Comment vivre quand on connaît à l'avance la date de sa
mort ? Quand l'État, dès votre naissance, vous a généreusement établi
votre DI.PR.EV., votre diagnopronostic d'espérance de vie ?
Faut-il, à l'approche de la date fatale, louer les services d'un tueur,
qui vous abattra sans vous laisser le temps d'avoir peur ? Faut-il refuser
d'y croire et tenter de s'accrocher à la vie ? Mais si la maladie s'annonce
comme prévu et s'aggrave de jour en jour ? Ou si chaque ombre que l'on
croise peut-être celle du bourreau ? (4ème de couverture, 1982).
Comment vivre quand on connaît à l'avance la date de sa propre mort? Y a-t-il un moyen d'échapper au diagnopronostic d'espérance de vie qui vous est personnellement délivré par l'Etat à la naissance ? Ou la date fatidique est-elle un couperet qu'on ne peut éviter ? (Présentation de l'éditeur, 2013).
La petite histoire... Ce roman a intéressé un moment le réalisateur Jean-Jacques Beineix. Sans suite…
C'était un froid dur et noir, comme si le canal du Rhin, au nord, soufflait à travers toute la ville son haleine polaire. Un froid à vous fêler les dents, vous dépiauter les bronches. Il fallait bien respirer, vaille que vaille.
Zien Doors était en train de se dire : "Mon vieux Zien, ne crois-tu pas qu'il y a mille choses plus intéressantes, dans la vie, que se geler les pieds dans cette espèce de mauvaise boîte à sandwiches mal chauffée ? Hein ? Des choses plus passionnantes que surveiller l'autre côté de la rue en attendant qu'une vieille dame de quarante-huit, quarante-neuf ans, sorte de cette putain de maison ?"
Il remua ses pieds, frottant les semelles minces de ses chaussures sur le carrelage froid, en espérant que la friction dégagerait un peu de chaleur, une sorte de petit rayonnement amical suffisamment énergique pour traverser la barrière gluante de ses chaussettes poisseuses de sueur. Par temps chaud comme par temps froid, Zien était de ces gens qui transpirent abondamment des extrémités. Mains moites et pieds glissants à l'intérieur des chaussures, quelles qu'elles soient, du brodequin au nu-pieds, sans obtenir le plus petit résultat - il ne réussit qu'à attirer le regard vague, même pas véritablement intéressé, d'un serveur désœuvré. Bon Dieu qu'il faisait froid dans ce bistrot de merde ! Ce bistrot de merde, comme neuf sur dix des bistrots de merde de ces quartiers de merde des banlieues d'habitation. Et de cette ville, de ce pays de merde.
Zien Doors grommela entre ses dents, suffisamment fort pour qu'une fille solitaire, assise à la table voisine, lève un œil dans sa direction. Elle lisait un journal du soir. Sa tasse de Canéca était remplie à ras bord ; le garçon la lui avait apportée quelques minutes plus tôt et un peu de liquide brun moussu avait coulé dans la soucoupe lorsqu'il l'avait posée sur la table. La fille n'y avait pas touché. C'était sûrement froid. Probable qu'elle n'avait pas envie de boire ce Canéca, qu'elle l'avait commandé simplement pour justifier sa présence dans cet endroit ; peut-être qu'elle aurait préféré boire autre chose, mais qu'on ne vendait pas ça dans ce troxon de malheur. Elle était plutôt belle, comme ça, au premier coup d'œil - avec un rien d'étrange dans la pâleur de son teint, son regard dur trop maquillé de noir, la rigidité de ses traits et ses cheveux lisses d'un noir de charbon luisant, avec des reflets de feu quand elle tournait la tête d'une certaine façon...
Zien soutint le regard de cette fille, et ce fut elle qui détourna les yeux ; elle se replongea dans la lecture de son journal. Zien eut un hoquet intérieur satisfait et silencieux. Il se foutait de cette fille, vraiment. Même si elle était belle, même si elle était sympathique, même si tout ce qu'on voudra : si, par exemple, elle avait été le portrait craché de Eldie... Peut-être surtout, alors. Il était satisfait d'avoir fait baisser les yeux à cette fille (qui pouvait très bien être du genre à draguer, comme ça, dans les troxons de quatrième zone... ces filles, nom de Dieu, toutes plus jolies les unes que les autres, qui traînent leur cul dans les banlieues d'habitation comme dans les secteurs de travail !) ; il était satisfait car c'était une chose qu'il ne parvenait pas à faire, avant : soutenir le regard d'une de ces filles en carapace de chair et de sourires mordants...
Il ne pouvait pas.
Il ne possédait pas l'aplomb, le culot, la sûreté de soi nécessaires à la victoire, dans un exercice de ce genre. Ni le bagout, le sens de la réplique, si d'aventure la fille se mettait à parler.
A présent, si.
A Bill Deraime, comme une manière de blues.
Présence du futur
Catalogue analytique, 19..
Un monde partagé entre deux idéologies, l'une écologique, l'autre prônant le développement industriel et la conquête des étoiles, tendance à laquelle adhèrent France et Territoires. Tout y est planifié par l'État, même la date de la mort, déterminée par le diagnopronostic d'espérance de vie. A l'approche de la date fatale, certains louent, pour échapper à l'angoisse, les services d'un tueur, et c'est la profession de Zien Doors qui ne saura bientôt plus s'il est bourreau ou victime.
Les Nouvelles littéraires
20 mai 1982. Monique GEHLER
Bien que tueur patenté, Zien Doors ne trouve pas sa place dans la société. On dirait que son métier le gêne et puis, vivre en aveugle, ce n'est pas si facile, au royaume de ceux qui savent. Il est vrai que ça change tout de savoir, dès la naissance, quand on va mourir. On peut organiser sa vie différemment dans ce pays glacé nommé France et Territoires.
Ca a la couleur d'un polar, ça se lit comme un polar - cul sec -, mais c'est de la science-fiction !
Fiction
N° 330, juin 1982. Stéphanie NICOT, page 171
Nous écrivons tous le même livre, affirme Dominique Warfa dans un essai encore inédit, sur le caractère collectif de la SF. Le cas de Pierre Pelot est encore plus simple : il écrit toujours le même livre !
Cela fait maintenant bien des années que Pelot a mis des structures et un style apparentés au western au service de la perpétuelle et lancinante dénonciation de la domination des "élites"; qu'il s'agisse de sociétés policières, cléricales ou colonialistes, ou les trois à la fois, l'auteur vosgien montre un bel entêtement.
Mourir au hasard s'inscrit donc dans ce contexte : France et territoires offre un DIPREV (diagnopronostic d'espérance de vie) à tous les citoyens ; mais les suivants, de plus en plus précis, sont chers et donc réservés aux privilégiés. Quand on connaît la date de sa mort, on a même le droit de se payer un tueur à gages qui vous évite l'insupportable attente... Mais cette société hyper organisée se contente-t-elle de prévoir, ou va-t-elle jusqu'à organiser ses "pronostics" ?
C'est cette interrogation qui va amener Blate, l'un de ces favorisés du sort, à tout remettre en cause et à tenter de lever le voile. Il rencontrera sur sa route le tueur officiel qu'il a engagé lui-même... Qui gagnera cette course de vitesse ?
Ce roman, bien fait et agréable à lire comme tous les ouvrages de Pelot, laisse cependant le lecteur sur sa faim ; cela tient peut-être aux questions qui restent sans réponse !
L'Année 1982-1983 de la Science-Fiction et du fantastique
Dirigée par Daniel Riche. Paris : Temps futurs, 1983. Page 122
D'un côté, l'écologie, de l'autre le développement industriel et la conquête des étoiles. Un peu trop démonstratif.
Présence du futur
Catalogue analytique, 1990, 1992, 1994
L'État prend généreusement en charge et planifie votre vie, y compris la date de votre mort. Quand vient l'échéance fatale… peut-on refuser d'y croire ? Pour échapper à l'angoisse, certains louent les services d'un tueur. Et c'est le gagne-pain du consciencieux Zien Doors, qui ne sait bientôt plus s'il est bourreau ou victime.
La vie programmée. La poursuite infernale. Critique sociale. Auteur moderne.
Le Science-fictionnaire
Paris, Denoël, 1994, tome 1 (Présence du futur, N° 548). Stan BARETS, pages 315-316
Une population divisée en deux catégories, les Voyants et les Aveugles. Entre les deux, les Natural Killers, des tueurs à gage chargés d'abréger les souffrances de ceux qui en font la demande. Mais soudain tout dérape, le chasseur devient gibier...
La Liberté de l'Est
14 février 1995. Raymond PERRIN
Pierre Pelot : un maître reconnu de la science-fiction et du fantastique français
[...] L'homme aliéné, victime et bourreau, en quête d'une identité
Que de fois le personnage pelotien se dédouble, se disperse, ballotté par le maelström des violences de l'existence ou de sa propre mémoire !
Des problèmes d'identité, le natural killer Zien Doors en éprouve de sérieux quand, dans Mourir au hasard, il "perd les pédales" au cours de ses macabres missions. Un "diagnopronostic" évalue la date de ce terme mais ces diagnostics sont truqués. On calcule l'espérance de vie d'un être humain en fonction des intérêts sociaux et la maladie provoquée rendra la situation crédible [...].
Page créée le lundi 3 novembre 2003. |