4ème de couverture, 1980.- Pour Noman, c'est le bonheur : il est enfin admis dans le Domaine de l'Oeil, le paradis des Citoyens... Assistés, sécurisés, gouvernés - surveillés - par le Programme et la Loi. Le contraste total avec Hors-Vue, le pays natal de Noman, qui n'est que misère et anarchie... Un pays que l'Oeil veut d'ailleurs conquérir et où les Scruts - ses agents - s'infiltrent... Déjà, le chanteur contestataire Girek, auteur de Parabellum tango, a été interdit de TV. Il lui reste les rues. Dans l'attente de sa nomination au très haut poste de Veilleur, Noman est envahi dee malaises, de pensées étranges - coupables... tandis qu'à Hors-Vue, Girek, traqué, se tait. Il ne chantera plus Parabellum tango mais continuera la lutte, avec d'autres armes...
4ème de couverture, 2000.- Certains vivent à Hors-Vue, pays qui n'est que misère et désordre, d'autres vivent dans le domaine de l'Oeil, le paradis des citoyens, où ils sont en sécurité, assistés, gouvernés et bien entendu surveillés. Pour Noman, le pays de l'Oeil est un paradis qu'il a conquis, une terre promise où il vivra le bonheur. Pour Girek, le chanteur contestataire du célèbre Parabellum tango, c'est tout autre chose : l'interdiction de passer à la télévision et le devoir de continuer le combat... Et quand la Voix se tait, quand les chansons telles Parabellum tango meurent dans le silence de l'Oeil, il est temps pour les armes de se faire entendre. Hasta siempre !
Des idées noires plombaient la tête de Tipul et la lui penchaient en avant, les vertèbres cervicales saillant sous la fine toile de sa chemise à ramages. Il était assis dans un morceau de soleil jaune, sur le pas de la porte du magasin, le dos rond, les avant-bras posés sur ses genoux. De temps en temps, il remuait les orteils dans ses espadrilles. Il fumait à petits coups une 10 % de Nif, pincée entre deux doigts jaunis de sa main droite pendue au bout du poignet.
La souris grise était agrafée sur l'épaulette gauche de sa chemise. Tranquille, la queue droite.
Tipul avait un visage osseux, avec des joues très creuses et des lèvres tendues sur la proéminence d'une denture chevaline ; ses cheveux étaient raides, vaguement jaunâtres et coupés court - mais pas si court que cela, tout de même. Il avait le teint mat, des cernes lourds, grisâtres, sous les yeux.
Il était assis sur la pierre du seuil, une pierre de granit taillé gorgée de cette franche chaleur d'automne. Paupières mi-closes, il regardait à travers les volutes de fumée montant des commissures de ses lèvres ; il regardait la petite cour, devant le magasin, et la murette d'enceinte, et la rue au-delà, le trafic calme de la rue en cette fin d'après-midi. La cour était recouverte de gravier blanc : une chape uniforme que des gazons avaient pourtant réussi à percer, ici et là. Au milieu de l'été. Tipul et Jake Dordo (Tipul/Dordo/Association - Dressage d'Animaux de Compagnie) s'étaient dit qu'il faudrait bien arracher ces gazons et qu'ils le feraient un jour avant que l'offensive herbeuse ne devienne trop envahissante : c'était maintenant la seconde septaine d'automne et les gazons étaient toujours là, certains déjà racornis. Il y avait même des fleurs ratatinées, d'une violet acide trop cru pour être vrai, des fleurs mourantes avec des abeilles retardataires qui leur tournaient autour.
A l'intérieur du magasin planait le silence rectiligne d'un désert. Pourtant, Jake s'y trouvait ; lorsque Tipul l'avait laissé, une demi-heure auparavant, il lisait un illustré, écroulé dans son fauteuil basculant et ses grands pieds posés sur le plateau de verre d'un bureau de travail. On ne l'entendait même plus tourner les pages : il avait dû s'assoupir.
- Décontracte-toi, voyons, dit la souris sur l'épaule de Tipul.
Il fut sur le point de la remettre vertement à sa place mais ravala in extremis son réflexe irrité ; il se contenta d'un soupir et d'un haussement d'épaule - la droite. Un coup d'œil en biais, sans bouger la tête, en direction de la souris, et il reporta son attention droit devant lui, le mouvement rapide des globes oculaires dans leur orbites ayant déclenché une petite douleur. La souris n'en dit pas davantage, le silence continua de pulser paisiblement, tout doré, chaud comme un petit pain, avec ces bruits minuscules égrenés les uns derrières et dans les autres, ces bruits qui étaient l'essence même de ce silence et empêchaient d'en faire le néant.
Automne roux, jaune, cassant, fripant la feuille, gratinant l'herbe à son four solaire ; automne des squelettes bleus et noirs qui pointent sous l'habit déchiré des arbres, des ciels opales aux profondeurs fragiles du verre le plus pur ; automne des silences inéluctablement tissés sur les trames d'une imperturbable sagesse éclose à chaque fois derrière les premières grimaces et les soubresauts instinctifs de la mort estivale. L'air est tranquille et le vent, quelque part, entraîne ses poumons pour les bourrasques blanches des froidures coupantes qui vont naître bientôt. Si le ciel est à ce point dénudé jusqu'à l'âme, c'est qu'il attend ses nouvelles panoplies, et les charrois pesamment rebondis des attelages noirs, les cavaliers du gel, les hordes des tornades cinglantes. C'est la trêve avant les hautes joutes.
Libération
20 mai 1980. Docteur SOURIRE
A l'opposé des plaines sans fin d'Irockee, voici de nouveau le décor fasciste-urbain de nombreux romans de Pelot ; Fœtus- Party ou Les Barreaux de l'Eden, par exemple. Il y a dans ce monde deux zones : le Domaine de l'œil, c'est à dire la civilisation, la sécurité, la loi. Et la Hors-Vue, c'est à dire la jungle. Voici Noman, né dans la Hors-Vue, qui vient d'être recruté pour devenir Veilleur dans le Domaine de l'Oeil, comme il le rêvait. Voici Girek, le chanteur interdit à la télé, que tout l'appareil de l'œil tend à effacer. Chaque citoyen du Domaine de l'Oeil a droit (et obligation) à un animal de compagnie, souris, chien, chat électronique et télépathe. Ces petits animaux servent à tout ; ils tiennent compagnie, permettent au Citoyen d'échapper à sa solitude ; ils surveillent sa santé physique et surtout mentale, lui rappellent ce qui est autorisé et ce qui est interdit et c'est particulièrement importent parce que, dans le Domaine de l'Oeil, il n'y a pas de loi commune à tous, il y a une loi par personne. Chacun a son code personnel, particulier. Et pour boucler le système, il est interdit de se communiquer les dispositions de son code de loi personnel. Dans ces conditions, il est heureux qu'on puisse parler au moins à son animal de compagnie, qui nous connaît si bien, fait sur mesure pour nous, et qui est de si bon conseil... Voici un livre fort bien mené, conduit à la manière de Dick, c'est à dire en dégringolade toujours accélérée… Un très bon Pelot.
A&A infos
N° 56/56 bis, début juin 1980 (?), ronéoté. Gérard LAGARDERE, pages 4-5
J'adore les bêbêtes, pas vous ? Évidemment, celles de PP si elles sont sympathiques n'en sont pas moins inquiétantes. Et elles ne sont pas les seules. Ses bouquins aussi le deviennent. Celui-ci est bon, c'est un fait, mais lorsque je pense à ce qu'il aurait pu faire... A moins que je me fasse des illusions sur l'étendue réelle de son talent. Que l'on ne prenne pas ces quelques lignes comme parabellum tango. Je regrette simplement, comme beaucoup, que Pelot écrive tant, et qu'ainsi on ait droit à un ersatz plutôt qu'à du condensé. En effet, ce livre au sujet intéressant m'a laissé sur ma faim. Mais peut-être ai-je une faim de loup, et suis-je un éternel râleur insatisfait. Aussi loyalement faut-il que je conclue : Liberté, que de bons livres ne commet-on pas en ton nom!
Tant que j'y pense, vérifiez que votre chat, chien, ou l'araignée qui trotte dans le crâne qui vous sert de plafond, n'est pas un AC sorti de ce livre, ou si oui, danger.
Sud Ouest Dimanche
15 juin 1980. Michel JEURY
Dans le paysage des publications récentes, un record qui n'est pas près d'être battu, avec ou sans crise : trois romans inédits de Pierre Pelot, ce mois-ci ! J'ai nettement préféré Parabellum Tango, dans lequel un récit haletant projette le lecteur dans un futur à la fois étonnant et presque probable. Un roman de même classe que Delirium Circus, grand prix de la science-fiction française 1978.
Fiction
N° 310, juillet-août 1980. Francis VALERY, pages 162-164
En ces jours où une nouvelle génération d'écrivains américains franchit nos frontières (Butler, Varley, Cherryh, Vinge, Scott Card, Bishop, Gotschalk, Robinson, et les autres, tous renouant avec une certaine tradition classique, mais possédant un souffle bien personnel), la jeune SF française va avoir fort à faire. N'oublions pas qu'une partie de sa gloire lui est venue du fait de la politique de certains éditeurs, consistant à piller sans vergogne les fonds de tiroirs les plus lamentables de quelques "noms", comme Van Vogt ou Dick, pour n'en citer que deux.
Mais Pierre Pelot n'appartient pas au peloton des suiveurs de mode, il serait plutôt de ceux qui drainent les imitateurs. Curieusement, et c'est regrettable, il reste aux yeux du public moyen un bon auteur, alors qu'il en est un très grand, un des plus puissants de sa génération. Le noyau dur des fans de SF, et j'en suis, criera encore au génie avec ce Parabellum tango, que l'on aurait bigrement aimé voir allongé et publié en Ailleurs et demain par exemple. Pelot n'aime pas trop les courses de vitesse, leur préférant le demi-fond dans lequel il donne le meilleur de lui-même.
Pelot le sait mais n'aime guère que l'on le lui répète, pourtant c'est évident : il produit trop. Ainsi, pratiquement chacun de ses romans laisse le lecteur avec un petit creux à l'estomac. Les limitations de longueur font une fois de plus que Parabellum tango n'est toujours pas la grande oeuvre de Pelot, que l'on attend depuis quelques siècles. Donnez-lui 600 pages, nom de nom, et l'on verra ! Il n'en reste pas moins que ce roman donne la plus juste mesure de l'immense talent de Pelot-Suragne, monstrueux, protéiforme, diabolique...
En ce temps-là, le monde était divisé en deux zones : le Domaine de Hors-Vue, terrifiant, grouillant de misère et d'anarchie, et celui de l'Oeil, non moins terrifiant dans son asepsie totale et immuable. Woody Noman, natif de Hors-Vue, est enfin admis comme citoyen de l'Oeil, un bon citoyen même, promis à une vie parfaite, à une carrière exemplaire, pour autant qu'il obéisse à la Loi de l'Oeil, et à son code de Loi personnalisé... Anton Girek, lui, est une star sur le déclin, un de ces petits Dylan de banlieue comme tout système un rien répressif (lequel ne l'est pas ?) sait en sécréter, un Le Forestier gaucho, bon ton en quelque sorte, chantant l'amûûr (toujûûr...), la misère, la révolte..., tâcheron qu'une société libérale avancée propulse parfois dans les charts, pour légitimer quelque peu l'opposition pseudo-révolutionnaire et se dédouaner un rien.
Noman/Gyrek, deux mondes qui, bien que ne se rencontrant jamais, n'en restent pas moins intimement liés l'un à l'autre, comme l'Oeil l'est avec la Hors-Vue.
Le roman me semble un rien inachevé, le travail fantastique auquel s'est livré Pelot pour donner une cohérence à cet univers n'est qu'à peine exploité, tout comme cette idée extraordinaire des animaux de compagnie, consciences-mouchards, qui ne sert en définitive qu'à introduire un élément "énigmatique" dans ce qui devient, sur la fin, une enquête policière débrouillée par un Hercule Poirot en jupons. Mais que de sous-entendus qu'un écrivain peut-être moins pressé aurait utilisés pour construire une fresque à la dimension des Yeux géants (pour lequel j'avais toutefois fait la même remarque), Dune ou Tous à Zanzibar.
Malgré ces petits défauts, dûs uniquement, je le répète, aux longueurs réduites imposées par la collection, tout au moins pour les auteurs français, Parabellum tango est indiscutablement le livre du mois. De toute façon, un livre portant sur sa couverture un chat en premier plan, et se terminant par cette phrase : Woody Noman a toujours aimé les chats, ne pouvait qu'être le livre du mois. Aussi vrai qu'il n'y a rien de bon à attendre de quelqu'un qui n'est pas au service d'une tribu de chats, celui qui les aime ne peut être tout à fait mauvais. Bien que Pierre Pelot, m'a-t-on dit, préfère les chiens...
Le Magazine littéraire
N° 163, juillet août 1980. Antoine GRISET, page 70
J'avais promis d'en reparler ce mois-ci. Après La Guerre olympique, voici un autre Pelot de la bonne cuvée. Dans la veine et la lignée de Fœtus-Party, des décors de villes ultra sophistiquées et répressives, une histoire attachante et dure où chaque citoyen du "Domaine de l'Oeil" a sa loi personnelle et un animal favori électronique pour lui tenir compagnie dans l'immense solitude encadrée et programmée qui est la sienne. Un roman construit sur l'opposition du dedans (civilisé, sécurisé, policé, etc.) et du dehors (la jungle du "Hors Vue", violente mais libre). Ca se lit d'une traite, sans faiblir.
Les Dernières Nouvelles d'Alsace
27 juillet 1980. Daniel WALTHER
Le futur aliéné
Pierre Pelot écrit si vite et publie un tel nombre de livres qu'on ne peut plus guère suivre son rythme. Dans sa production inégale mais toujours intéressante, isolons Parabellum tango, un récit dur et incisif où, une fois de plus, il part en croisade contre les tristes sortilèges d'un futur aliéné. Des solitaires ou des marginaux y essaient, tant bien que mal, de recoller les pots cassés. C'est souvent passionnant et plein d'idées généreuses.
Catalogue des âmes et cycles de la S.F.
Paris : Denoël, 1981, nouv. éd. rev. et augm. (Présence du futur; 275). Stan BARETS, pages 224-225
Pour Norman, c'est le bonheur : il est enfin admis dans le Domaine de l'Oeil, le Paradis des Citoyens assistés, sécurisés, gouvernés, surveillés par le Programme et la Loi. Le contraste total avec Hors-Vue qui n'est que misère et anarchie...
La Liberté de l'Est
14 février 1995. Raymond PERRIN
Pierre Pelot : un maître reconnu de la science-fiction et du fantastique français
[...] D'un monde à l'autre sur une même terre contrastée
Surtout dans les premiers récits, les personnages affrontent fréquemment des univers antithétiques ou se meuvent d'un univers concentrationnaire, clos, hautement technologique, vers un univers plus fruste et plus tendre, où les plus chanceux peuvent recouvrer la vie mais pas souvent leur personnalité désaliénée.
Au cœur de Parabellum Tango, Le Domaine de l'OEil, ville des privilégiés s'oppose à la "Hors Vue", la zone de la misère et de l'anarchie et de la révolte. Woodyn Noman veut un animal de compagnie mais c'est un mouchard au service de l'OEil. [...]
30 juin 2004. Raymond PERRIN
L'OEil était dans la ville et regardait Noman
Dans les "Suragne" du Fleuve Noir, le romancier manifestait sa prédilection pour les univers contrastés. Plus tard, il a parfois gardé ce goût puisqu'il faut signaler, dans Parabellum Tango, "Le Domaine de l'œil", la ville des privilégiés promus dans l'échelle sociale, domaine tout différent de la "Hors Vue", la zone de la misère et de l'anarchie, des parias qui croient pouvoir y exprimer leur révolte. Bien sûr, ces univers sont aussi truqués et surveillés l'un et l'autre. Woodyn Noman partage le bonheur anesthésiant des Citoyens soumis au "Programme" et à la "Loi". Tout heureux de ne plus être "un bouffeur de glaise", il possède enfin un animal de compagnie, une merveille électronique capable de parler et même de conseiller son maître. En fait, ce chat artificiel est bien différent du "Grand Voyou" réel qu'il a connu dans la "Hors Vue". Mais ces petits animaux ne sont pas seulement des compagnons pour échapper à la solitude. En fait, ce sont les gardiens de la santé physique et surtout mentale du propriétaire. Moralistes intransigeants, ils rappellent ce que dit la Loi et ce qu'elle interdit. Or, chacun a son code personnel qu'il est interdit de communiquer à autrui. Évidemment, comme tous les A.C. (Animaux de compagnie), ce chat est un mouchard au service de "l'œil". Lorsque l'animal se dérègle, Noman, placé hors système, va-t-il apprendre que tout est mensonge ?
Va-t-il alors accepter que les secrets du Domaine de l'Oeil soient à jamais effacés de sa mémoire ? Il abandonnerait alors son camp, celui des milieux populaires dont il est issu.
Contrairement à Girek le révolté, l'auteur-interprète de la chanson Parabellum tango, prêt à payer de sa vie son combat, va-t-il préférer la vie "inconsciente" et le profit aveugle d'une "carrière exemplaire" d'"avotraq" ?
Ce récit peut dérouter ceux qui sont habitués à voir le héros pelotien lutter jusqu'au bout, même si sa lutte paraît vaine et désespérée. Le plus souvent, le personnage central est d'abord mû par la révolte, dès la révélation de son aliénation. De toutes ses forces, il lutte, aidé souvent par une femme qui aide à la prise de conscience et surtout à l'action, jusqu'à payer sa générosité de son propre sacrifice. D'où l'intérêt de voir si Woodyn Noman accepte son aliénation, le mensonge et la facticité d'un monde où les jeux sont faits, où les dés sont pipés.
Peut-être faudrait-il alors s'intéresser fortement au rôle du chanteur contestataire Girek, celui à qui l'on confie le combat anarchiste mais désespéré. Bousculant les règles déjà utilisées précédemment, Pelot piège ainsi toute analyse simpliste ou réductrice, en créant bientôt deux univers antagonistes également dangereux. Veut-il montrer que toute fuite est un leurre, qu'un goulag peut cacher un autre goulag plus horrible, ou que la pire des prisons, ici et maintenant, est celle du troupeau aveugle et indécrottablement aliéné ?
Page créée le mercredi 29 octobre 2003. |