Après onze ans de prison, Lou Carmaux est revenu dans son village. Dans le village où il a tué accidentellement un garçon qui menaçait Huguette, la jeune fille que Lou aimait. Il ne reste que les souvenirs : le pain perdu et les ruines de sa maison, ruines de son bonheur, sa mère à l'hospice et le village entier qui le rejette.
Un espoir cependant, l'Australie ou le Canada avec
Patte-Folle, l'ami fidèle. Une histoire forte et dure, qui interroge chacun
de nous. (4ème de couverture, 1991).
La petite histoire... Adapté pour la télévision en 1975 par Pierre
Cardinal.
Toutes vitres baissées, il faisait déjà chaud dans la voiture. Mais, lorsqu'ils se retrouvèrent derrière cet énorme camion dont le pot d'échappement vomissait des nuages tourbillonnants de fumée noire et puante, il fallut bien remonter les vitres. La chaleur augmenta encore, après quelques minutes de ce régime.
Le conducteur grogna un peu, bougonna tout en donnant de petites claques sèches et énervées sur son volant. Il était âgé d'une quarantaine d'années, environ. Il avait des avant-bras courts, boudinés et velus. Des taches de sueur marquaient aux aisselles sa chemise bleu pâle.
Devant, le camion roulait à une allure d'escargot. Un camion dans le style "déménagements en tous genres", avec une haute caisse métallique, sans couleur précise. Les portes de l'arrière étaient maculées jusqu'à mi-hauteur de poussière grasse.
Dans la voiture, le conducteur se mit à parler d'un film qu'il avait vu, et dans lequel il était question d'un duel entre une voiture et un camion, précisément.
- Vous n'avez pas vu ça ? demanda-t-il.
Lou écrasa sa cigarette dans le cendrier, prenant garde à ce que les cendres ne tombent point sur le tapis de sol.
- Non, dit-il.
Il ajouta :
- Ça fait un moment que je ne suis pas allé au cinéma, à vrai dire.
- On ne peut pas dire que j'y vais souvent, moi non plus, dit le conducteur. Mais, quelquefois, ça délasse. Et puis il faut sortir de temps en temps, pas vrai ?
- Bien sûr, dit Lou.
Il jeta un coup d'œil rapide au conducteur. Leurs regards se croisèrent l'espace d'une fraction de seconde, avant de se reporter, très vite, sur les volutes de fumée noire qui s'écrasaient sur le pare-brise.
- Et pas moyen de doubler, avec tous ces lacets, maugréa le conducteur après un moment.
En sens inverse, une file ininterrompue de voitures s'écoulait, comme une chaîne sans fin.
- Regardez-moi ça, dit le conducteur. Je parie que, sur toutes ces voitures, les huit dixièmes sont des Belges.
Il hocha la tête et eut un petit sourire :
- Les Belges, c'est de vrais oiseaux migrateurs. Parole ! Début juillet ils descendent vert le sud, et fin juillet ils remontent. C'est réglé comme du papier à musique. Pas vrai ?
Lou acquiesça, fit une grimace aimable. Vrai ou faux, cela lui était égal. Il se moquait des Belges et de leur migration… Derrière les vitres de la voiture, il y avait le soleil blanc sur la vallée ; il y avait les montagnes et leur pelage d'arbres verts.
Les montagnes, la vallée quittées dix ans plus tôt.
Page créée le dimanche 19 octobre 2003. |