Pour la première fois sont réunis trois romans appartenant à la veine la plus violente de l'auteur. Un apprenti messie, un prêtre paumé et un couple maudit - de sombres héros, pour un futur sans illusion.
    Kid Jésus, Mais si les papillons trichent et Le Sourire des crabes : les trois romans coup de poing de l’auteur qui a fait rimer futur et no future.

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  • 5ème édition, 2012
  • Paris : éditions Bragelonne, 17 décembre 2012.
  • (Bragelonne Classic).
  • Livre numérique.
  • 112 p.
  • ISBN : 978-2-8205-0810-2.
  • Prix : 2,99 €.
  • Cath et Luc ont fait quelque chose de défendu, et les crabes se sont mis à sourire. Alors ils sont partis tous les deux. Loin de leurs parents, sur l'autoroute sans fin. Direction : le bout de la nuit.
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    Première page

    La maison était douce, les bruits n'y venaient pas.

    Polipotern dansait quelque part au-dehors, ou ailleurs, je ne sais pas. Je ne sais pas encore, et ne connais pas Polipotern.

    La maison était douce, molle bien taillée sur mesure. A ma mesure. C'est bien.

    Je dors.

    Il y a une porte à ma maison, porte que je pousse, en souriant, car je souris toujours. Il fait chaud, il fait mou. J'ai le choix. Alors je choisis la mer - je ne sais pas ce que c'est, mais je choisis la mer. A cause de l'eau, peut-être... C'est certainement à cause de l'eau.

    C'était ainsi depuis toujours, depuis cette première fois où quelqu'un inventa le mot TEMPS. La maison molle et agréable, avec la porte poussée, sur la mer ou le sable. Avec la chaleur du soleil. Et j'ai su que les choses allaient changer.

    Et les choses ont changé.

    Il s'est approché de moi. Je ne le connaissais pas , je ne connaissais personne, et je croyais, d'ailleurs, qu'il n'y avait personne à connaître en ce monde. Il est arrivé.

    Bonhomme à ma taille, solide et tendre, descendu du ciel comme si quelqu'un me le présentait au creux de sa gigantesque main.

    - Luc, Luc ! regarde moi !

    Pantin qui tremblait au bout de ses ficelles.

    - Polipotern, c'est moi.

    Il était avec moi, sur le sable, et la mer sans limite nous avait cernés, lui et moi, sur une île. Lui et moi. Polipotern et Luc.

    Il avait de grands yeux rouges, un visage à carreaux. A ma mesure et bien chaud, et ami.

        Polipotern a vu la lune
                Polipotern a vu la lune
                Elle était grasse, corne de brume
                Polipotern a vu la lune...

    J'ai su, quand il m'a pris dans ses bras, que j'étais terriblement seul.

    Le seul.

    Il était là pour me guider, pour me tenir compagnie.

    Il a dit :

    - Tu ne m'oublieras pas Luc . Jamais.

    Son langage était le mien - Polipotern était le seul à parler mon langage. J'ai dit que oui, bien sûr, je ne l'oublierai pas, et je me pressais contre lui, pour que sa chaleur repousse les vagues d'hiver qui se succédaient. J'ai dit...

    Bien sûr, je mentais déjà, comme n'importe qui. Mais je n'en savais rien.

     

    Épigraphe

    … l'assurance que j'ai de n'être sûr de rien (Henri Tachan).

     

    Revue de presse

    Science-Fiction magazine

    Mensuel, n° 6, printemps 1977. Marianne LECONTE

    Pierre Pelot, avec Le Sourire des crabes, dans la nouvelle collection de Presses Pocket, étudie la psychologie des damnés de la société de consommation, ces damnés pour qui la violence et l'anarchie activiste deviennent les seules voies possibles pour faire exploser l'ordre en cours. Une histoire d'amour entre un frère et une sœur, tous deux schizophrènes, qui partent en voiture pour le voyage de la dernière jouissance, semant la mort et la destruction sur leur passage. Un univers de folie, en prise directe sur l'actualité quotidienne. A signaler les magnifiques couvertures de Siudmak qui illustrent cette collection.

     

    Alerte !

    N° 1, 1977. Daniel MARTINANGE, pp. 176-177

    L'enseignant qui fourre dans la tête du môme des principes de respect du supérieur, de fierté de son pays sous peine de délinquance, c'est du CIVISME, pas de la violence... Et la machine qui te broie, qui décide de ta vie, de ta profession dans les ornières autorisées par la rentabilité et le profit, c'est de l'ORIENTATION, pas de la violence! Le sens du péché inculqué dans les cervelles malléables des mômes, c'est la RECHERCHE DU BIEN, pas la violence !

    C'est plein de rêves. C'est plein de caresses. Cath et Luc sont frère et sœur. Ils s'aiment tant qu'ils font l'amour et y prennent plaisir. C'est interdit, comme vous le savez, faut pas entre frère et sœur, c'est pas beau, le pape, Giscard et Brejnev veulent pas, ils disent que ce n'est pas normal. Alors Cath et Luc sont-ils schizophrènes parce que c'est interdit de s'aimer de chair entre frère et sœur - la folie, c'est souvent de prendre les chemins défendus. Et parce que Cath et Luc s'aiment et que pèsent sur eux le poids insupportable de la société de consommation et de la morale qui nous tracent les chemins à suivre et nous indiquent ceux à ne pas suivre, fous de leurs corps et de leurs rêves, fous de vraie vie, ils vont prendre la fuite. "Quand on s'aime, on prend la fuite", a dit quelque part Rezvani. Luc et Cath le font, mais détruisent sur leur passage les supermarchés, les restaurants d'autoroutes où des robots humains hallucinés se remplissent la panse avant d'écraser l'accélérateur... Cette société qui les a catalogués comme fous, ils vont la détruire...

    C'est plein de rêves, de caresses et de sang. Variation cruelle sur la folie, sur l'amour, trémolos rouges et noirs sur l'Ordre et ce que beaucoup appellent la Révolution, sur ceux qui voudraient changer le monde mais ne font que s'inventer de nouvelles cages... Pelot crie, hurle, il s'en donne à cœur joie. Il y en a sûrement qui ont dû faire la fine bouche en lisant Le Sourire des crabes de Pierre Pelot chez Presses Pocket ; moi, j'ai aimé, beaucoup. Il est important que ces choses essentielles soient dites dans une collection de Science-Fiction de poche à grand tirage.

     

    Les Nouvelles littéraires

    28 avril-4 mai 1977. Fançois RIVIERE

    Romancier prolifique - sous son nom et le pseudonyme de Pierre Suragne -, Pelot a tâté de tous les genres (à l'exclusion du policier) avec un égal bonheur et une force de persuasion très rare chez les auteurs protéens. Mais c'est assurément avec ses récits de SF qu'il donne le meilleur de son talent, et singulièrement lorsqu'il adopte la manière la moins conventionnelle, la moins codée, de ce mode romanesque. Le Sourire des crabes rassemble toutes les qualités de Pelot, mises au service d'un projet ambitieux, à peine "éraflé" par l'emploi de métaphores encore trop proches du contexte romanesque classique. L 'histoire que nous conte l'auteur, avec cette foi et ce vérisme qu'on lui connaît, est celle, terrifiante, d'un frère et d'une sœur de notre avenir apocalyptique, enfants du désespoir réunis dans une sublime folie incestueuse qui les confronte dangereusement à la société hyper-civilisée de leur temps. Une violence inouïe teinte chacun de leurs actes, de fuligineuses visions (celles de l'acide, d'une défonce totalement assumée) les emportent vers la cité de leur rêve, Polipotern, un monde parallèle dont Pierre Pelot décrit les émois avec une bien troublante vérité de mots... A bord de leur Panther IV, Cath et Luc sèment la mort pour calmer un instant leur folie. Cela commence par l'explosion démente d'une station-service, le meurtre horrible d'un citoyen innocent et cela n'en finit plus. L'auteur nous emmène jusqu'au bout d'un cauchemar d'autant plus prenant qu'il est déjà vécu, dans ses "intentions", par une frange de plus en plus dense de jeunes déviants. Gare !

     

    Crytik

    N° 2, novembre 1977. M.J.C. Vandoeuvre. Page 19

    Un univers illusoire aussi, mais (relativement) intéressant. (Que le Grand Truc me troque!). Rageusement défoulatoire (il y est question d'un prince prénommé Michel, qui se serait illustré dans cet univers chimérique par des opérations coup-de-poing), doucereusement nihiliste (A offrir à votre chef scout, Carcinome jovial). Assez bon.

     

    L'Année 1977-1978 de la Science-Fiction et du fantastique

    Paris : Julliard, 1978.  J.-P. F., p. 207-208

    L'histoire : Si Luc doit conduire sa sœur/amante au centre de réorientation de Strasbourg II, peut-il transformer ce voyage en commando suicide ? Quant à Polipotern, n'est-il vraiment qu'un bout de chiffon sale, ou plutôt la clé vers un merveilleux ailleurs ?

    A notre avis : Si Pelot ne laisse jamais indifférent, ici, c'est à une véritable agression qu'il se livre, contre lui-même et contre son lecteur. Un roman d'une violence saine parce qu'elle révèle les oppressions les plus banales. Un cri de rage salutaire.

     

    Le Sommeil du chien

    Roman de Pierre PELOT, Kesselring éditeur, décembre 1978. Jean-Pierre ANDREVON

    Le voyage au bout de la nuit, maintenant, c'est plus les Amériques, c'est l'autoroute, celle qui mène nulle part ou, si on veut, et c'est la même chose, aux enfers. Le roman de Pelot, c'est une descente aux enfers du siècle, toute idéologie bue : On ne dire plus "ministre", mais "délégué du peuple", ou quelque chose d'approchant. On ne dira plus "gouvernement", mais "conseil révolutionnaire (…) vous des citoyens-libres-et-conscient… Reste un anarchiste sauvage et ricanant, mais du rire jaune du désespoir.

    Alors comme on n'a plus rien à perdre, on aligne les archétypes : la folie ( elle vous guette, la petite bêbête de la schizophrénie), l'amour-passion-tabou (l'inceste), le paysage sans espoir de la ville polluée, l'hyper-violence couleur orange (mécanique), les temples profanés de la consommation, et bien sûr les marionnettes attendues que sont les "flics noirs". Et en avant la zizique ! On fait pas dans le détail, chez Pelot. On aligne les mots, cadence de tir : mitrailleuse lourde. Et ça porte !

    Une petite chanson aussi vous trotte dans la tête, placée là comme un garde - fou, de quoi vous retenir un tout petit moment au bord de la tendresse éperdue, au bord de l'humain, quoi, avant de plonger :

    Polipotern a vu la lune
    Elle était grasse, corne de brume
    Polipotern a vu la lune…

    C'est la chanson des enfants perdus, qui se prennent d'amour pour un mannequin (symbole) à nom symbolique : Poli de Police ou de Polis (la Ville), un bel amalgame, Poterne de sortie, qu'on n'atteint pas…

    OK, Pelot, on a compris : tout ça, c'était trop beau, tout ça, c'était qu'un rêve. Et toi tu es trop bon écrivain pour lâcher tes archétypes au premier degré : tu sais retomber à temps dans les demi-teintes de la grisaille quotidienne. Pirouettes ? Sourire grimaçant du crabe qui prend la tangente : la vie continue.

     

    Catalogue des âmes et cycles de la S.F.

    Stan Barets. Paris : Denoël, 1981, Nouv. éd. rev. et augm. (Présence du futur; 275)

    Voyage au bout de la nuit : l'autoroute mène aux enfers ceux qui brisent les tabous, l'inceste, la violence, ceux qui fuient société, police, pollution. Une écriture jaculatoire.

     

    La Liberté de l'Est

    14 février 1995. Raymond PERRIN

    Pierre Pelot : un maître reconnu de la science-fiction et du fantastique français

    [...] L'homme aliéné, victime et bourreau, en quête d'une identité

    Que de fois le personnage pelotien se dédouble, se disperse, ballotté par le maelström des violences de l'existence ou de sa propre mémoire ! (…)

    La peur peut pousser l'individu à se réfugier dans le pire de la violence aveugle ou de la folie pour fuir une réalité insupportable. Le Sourire des crabes a menacé deux frère et sœur qui ont bravé l'interdit en devenant amants. Luc, en conduisant sa sœur Cath au centre de réorientation de Strasbourg II, transforme ce voyage en un hallucinant massacre sur l'autoroute, dans une explosion inouïe de violence. Ce récit décapant et dévastateur explore à la fois la fuite de la folie-refuge mais aussi celle de la sexualité différente, en l'occurrence l'inceste [...].

     

    La Liberté de l'Est

    15 octobre 1996, supplément Livres en liberté N°343. Raymond PERRIN

    Pierre Pelot et les "yeux du crabe"

    On ne pouvait souhaiter plus belle réédition du roman de Pelot, Le Sourire des crabes. Les éditions Encrage, artisans exigeants, proposent une préface de Claude Ecken.

    Texte emblématique des années 70, Le Sourire des crabes est donc précédé par un panorama suggestif et complet réalisé par le spécialiste Claude Ecken. Ce connaisseur relate un long entretien avec le "Raconteur" Pelot, avant tout au service de l'Histoire, même si Serge Delsemme, en fin de volume, expose la portée visionnaire et prémonitoire de ce roman-charnière qualifié de "Livre ultime". Et la très belle couverture de Dylan Pelot atteste de la pertinence du point de vue.

    Des mots-bruts, des mots-projectiles

    Les lecteurs les plus récents de Pelot, ceux qui ont vu utiliser ce que Claude Ecken appelle "les armes de l'ironie, de l'humour"  - moyens plus sages que les cris, les "coups de gueule" d'antan ou les ressorts du "merveilleux scientifique", ne savent peut-être pas que le romancier était au cœur des débats tempétueux et soixante-huitards qui agitaient la S-F des années 70.

    S'il était en phase avec son époque, ce contestataire-né n'est pas tombé dans le piège de la littérature politisée et militante car il a toujours su et écrit que la révolte est vaine, la première tâche du romancier étant d'être le réceptacle idéal d'une histoire. C'est donc dans un contexte historique précis qu'est né ce roman dans lequel Pelot, comme son héroïne Cath, utilise "des mots-bruts, des mots-pierres, des mots-couteaux, des mots-projectiles". Pourquoi ? Parce que le monde peut faire peur au point de pousser l'individu à se réfugier dans le pire des pièges, celui de la violence aveugle ou de la folie dans laquelle on s'enferme pour fuir une réalité insupportable. Tel semble être le double cas de Luc et de Cath. Le Sourire des crabes a menacé le frère et la sœur qui ont bravé l'interdit en devenant amants. Enfermé dans ses fantasmes, le jeune homme doit conduire sa sœur Cath au centre de réorientation de Strasbourg II. En apparence anodin, ce voyage se transforme en un hallucinant massacre quand, note Stan Barets, "l'autoroute mène aux enfers ceux qui brisent les tabous, l'inceste, la violence, ceux qui fuient société, police, pollution". Des plasti-bombes font exploser stations d'autoroute et câbles de caméras-espions. Attaque de voiture, enlèvement de passagère, mitraillage de véhicules, destruction de restaurant et fusillade dans un supermarché... Triste bilan provisoire de l'équipée sauvage du frère et de la sœur avant que Luc ne roule sur la voie inverse et n'anéantisse motards et fourgon de flics... Mais est-ce bien la seule réalité qui est décrite puisque Cath, dans un état mental trop grave, ne peut aller à Strasbourg. Où est passé Luc, sans doute traumatisé par la nouvelle ?.

    Curieux roman prémonitoire que ce récit puisqu'on a vu en plein Paris, il y a quelques années, se dérouler réellement la semblable équipée meurtrière de deux jeunes gens (pas de noms : ne réveillons pas Erostrate ! ). Serge Delsemme a raison de replacer l'œuvre dans son contexte dramatique de 1977, époque de la "Fraction Armée Rouge" allemande et des "Brigades Rouges" italiennes.

    Un cri de rage mais plein de rêves et caresses

    De ce récit, paradoxalement considéré comme "roman d'une violence saine parce qu'il révèle les oppressions les plus banales", pour Jean-Paul Fontana, l'auteur écrivait : "C'est un des bouquins les plus tendres que j'ai écrits. L'univers est violent, mais les personnages ne sont pas violents. Ils sont perdus, paumés... Je les aime bien". Daniel Martinange dans Alerte n° 1, abonde dans ce sens : "C'est plein de rêves, de caresses et de sang. Variation cruelle sur la folie, sur l'amour, trémolos rouges et noirs sur l'Ordre et ce que beaucoup appellent la Révolution, sur ceux qui voudraient changer le monde mais ne font qu'inventer de nouvelles cages… Pelot crie, hurle, il s'en donne à cœur joie". Mais Marianne Leconte discerne surtout : "Un univers de folie, en prise directe sur l'actualité quotidienne". Elle se méprend toutefois quand elle croit que, pour "ces damnés de la consommation", "la violence et l'anarchie activiste deviennent les seules voies possibles pour faire exploser l'ordre en cours".

    Pour accoucher de cette histoire, dont l'écriture a été physiquement éprouvante, il fallait un style sans fioritures, "une écriture jaculatoire" dit Stan Barets.

    Quelle que soit la lecture qu'on en fasse, c'est sans doute le récit le plus violent et dévastateur du romancier. "Le voyage au bout de la nuit, écrit Andrevon, c'est plus les Amériques, c'est l'autoroute, celle qui mène nulle part ou, si on veut, et c'est la même chose, aux enfers. Le roman de Pelot, c'est une descente aux enfers du siècle, toute idéologie bue." On y sent aussi l'ombre de la folie, de la schizophrénie, en filigrane entre chaque ligne.

    De ce récit, paradoxalement considéré comme "roman d'une violence saine parce qu'il révèle les oppressions les plus banales. Cri de rage salutaire", pour Jean-Pierre Fontana, l'auteur écrit : "Pour accoucher de cette histoire, dont l'écriture a été physiquement éprouvante, reconnaît Pelot, il fallait un style sans fioritures", "une écriture jaculatoire ", selon Stan Barets. Andrevon ajoute : "On aligne les mots, cadence de tir : mitrailleuse lourde. Et ça porte ! "

    Le Sourire des crabes, qui a permis à Pelot "d'être enfin reconnu comme l'un des maîtres du genre S-F" selon Marc Duveau, dans Métal hurlant, explore aussi d'autres possibilités de fuite pour l'individu piégé par "une vie de dupe", acculé au vide : folie-refuge ou sexualité différente.

    Luc et Cath, frère et sœur tombés dans les fantasmes de la schizophrénie te de la paranoïa, jugés sans doute irrécupérables par la société normative, ont franchi la barrière de l'interdit. Ils ont été cernés par les crabes qui, regardant avec "de sales petits yeux de feu", se sont mis à sourire.

     

    Lire

    Novembre 1996. Alain GROUSSET

    Pierre Pelot est un robuste personnage qui vit tranquillement dans sa forêt vosgienne. C'est là qu'au fil des années, il a écrit plus de cent cinquante livres, passant en revue tous les standards du roman populaire: du policier à la science-fiction, sans oublier le western et le fantastique.

    Jamais Pierre Pelot n'a changé sa façon d'écrire. Sans concession - ce qui lui a joué bien souvent des tours - avec les modes passagères ou les desiderata fluctuants des directeurs de collection, il a su imposer une plume forte, pleine de rage et de révolte, tout à fait à l'opposé - apparemment - de sa propre image.

    La réédition du Sourire des crabes par Encrage, un de ses ouvrages les plus contestataires, paru lors du grand boum de la SF, à la fin des années 70, est l'occasion pour les jeunes lecteurs de découvrir l'un des meilleurs auteurs français. Alors pourquoi s'en priver ?

     

    Page créée le dimanche 26 octobre 2003.