L'Est républicain
20 janvier 1997. Propos recueillis par Christophe DOLLET
Pierre Pelot : un plongeon dans la Préhistoire
Sous le vent du monde, la grande saga de Pierre Pelot, sort demain, avec la caution scientifique d'Yves Coppens, le découvreur de Lucy.
Ce n'est pas l'embrasement, mais les médias frémissent sérieusement autour de Pierre Pelot. Le Nouvel Observateur de cette semaine - qui avait négocié l'exclusivité - consacre deux pages au dernier ouvrage signé par l'auteur de Saint-Maurice : Sous le vent du monde. Il sera l'invité d'Ex Libris lundi prochain.
C'est la première fois que je sens ça autour d'un de mes livres. Quand je me lève, je me dis c'est super. Et puis cinq minutes plus tard, ça me fout la trouille. Pour tous ces mecs qui réclament des interviews aujourd'hui, je n'existais pas jusqu'ici.
Ce n'est pas faute d'avoir signé 160 ouvrages. Mais en se coulant dans la peau des premiers hominidés, Pierre Pelot réalise son rêve de gosse, et touche quelque chose enfoui en chacun de nous.
ER : Pourquoi avoir choisi la Préhistoire ?
PP : Depuis toujours, je suis attiré par cette période. J'aurais voulu écrire La Guerre du feu. Quand j'étais môme, l'histoire paraissait dans le Journal de Mickey. On y jouait, je faisais Nao. Un jour, on avait même fait un piège à éléphant, à quelques mètres d'ici (NDLR : sa propre maison de Saint-Maurice-sur-Moselle). On avait creusé un trou d'une quarantaine de centimètres de profondeur, recouvert de branchages, au milieu d'un chemin. Le lendemain, on l'a retrouvé rempli de cailloux. Quelqu'un avait dû tomber dedans et l'avait rebouché. Plus tard, quand le film d'Annaud est sorti, j'ai été emballé. Je lui ai même adressé un vieux Journal de Mickey que j'avais retrouvé, et il m'a répondu gentiment. Il y a six ans, je revois le film à la télé, avec le même plaisir, mais un énorme regret : je ne pourrai jamais écrire ça, ça a été fait. Coïncidence : le lendemain, le responsable d'un centre de culture scientifique et technique m'appelle pour me proposer d'écrire un ouvrage avec le graphiste Liberatore et le scientifique Yves Coppens. J'ai tout de suite dit oui. Le Rêve de Lucy est sorti en 1990.
Les tuyaux de l'explorateur
ER : Vous avez tourné la page alors ?
PP : Quand le livre a été terminé, il m'a laissé dans une profonde tristesse. C'est souvent le cas, mais particulièrement cette fois-là. J'ai rencontré à nouveau Yves Coppens, en lui proposant d'écrire une histoire de l'évolution de l'homme. Il a tout de suite accepté d'être ma caution scientifique.
ER : Comment cela s'est-il concrètement passé entre l'auteur et le scientifique ?
PP : Je lui ai adressé un grand synopsis, proposant un découpage pour quatre ouvrages à partir du paléolithique, en fait quand les premiers hominidés apparaissent à moins deux millions d'années : l'Homo habilis. Suivront l'Homo erectus, le Sapiens, puis le Sapiens sapiens. Yves Coppens a corrigé quelques petits éléments et depuis, nous nous sommes revus trois ou quatre fois. J'arrive toujours avec des questions très précises, mais il est tellement ouvert et passionné que cela dure des heures. Il m'aiguille sur d'autres scientifiques, des spécialistes du Néanderthal, ou des ours des cavernes. Tous répondent avec enthousiasme. Ils sont heureux de voir naître de tels projets, de laisser la place à l'imagination. En fait, je suis un peu comme quelqu'un qui va dans un pays, et qui demande des tuyaux à un explorateur. Yves Coppens a relu le premier livre qui sort demain, il n'y a pas touché une virgule.
ER : Est-ce que vous vous êtes senti bridé, contraint par une rigueur scientifique ?
PP : Pas du tout. En fait, j'ai fait l'inverse de La Guerre du feu. Je n'ai pas utilisé les données scientifiques pour me poser en observateur, décrire les choses. Je suis avec eux, quand ils inventent le feu, qu'ils se mettent à dormir sans crainte, que le rêve entre dans leur vie. Ils découvrent alors le pouvoir, la maîtrise des éléments, comme celui qui pousse les nuages et provoque la pluie. La naissance de la religion n'est pas loin. Cette phase-là constitue le troisième livre. Le premier qui sort demain se situe en Afrique, il y a environ 1,7 million d'années. Le second se situera vers la Birmanie, à la suite de la longue marche d'un clan.
Inventer leur langage
ER : Vos personnages parlent un langage inconnu.
PP : A cette époque, le larynx était suffisamment descendu, la cavité buccale suffisamment importante, pour imaginer qu'ils pouvaient parler. Yves Coppens est d'ailleurs d'accord sur cette hypothèse. C'eut été ridicule de les faire parler français. Restait à inventer des langages, un par ethnie, qui soient crédibles, mais aussi qui puissent s'écrire et se comprendre aujourd'hui, bien que certains mots soient presque imprononçables. En réalité, je me suis arrangé pour que les dialogues soient discrètement éclairés par ce qui précède ou ce qui suit. La narration doit expliquer. Les mots, je les ai fabriqués en me demandant quels besoins de communiquer ils avaient. Qu'est-ce qu'ils nommaient autour d'eux, pourquoi ?
ER : Qu'est-ce que la plongée dans ce monde si éloigné nous apprend aujourd'hui ?
PP : Ce n'est pas si loin que cela de nous. C'est en tout cas pas le passé, ça appartient à l'histoire. Or l'histoire, c'est hier, le présent et l'avenir. On dit des premiers hominidés qu'ils étaient frustres, ce n'est pas mon avis. Ils utilisaient sans doute leur intelligence beaucoup mieux que nous aujourd'hui. On a probablement perdu une qualité essentielle : la curiosité absolue. Ils ne gâchaient pas leur vie à des conneries, ça j'en suis sûr. Et puis s'ils avaient été si bêtes, nous ne serions pas là.
La Liberté de l'Est
21 janvier 1997, supplément "Livres en liberté" N° 349. Raymond PERRIN
A la source du vent et des larmes
Six ans après Le Rêve de Lucy, où l'on assistait à l'émergence de la conscience et de l'émotion, Pelot revient d'un long voyage, dans l'Afrique des origines de l'homme.
On attendait depuis longtemps ce fort volume de 330 pages, le premier tome d'une fresque historique et romanesque sans précédent, sur une époque à mi-chemin de Lucy et d'aujourd'hui. Il faut tout de suite dire que ce vigoureux récit, "venu du fond des lointaines contrées à la source du vent et des larmes", et mettant en oeuvre le langage naissant, est d'une telle force imaginative, d'une originalité si vive, qu'il comble nos espérances.
Certes, on ne plonge pas dans un passé aussi lointain sans provisions anthropologiques, géologiques, solides et fiables. L'appui scientifique est assuré par Yves Coppens. Le célèbre paléontologue a confié au romancier "les grands traits de science" qui éclairent "la vie au temps des derniers Australopithèques que l'on appelle graciles et celle du temps (d'après) des premiers des Australopithèques que l'on appelle robustes et des tout premiers Hommes". C'est sur cette ossature, confortée par des échanges au cours de l'élaboration de l'œuvre, que le romancier a lentement pétri la chair d'une histoire qui semble surgie du fond des âges avec une telle puissance qu'on se prend à croire à sa "véracité".
Parmi les clans de la rivière et de la grande eau tranquille
Dans l'Est africain, un million sept cent mille ans avant notre ère, cohabitent au bord d'un grand lac des hommes et des femmes qui se déplacent à découvert et se construisent des abris. Les uns se rattachent à ce que les savants appellent Homo rudolfensis, les autres sont des Homo habilis. Ils se nourrissent aussi bien des fruits de leurs cueillettes que de viande crue ou de bestioles, au cœur d'une faune prompte à se servir la première et à dévorer les plus faibles. Munis de bâtons, d'épieux, de pierres qu'ils savent rendre coupantes : autant d'outils ou d'armes qui frappent ou tranchent, ils apprécient aussi distances, étendues et quantités, à l'aide de leurs doigts, de leur taille ou de celle de leur ombre, ou du jet de leurs armes. Ils ont une représentation au moins mythique, de la nuit "d'ombre épaisse", de la lune ou du soleil "jeune" qui sort du sol, ou qui retourne sous la terre, toujours "gonflé du même sang dévorant". Emportés vers " les territoires du sommeil ", il leur arrive de rêver avant d'être ramenés dans leurs corps éveillés. Répartis sur des espaces aux reliefs et à la couverture végétale plus ou moins touffue, ils apprécient le bord des rivières ou des grandes eaux tranquilles d'où ils surveillent mieux l'approche des fauves. Quatre sortes de bandes coexistent. Les Nam font partie du groupe dont la survie est la plus menacée car femmes et enfants y sont rares. Installés au bord de "la grande eau tranquille", les Loa ont partagé plusieurs fois de suite "le temps des pluies et des eaux de la terre et du ciel "avec les Booh, un clan capable de nommer les choses" de sons justes et nouveaux". Et puis, venus "sous le soleil jeune", ceux qui ne sont ni des Booh, ni des Loa, les Nak-Booh-Loa, s'installent sur les bords de la "rivière maigre", avant le tardif retour des pluies.
Sur le chemin qui mène à la source des hommes ...
Nî-éi, une jeune femme nam, déjà "différente des autres femmes", car elle aime se tenir à l'écart du groupe, ne parvient pas à faire comprendre aux siens le pacte étrange qui la lie au grand "sh'ohr". Cette panthère noire lui a laissé la vie sauve et assure sa protection au prix d'un tribut tombé de son ventre en colère, ce que les siens condamnent car c'est une menace pour la survie du groupe.
Plus loin, le Loa Moh'hr, dont le nom signifie "regarder la montagne lointaine", est le plus curieux de sa bande. Il s'intéresse souvent à un "autre" groupe construisant ses abris sur les rives du grand lac. Après un violent orage qui a coûté la vie à son compagnon Maâq et à plusieurs "Nak-Booh-Lo", entrés dans la rivière au moment de l'éclair blanc, il revient avec un nouvel outil : un bâton à "la pointe durcie par un renforcement d'arêtes nombreuses et serrées". Mais les siens sont bien trop occupés à goûter la chair d'un "nakoa-xri", - ainsi ce groupe nomme-t-il la panthère - une viande rapportée par l'un des leurs et qui va les nourrir plusieurs jours. Ils ne sont donc pas prêts à accepter toutes les images nouvelles que Moh'hr brûle de partager. Désappointé, l'homme quitte ces "Loa" pour partir vers "la haute montagne lointaine cracheuse de fumée d'où viennent les nuages qui traversent le ciel". Il est rejoint par le vieux Nar-iaw, le seul du groupe qui sait comprendre ses images et ses rêves. Au bord du grand lac où Nî-éi est sortie vivante mais blessée d'un affrontement avec les "Nak-Booh-Loa" se produit l'étrange rencontre des hommes et d'une femme qui n'ont en commun ni les mêmes mots ni les mêmes images mais qui vont faire l'effort de se comprendre. La rescapée du grand "sh'ohr" noir laisse venir vers elle le survivant retombé en vie dans son corps après que le grand éclair... Un peu plus tard, le trio est rejoint par Neh-Ishri'n', une femme "Loa" qui ne sait pas elle-même si elle vient en rivale ou en amie.
Bruissement de langue pour un langage naissant
Ce compagnonnage insolite et complexe fait d'abord éclore une émotion nouvelle entre Moh'hr et Nî-éi, surtout lorsqu'ils découvrent qu'en échangeant, en mêlant leurs paroles différentes, ils peuvent faire naître les mêmes images, comme celle, inouïe, du feu que crache le ciel ou la montagne. Certes, les quatre marcheurs ne peuvent partager longtemps les mêmes rêves, - le vieil homme, lui, ne songe qu'au retour des mammouths-, mais ils auront au moins fait ensemble une partie du chemin "sous le vent du monde", aussi cruel parfois que les passions qui agiteront ceux qu'on nommera plus tard les hommes.
Histoire romanesque ? récit "historique" ou "merveilleux scientifique", comme aurait dit Rosny aîné ? L'intérêt de cet ouvrage dépasse cet étiquetage commode mais étriqué. D'abord parce que Pierre Pelot a dû s'imprégner des savoirs issus des progrès les plus récents de la paléontologie. Cette lente immersion dans les temps anciens, au cours de plusieurs années, lui a permis de façonner une langue nourrie des spasmes du végétal, des cris de l'animalité et de l'humanité naissante au point que ses bruissements épousent les odeurs, les senteurs, les mouvements et les gestes de ceux qui n'ont jamais été "dits".
Si le lecteur parvient à se mettre au diapason des mots, il entendra une voix ou une musique étrange, envoûtante parce qu'elle est l'approche la plus sincère, la plus probable aussi sans doute d'une histoire originale.
Cette langue, qui excelle dans les périphrases métaphoriques et les comparaisons, déjà remarquées dans Le Rêve de Lucy, devient parfois lyrique et ample, comme si elle devait se dérouler selon un espace-temps impossible à apprécier par tout autre moyen. Mais elle n'exclut pas un réalisme sans concession et la liberté de ton indispensable pour restituer la vie souvent instinctive de ces "préhumains" (peinant à sortir de leur gangue animale, mais l'espèce humaine en est-elle davantage libérée aujourd'hui ?), et l'expression de leurs besoins vitaux et de leurs fonctions naturelles. D'ailleurs, soyons prémunis des erreurs d'appréciation qui pourraient résulter du placage, au XXe siècle, d'une grille de lecture anachronique. L'œil et l'esprit sauront "s'accommoder", (au sens propre), pour être en harmonie avec un récit échappé d'une époque et de lieux où Pelot a su recréer une cosmogonie naïve et un système de perception probables.
Pour profiter pleinement d'une oeuvre construite pas à pas, le lecteur apprivoisera un lexique rudimentaire et une syntaxe minimale, essentiellement fondée sur la juxtaposition, l'affirmation, la négation ou l'altérité. Ces créations lexicales sont d'autant plus concrètes qu'elles s'accompagnent d'une gestuelle toujours expressive, et Pelot excelle, par exemple, à montrer la main ouverte ou, au contraire, crispée sur la pierre ou le bâton, à restituer les mimiques ou les mouvements du corps qui expriment autant que les raclements de gorge ou les sons proférés. Cette hardiesse inventive s'impose pour exprimer âges et sexes, outils, faune ou flore, phénomènes ou éléments naturels Au-delà de ce récit où le romancier est assez habile et imaginatif pour marier les données préhistoriques et anthropologiques les plus fiables et les couleurs de sa thématique la plus personnelle, renouant ici avec le sens du tragique et de l'inéluctable, l'intérêt est requis par la naissance émouvante d'une communication fragile puisqu'elle repose sur la création d'images à travers un système de vocables limités et différents selon les groupes humains. Pelot ose même montrer les failles d'un système dont la simplicité peut susciter malentendus et quiproquos. Or, que sont ces balbutiements articulés sinon rien moins que les prémices de ce qui est à la source des hommes ?
Le Figaro
14 février 1997. Sébastien LE FOL
La saga paléolithique de Pelot et Coppens
Le Point
15 février 1997
Majuscules
La scène se passe dans l'est de l'Afrique, au bord d'un grand lac, il y a environ 1,7 million d'années. Cela vous a un je-ne-sais-quoi de La Guerre du feu, mais un grand scientifique, Yves Coppens, a collaboré au livre et lui apporte sa caution. Le public, en tout cas, suit, qui dès la parution de Sous le vent du monde (de Pierre Pelot, chez Denoël) s'est précipité et lui a ainsi donné une jolie 15e place (27 000 exemplaires vendus en dix jours).
Lire
Mars 1997. Jean-Rémi BARLAND
Amour préhistorique
Tout les sépare, et ils vont pourtant se rencontrer. Lui s'appelle Moh'hr. Il vient de quitter sa tribu, les Loa, pour tenter de percer le secret de la montagne cracheuse de fumée qui enfante les nuages. Elle, Nî-ei, vient d'être rejetée par les siens, les Nam, qui n'ont pas accepté que le grand Sh'or (la panthère noire) l'ait prise sous sa protection. Entre «celui qui regarde la montagne au loin» et «celle qui ne veut pas être une femme», une étrange union va naître, menacée par l'assaut des fauves, des guerriers hostiles, des orages, et même de la jalousie.
Nous sommes en Afrique 1,7 million d'années avant Jésus-Christ, au temps de l'homo habilis, au cœur d'une saga historique signée Pierre Pelot pour la partie narrative et Yves Coppens pour la contribution scientifique. Premier tome d'une série qui en réunira quatre, ce roman riche en métaphores nous emporte dans un monde mythique aux couleurs oniriques. Si les auteurs parviennent à émouvoir, ils échouent en revanche lorsqu'ils font parler leurs personnages, dont le langage ressemble à des borborygmes et entrave la fluidité du récit. N'est pas Rosny aîné qui veut !
L'Alsace
3 mars 1997. D. Br.
Pelot à la source des hommes
"La nuit léchait les hautes herbes et les feuilles acérées des arbres de sa langue bleue paresseuse"... C'était il y a 1,7 million d'années avant notre ère en Afrique de l'Est. C'est la première phrase d'un roman envoûtant de Pierre Pelot, Sous le vent du monde, écrit non pas en collaboration, parce qu'un roman s'écrit seul quand on a affaire à un vrai romancier, mais avec l'éclairage scientifique d'Yves Coppens, le spécialiste qui ne cache pas, en préface, son enchantement devant ce livre qui rend vraiment l'atmosphère du grand commencement, celui de la terre des hommes, de notre longue histoire.
Des étrangers
Sous le vent du monde est l'histoire d'une rencontre. Entre des étrangers. Dans une nature où les animaux font la loi, où rien n'est encore expliqué. Une femme, Nî-éi, dont le nom signifie dans sa langue qui marque le début de la séparation des sons qu'elle est à part, différente, à l'écart des autres de son groupe, se lève de la couche qu'elle s'est faite à l'image du nid des oiseaux. Une douleur la plie. "Des pierres heurtaient le ventre de Nî-éi, des pierres fracassées". C'est l'enfant à naître. La femme sait ce qui va advenir. Elle a observé les autres femmes au moment de la naissance. Elle se met en marche, elle lutte pour que s'accomplisse ce qu'elle refuse, on en comprendra plus tard le motif. Elle ne reviendra pas sur ses pas lorsque "sh'ohr", la panthère noire, aura emporté l'enfant mais l'aura épargnée, elle, la différente, l'aura marquée. Elle va rencontrer un autre groupe, qui parle un autre langage, un groupe composé d'un ancien, d'une femme et d'un homme, Moh'hr, "celui qui regarde les montagnes au loin", qui cherche "la grande montagne qui crache les nuages". C'est alors que tout se noue.
Naissance d'une émotion
Ils se regardent, s'évaluent, s'approchent, doivent avoir recours aux signes pour partager, échanger, ils ne peuvent qu'indiquer du geste les endroits d'où ils viennent, ils tournent autour de leur méfiance mutuelle, et puis quelque chose se passe et ils font connaissance. Et c'est extraordinaire, parce que tout en ayant toujours soin de bien situer le décor et l'époque de son roman, Pierre Pelot laisse monter ce que ses personnages ne peuvent pas nommer, mais ressentent : une émotion, la naissance d'un sentiment, d'une douceur nouvelle. Comment fonctionnons-nous aujourd'hui, avec toute notre technique maîtrisée, quand le cœur bat ? En balbutiant, commencement du monde... Mais le paradis n'a jamais été de ce monde. A la source des hommes, il y a aussi la violence, la haine. Pelot invente le premier crime par passion, par ivresse jalouse. Tout était donc inscrit : nous sommes toujours nus dans la forêt. Il y a un autre personnage dans Sous le vent du monde. C'est la nature. Pelot en donne la mesure, la beauté, le mystère. Les arbres, les fleurs, les fruits, le ciel, les cascades, la pluie, la neige ne portent pas encore leur nom, mais ils existent, par des sensations, par ce que les hommes en font pour survivre, se nourrir, se soigner, s'abriter, se protéger des animaux qui dominent le territoire. En attendant le feu. C'est vraiment un livre magnifique qui, à la fois, réduit et dilate le temps. Un livre qui observe, à rebours, un livre d'imagination et de science. On y entre doucement, le dépaysement des premières pages a tôt fait de s'évaporer, on sait bientôt que l'on est dans une certaine éternité, celle qui permet d'être à la fois penché sur Internet et de ressentir, grâce aux mots d'un autre, les émotions de ceux qui, il y a très, très longtemps ouvraient les premières pistes en Afrique, ceux par qui nous sommes venus. Une réussite.
Le Monde
7 mars 1997. Jacques BAUDOU
Ecce homo
Une époustouflante épopée préhistorique, par Pierre Pelot.
La préhistoire ne fascine pas seulement les paléontologues et les anthropologues qui tentent d'établir comment s'est effectué le passage de l'animal à l'homme, comment se sont produits l'éveil de la conscience, l'apparition de l'intelligence, et quelle fut la vie de ces hommes préhistoriques aux différents stades de leur évolution. Elle fascine également quelques écrivains qui relèvent ce singulier défi : faire revivre ces époques révolues à partir de données forcément parcellaires, ressusciter, par le biais de la fiction, ces hommes d'un lointain passé en imaginant ce que pouvaient bien être leurs comportements, leurs émotions, leurs pensées. Au début de ce siècle, J. H. Rosny aîné, avec son cycle préhistorique (La Guerre du feu, Le Félin géant...), a ouvert ce territoire à la littérature avec quelque éclat et donné au genre ses lettres de noblesse.
Pierre Pelot, instruit des dernières découvertes et théories sur l'origine de l'homme par sa collaboration avec l'un des grands spécialistes français du domaine, Yves Coppens, est remonté plus loin encore dans le temps, à l'époque même où, en Afrique de l'Est, sont apparues les premières lignées humaines, en réponse, pensent certains anthropologues, à des modifications importantes de l'environnement des australopithèques, dernier chaînon avant le genre Homo... Avec les premiers humains apparaissent tout à la fois, mais pas forcément tout en même temps, conscience, émotion, outils et langage, commente Yves Coppens dans sa préface. C'est à partir de ces quelques éléments, et sur le postulat de la cohabitation de plusieurs espèces, que Pierre Pelot a bâti cette épopée de l'aube de l'humanité qui renouvelle le genre. On conviendra qu'il y a déjà là un véritable tour de force !
Le terme épopée n'est pas trop fort pour évoquer le voyage entrepris par Moh'hr afin de gagner la montagne lointaine d'où sont venus ses ancêtres pour s'installer et faire souche aux abords d'un lac frappés désormais par la sécheresse. En chemin, il croisera la route de Nî-éi, une jeune femme solitaire qui n'appartient pas à la même espèce que lui, qui n'utilise pas les mêmes mots et pour qui il ne tardera pas à éprouver une émotion étrange, bien différente de celle que suscite en lui son habituelle compagne Neh-Ishi'n'. Mais avant de croiser leurs destins et d'accorder quelque temps leurs chemins, Pierre Pelot nous les présente longuement. Moh'hr, que les histoires du vieux Nar-iaw et les lointains montagneux obsèdent et poussent à l'aventure. Nî-éi, la jeune accouchée qui est débarrassée du fardeau d'un viol par un fauve protecteur et bannie pour cela par les membres de son clan, captifs déjà d'une pensée.
La principale gageure d'un tel récit est évidemment celle du langage, qu'on imagine, chez des peuplades aussi primitives, assez embryonnaire. Pierre Pelot n'a pas cherché à esquiver la difficulté. Il a tout simplement créé un tel langage, mais il a soigneusement et progressivement initié le lecteur à son vocabulaire et il s'est bien gardé d'en abuser, ne l'utilisant qu'à de rares et brèves occasions. Et, s'il réussit à nous entraîner près de deux millions d'années avant notre ère, c'est bien plus par un formidable travail d'écriture, par la force des images qu'il a su forger, par le rendu insolite des tournures qu'il a inventées, par le déroulé un peu rugueux de sa phrase. Bref, par son indéniable et complète maîtrise d'écrivain.
Sud-Ouest dimanche
16 mars 1997. François RAHIER
Aux temps d'avant
Comme Rosny Aîné bien avant lui, ou Jack LOndon, précurseurs illustres de la littérature d'anticipation, Pierre Pelot se penche à son tour sur le passé de l'humanité. Il le fait en écrivain qui n'oublie pas qu'il a été un des auteurs phares de la SF française des années 70.
Pour ce roman des origines, il s'est assuré la collaboration d'Yves Coppens, le célèbre paléoanthropologue qui découvrit Lucy dans le Rift en 1974.
L'écriture toute de complicité du savant et du conteur a donné cet étonnant exercice de fiction scientifique, une SF à rebours qui ne déroge en rien aux lois du genre. La prose luxuriante de Pelot nous immerge dans un monde d'odeurs et de contacts où le sens se cherche au plus près du geste, dans une aube du monde cruelle où tout se joue dans l'urgence, sous le surplomb obsédant de la mort. Nî-ei, Moh'hr, 'Hna et les autres, hommes précaires suscités de la glaise par la magie du verbe, naissent à la profondeur des choses sous le vent du monde qui roule et les emporte. Le savant, qui accompagne l'aventure, reconnaît avec quelque émerveillement que ce monde imaginé avec tant de prescience il n'aurait su s'y rendre lui-même si complètement.
Les Dernières nouvelles d'Alsace
Vendredi 9 mai 1997. François BUSNEL
Le roman des origines
Le dernier ouvrage de Pierre Pelot, naguère chantre des sagas pionnières de l'Ouest américain, aurait pu n'être qu'un roman parmi d'autres. Grâce à la complicité scientifique d'Yves Coppens, professeur au Collège de France et éminent spécialiste de la préhistoire, ce livre s'imposera sans doute comme une étape fondamentale dans la reconstitution du passé. Curieux mariage de la raison et de l'imagination : le romancier s'est mis à l'écoute du paléontologue pour retracer les grandes habitudes et les petites manies de nos lointains ancêtres.
Le voyage dans le temps
A force de patience et de passion, Pierre Pelot, un brin poète, fait de ces hominidés à peine capables de se tenir debout, de véritables frères de destin. De ce formidable voyage dans le temps, que retiendrons-nous ? Tout d'abord l'impossibilité de communiquer, la défaite de tout langage. A cette époque, l'humanité a beau n'être qu'embryonnaire (200 000 individus, tout au plus), elle n'en demeure pas moins réfractaire à l'autre. Le romancier et le scientifique ont donc inventé ici une langue : puisque le corps humain était déjà constitué de manière à moduler des sons, il suffisait de créer du sens. Et qu'est-ce qui peut bien pousser une jeune femme farouche et un jeune guerrier idéaliste à se raconter les merveilles qu'ils ont vues dans le monde alentour ? L'amour, bien sûr ! Et voilà pour la leçon d'humanité : aux origines de la communication, il y a la séduction !
De l'amour à l'exclusion
Mais le lecteur ne tarde pas à découvrir la plus intangible des règles sociales : l'exclusion. Déjà des cohortes de réprouvés et de sans-abris envahissent les steppes et la savane. Dérision de la part de nos ménestrels ? Tout indique pourtant, dans les traces laissées par nos ancêtres, que si le premier acte social des hommes fut de se regrouper, le second fut de s'exclure. Ce récit lointain, décidément, est un véritable miroir de la société contemporaine.
Télérama
2 juillet 1997, n° 2477. Sophie BOURDAIS, page 38
Dans l'est de l'Afrique, voilà deux millions d'années, Nî-éi, une jeune australopithèque, accouche d'un enfant dont elle ne veut à aucun prix. Une panthère noire l'en débarrasse en quelques coups de dents. Nî-éi se considère désormais comme sa protégée...
Ce passionnant roman de science-fiction "à l'envers" est le premier volume d'une épopée préhistorique, écrite avec le soutien du paléoanthropologue Yves Coppens. Les héros de Pelot n'ont pas encore domestiqué le feu ; ils mènent une vie rude dans un environnement cauchemardesque, parlent des langages sommaires qui varient selon les clans, et se servent d'images pour penser le monde. Ils sont capables de colère, de jalousie, mais aussi de compassion ; ils rêvent, ils mentent, ils rient... Pelot les respecte infiniment, et ne se permet pas un seul anachronisme. Malgré la violence ambiante, naît alors une étrange et magnifique poésie.
Le Grand livre du mois
Revue N° 171, août 1997, page 13
Nous voici propulsés 1,7 million d'années avant notre ère, à l'est de l'Afrique ; un homme et une femme différents de leurs congénères vont devenir, sans le savoir, la source de l'humanité. Ensemble, ils vont trouver un langage commun, un langage d'émotion et d'amour, lutter contre les fauves, les guerriers hostiles et les orages qui terrifient. Pierre Pelot s'est fait assister du grand spécialiste Yves Coppens pour écrire ce roman de la préhistoire, où tout paraît vraisemblable. "Ce roman riche en métaphores nous emporte dans un monde mythique aux couleurs oniriques" (Jean-Rémi Barland, Lire).
Femme actuelle
Hebdomadaire, N° 710, 4 au 10 mai 1998
La première histoire d'amour de l'humanité, il y a 1,7 million d'années, en Afrique. Rejetés par leurs clans respectifs, une femme et un homme fuient, chacun de leur côté. Ils finiront par se rencontrer mais, leur langage n'étant pas le même, ils ne se comprennent pas. Jusqu'à ce qu'un sentiment les pousse l'un vers l'autre. Avec la contribution scientifique d'Yves Coppens.
Télérama
14 avril 2012, N° 3248 - Christine FERNIOT
Où vont les histoires qui ne sont pas racontées ? s'interroge Pierre Pelot depuis son premier livre. Romans policiers, historiques ou de science-fiction, il se moque des cases, car son but est juste d'imaginer des fictions. C'est ainsi qu'entre 1997 et 2001 il entreprit d'écrire la saga de l'évolution humaine, avec le soutien scientifique du paléontologiste Yves Coppens. Deux millions d'années de voyage, cinq romans, de Celui qui regarde la montagne au loin jusqu'à Ceux qui parlent au bord de la pierre. Le défi était incroyable, les langues à inventer, le monde à (re)faire. Omnibus réunit en un volume ces cinq épopées.
Page créée le jeudi 6 novembre 2003. |