Méchamment Dimanche

 
 
  • Pierre Pelot
  • 2005 | 164ème roman publié
  • |
 

Date et lieu

En 1957, et en 2004, à Saint-Maurice-sur-Moselle (Vosges).

Sujet

13 juillet 1957. À la tombée de la nuit, Zan, le fils du Grand Marcel, a donné rendez-vous à Tipol, Belette et ses sœurs au cimetière de St-Maurice-sur-Moselle. En cette veille de fête nationale, l'exploration d'un mystérieux souterrain va bouleverser la vie de ces gamins. Pourtant, l'été 57 semble un été comme les autres. La bande joue aux Indiens, attaque un train, pêche à la truite, construit des cabanes. Mais la face sombre des vacances éclate : incendie criminel, amours contrariées, disparition de cadavre, Méline et ses vilaines idées.

2004. Un forcené a tué des ouvriers alors qu'ils démolissaient la vieille maison des Baillon. Rien ne peut expliquer la folie qui s'est emparée de lui. Rien... sauf l'histoire de ces mômes quarante-sept ans plus tôt, où les jalousies des uns et l'amour des autres se mélangent pour aboutir à cet inexplicable massacre !

La noirceur des tourments sous la pâleur des visages d'enfants, la vie tumultueuse comme ces rivières des Vosges, la relation exclusive, soudain troublée, d'un fils pour son père...

Méchamment dimanche est un extraordinaire roman d’apprentissage, entre La Guerre des boutons et Mystic River. (4ème de couverture, 2005).

 

Éditions

  • 1ère édition, 2005
  • Paris : éditions Héloïse d'Ormesson, mars 2005.
  • 21 cm, 485 p.
  • Illustration : Myriam Didelot (couverture).
  • ISBN : 2-35087-000-6.
  • Prix : 23 €.
  •  

  • 2ème édition, 2006
  • Paris : Pocket, avril 2006.
  • 18 cm, 543 p.
  • Illustration : (c) photo Roger-Viollet (couverture).
  • ISBN : 2-266-160-88-5.
  • Prix : 8,50 €.
  •  

  • 3ème édition, 2011
  • Paris : éditions Héloïse d'Ormesson, octobre 2011.
  • 21 cm, 485 p.
  • Illustration : Sandrine Rondard (couverture).
  • ISBN : 978-2-35087-000-7.
  • Prix : 23 €.
  •  

    Première page

    Le jeune homme en bonnet rouge arrêta son taxi devant la gare et souligna :
    - Voilà, on y est.
    Il ajouta :
    - Vous l'avez manqué. C'était sûr.
    Le passager à l'arrière haussa imperceptiblement une épaule et attendit que le chauffeur lui ouvre la portière. Il descendit, entre ses mains la boîte à chaussures ficelée, comme s'il craignait qu'elle lui échappe et que son contenu se brise à ses pieds.
    - Vous connaissez les horaires ? s'enquit le jeune homme au bonnet.
    - Je trouverai, ne vous en faites pas.
    - Je ne m'en fais pas, assura le chauffeur de taxi avec l'air de s'en faire quand même un peu.
    De tout le trajet, il n'avait cessé de lui décocher des coups d'œil intrigués dans le rétroviseur intérieur. Ni l'un ni l'autre n'avait prononcé un mot.
    Barthe paya la course, le chauffeur sortit sa valise du coffre et lui proposa de l'aider à porter « tout ça ». Barthe déclina l'offre :
    - Pas la peine, ça ira très bien. Merci. Au revoir.
    - Au revoir, alors, dit le chauffeur de taxi.
    - Au revoir, dit encore Barthe, tenant la boîte à chaussures pressée d'une main contre son torse, la valise de l'autre.

    Il ne reconnaissait pas la gare où il était descendu, mais c'était la nuit, presque une semaine auparavant. Il prit un billet au guichet, demanda les horaires à l'employé, il avait un train dans deux heures. Sans changement. Le buffet de la gare était fermé depuis des années.
    - Je vais attendre.
    Sa boîte sous le bras, il composta son billet qu'il glissa dans la poche intérieure de son blouson, empoigna sa valise, alla s'asseoir le long du quai sur le banc de bois. La gare était parfaitement déserte. Il attendit son train, la boîte sur ses cuisses et les mains posées dessus. Il fit machinalement un nœud supplémentaire à la ficelle.

     

    Prix littéraires

    Prix Marcel Pagnol 2005.

     

    Dédicace

    Aux ombres de retour et fantômes souriants, pour ceux de maintenant.
    Pour la passagère, compagne du voyage.
    Pour Héloïse, pour Gilles, qui m'attendaient au bord du chemin.

    Épigraphe

    L'enfance,
    Qui peut nous dire quand ça finit,
    Qui peut nous dire quand ça commence
    C'est rien, avec de l'imprudence
    C'est tout ce qui n'est pas écrit
    L'enfance [...].
    Jacques Brel.

     

    Revue de presse

    Journal du dimanche

    13 mars 2005, N° 3037, p. 35.- Hubert Prolongeau

    Méchant dimanche

    On démarre dans la guerre des boutons, et on se retrouve en plein massacre des innocents. Débutant comme une histoire d'enfance rigolarde et nostalgique, le dernier Pelot dévoile au fur et à mesure sa vraie nature : une descente au noir des âmes qui, pour être récemment nées, n'en sont pas moins déjà ardemment cabossées. Été 1957 : alors que commencent les vacances, Zan, endeuillé par la double perte d'un frère et d'une mère et devenu le seul enfant d'un père absent, ne vit que pour ses copains et, très vite, pour la guerre qui l'oppose à une autre bande de gamins. La montée en puissance de l'affrontement et l'arrivée d'une assistante sociale zélée vont mettre le feu aux poudres. Ce qui devait n'être qu'enfantillages mènera au meurtre et à la folie. Près de cinquante ans plus tard, les graines semées pendant ces mois tragiques écloront... Le cadre du drame, ce sont les Vosges, ces Vosges dont, de livre en livre, Pelot a fait son personnage préféré. Sans atteindre à la plénitude de son magistral C'est ainsi que les hommes vivent (Denoël, 2004), son talent trouve son plein équilibre dans le lent balancement entre la dureté des situations et la sensualité d'une écriture qui peint aussi bien les couleurs de la nature que les atermoiements du cœur. On sort groggy de cet été en pente dure.

     

    Livres Hebdo

    18 Mars 2005, N° 593, p. 42-43 (Avant-critiques). Jean-Maurice de Montremy

    Un été 57, façon Pelot

    Fin des années 50, les Vosges, l'été : jeux d'enfants et d'ados. Début des années 2000 : friches industrielles et tireur fou. Pourquoi le "vert paradis" a-t-il disparu ? Suspense, tendresse, générosité. Le retour de Pierre Pelot.

    Méchamment dimanche se déroule à Saint-Maurice-sur-Moselle, dans les Vosges lorraines. Saint-Maurice existe bel et bien. Pierre Grosdemange, dit Pelot, y vit depuis sa naissance, voici cinquante-neuf ans. Il a grandi dans ce monde rural où tournaient de petites industries qui furent prospères. Il a connu là-bas, dès l'école, la femme de sa vie. Il y a passé son "certif". Il y a découvert les BD populaires, les romans d'aventures, les récits de voyages et d'exploits. Depuis 1966, il y a écrit près de cent quatre-vingts livres dans tous les genres. Avec une seule règle : la force du langage, la passion de raconter, et le mystère - jamais totalement levé - de personnages en quête d'eux-mêmes.

    Après l'étonnante plongée dans la préhistoire de la série Sous le vent du monde, en collaboration avec Yves Coppens (Denoël, cinq volumes 1997-2003), changement complet. Ce fut le non moins surprenant thriller historique et fantastique C'est ainsi que les hommes vivent (Denoël 2003), l'un des rares Pelot situés dans sa région natale - région que l'on retrouve donc avec Méchamment dimanche. Mais Pelot ne se répète jamais. On jurerait, cette fois, le roman nourri de souvenirs d'enfance, quand le jeune Pelot (diminutif de Pierre) jouait aux Indiens avec ses amis, dans le paysage magique des Vosges, entre le chemin de fer, sa vieille micheline et la rivière qui grouille de truites. Ici et là, une filature, un atelier, une petite forge. Et la forêt.

    Cela commence en 2004 par l'arrivée d'un voyageur, Barthe, qui connaît bien le pays, mais l'a quitté depuis longtemps. Les choses ont changé : on ne le reconnaît pas. Il n'en dit rien.

    Les deux très brèves scènes du retour sont interrompues par le procès-verbal d'audition, à la PJ, d'un certain Paul Barcot : un être frustre, visiblement, buté, responsable d'une tuerie. Il a tiré sur les ouvriers venus détruire l'ancienne maison Baillon - les Baillon des filatures, maintenant à la dérive. Il ne supportait pas qu'on dérange les fantômes de ce qu'il nomme la maison des crânes, dont il s'est institué le gardien.

    Le procès-verbal s'interrompt. Le lecteur se transporte alors en 1957, au soir du 13 juillet. Deux gamins, Zan et Tipol, jouent dans le cimetière : une plaque les intrigue, recouvrant soit un caveau, soit un souterrain, dont l'exploration pourrait être fabuleuse. Survient une bande de garçons et de filles menée par un grand ado narquois, rival en amour de l'audacieux Zan. Mauvaise blague : il pousse Zan et Tipol dans le caveau puis referme la trappe. Magistrale scène d'angoisse : noir absolu là-dedans, visiblement plein de squelettes anciens. Les garçons s'en sortent. Zan rentre chez lui à pas d'heure, ivre de vengeance. Mais son père l'attend, un veuf taiseux, brusque et maladroit, dont Zan déteste la nouvelle amie, une certaine Méline.

    A la page 57, tout est donc en place : l'été d'autrefois, le langage de Saint-Maurice, ses codes sociaux, la radio qu'on écoute, le kéfir qu'on prépare sur le buffet, les illustrés, les romans à un sou et tout ce qu'on imagine avec presque rien. Un bel été des Vosges, avec des jeux d'enfants et d'ados, la tête pleine de rêves - et, bien sûr, l'amour, la jalousie, les rapports entre père et fils. Cela peut mal tourner, l'irrémédiable peut se produire. Ce que confirment les va-et-vient entre 1957 et 2004.

    Si Pierre Pelot laisse ici parler sa tendresse et sa passion des Vosges, il n'en oublie pas pour autant sa générosité, son art de faire monter l'inquiétude et de conférer aux événements simples l'ampleur d'une quête initiatique. Les nouvelles éditions Héloïse d'Ormesson commencent de la sorte, en beauté, leur production.

     

    Le Monde

    25 mars 2005. Parti pris : Josyane Savigneau

    Pelot, Delperdange : destins d'enfance

    Qui a croisé quelquefois Pierre Pelot -­ il descend rarement de ses Vosges natales -­ ne s'étonnera pas de le voir quitter Denoël, qui a publié 16 de ses 22 livres, dont la série Sous le vent du monde, avec Yves Coppens (1), pour tenter l'aventure des toutes jeunes éditions Héloïse d'Ormesson. S'il avait fait passer son souci de carrière avant son désir de liberté et son sens de l'amitié, Pelot serait sûrement beaucoup plus connu. En revanche, on imagine mal le passionné de SF et de polars qu'il a été, l'auteur de L'Été en pente douce (Folio) ou du Pacte des loups (Rivages), donnant soudain dans le récit personnel. S'il y a de l'autobiographie dans ses livres, notamment dans les 1 000 pages de C'est ainsi que les hommes vivent (Denoël, 2003), elle est surtout géographique. On se retrouve souvent du côté de Saint-Maurice-sur-Moselle, où vit Pelot depuis toujours.

    Est-ce parce que 2005 est l'année de ses 60 ans qu'il regarde du côté de son enfance vosgienne, avec ce Méchamment dimanche ? Peut-être. Mais comme il a peu de goût pour l'autofiction, on ne saura pas de quel garçon de la bande ­ Zan, Belette et les autres ­ le véritable Pelot est le plus proche. Il était, comme eux, un bon tireur à l'arc, c'est certain. Il a eu, comme eux, de jeunes années un peu sauvages, dans la rudesse des Vosges. Et il en fait aujourd'hui un roman d'apprentissage très singulier, vif, drôle, inquiétant aussi ­ il ne perd jamais son goût du suspense ­, et peut-être un peu nostalgique, de ces adolescences non encadrées, non balisées, non "psychologisées"...

    Tout commence le 13 juillet 1957, soir de la retraite au flambeau. Zan (12 ans, comme Pelot à l'époque) et sa bande de copains se retrouvent au cimetière de Saint-Maurice-sur-Moselle pour explorer un mystérieux endroit, caché par une trappe. Zan et son ami Tipol se retrouvent enfermés, poussés dans le trou par un aîné et rival, Nano Grandgirard. Ils auront toutes les vacances pour se venger, avec Belette, toujours flanqué de sa jumelle Zita...

    Mais on se retrouve soudain en 2004, dans le même village. Un forcené, Paul Barcot, a tué plusieurs ouvriers venus démolir une vieille bâtisse. Peu après son arrestation, un homme, Jip Barthe, s'installe à l'hôtel. Encore un journaliste, sans doute. Ou peut-être un policier.

    En revenant à l'été 1957, on découvrira que Zan s'appelle Jean-Pierre (JP, Jip ?), et que Tipol (Paul ?), très attaché à Zan, est un garçon un peu arriéré, comme on disait alors. Zan vit avec son père, devenu alcoolique à la mort de sa femme, et avec un mystérieux petit frère, Jean-Claude (une des clés du drame, qu'il faut garder secrète). De chapitre en chapitre, l'écriture de Pelot, parfois un peu"fleurie", se resserre, au fur et à mesure que montent l'angoisse, les jalousies, les blessures sentimentales ­ Zan pense que Nano Grandgirard empêche Angèle de l'aimer et que Méline, l'assistante sociale, lui prend son père, redevenu sobre et désireux de vivre avec elle. D'une"attaque"de train à coups de flèches, on passe à un été beaucoup plus meurtrier, tragique. Méline disparaît sans laisser de traces, le père se remet à boire et deux hivers plus tard disparaît aussi, emporté par la rivière. Zan quitte le village.

    Pourquoi Jip Barthe, commissaire de police à la retraite, se retrouve-t-il à Saint-Maurice-sur-Moselle vingt-sept ans plus tard, alors qu'il a voulu oublier son surnom de Zan et a même changé son patronyme ? On le comprend petit à petit, mais Pelot ne cherche pas à fournir au lecteur une solution, comme dans une énigme policière, plutôt à le mettre en empathie avec un destin construit sur une enfance dévastée.

    Au contraire de Pierre Pelot, Patrick Delperdange a peu écrit. Quelques livres pour enfants, des BD, et, en 1992 un roman noir, Coup de froid (Actes Sud). Il revient avec un beau récit, très construit, Chants des gorges (2), l'histoire d'un enfant sauvage, petit frère égaré du Tipol de Pierre Pelot. Sept "chants" scandent la dérive d'un gamin d'une douzaine d'années qui se vautre volontiers dans la boue, mange de la terre, et est obsédé par "les saletés" que font les bêtes et les humains, "les chiens attachés par le cul", les hommes qui se couchent sur les femmes, tandis qu'elles gémissent pour leur faire croire que c'est bon "mais il n'y a rien de bon là-dedans ! C'est que saleté, malheur et tromperie".

    Dans sa fuite qu'on sait sans espoir ­ la police le cherche pour le meurtre du curé du village ­, le garçon rencontre un contremaître, la compagne d'un gangster, un patriarche gitan, une femme prenant son chien pour un fils, des dealers... A chaque "chant", le narrateur est différent -­ le chef de chantier, la femme, le Gitan... -­ et entretient un rapport éphémère et très particulier avec cet enfant sauvage, qui agit sur chacun en révélateur, attire, inquiète, comme il retient le lecteur, incapable de comprendre son mystère.

    (1) Tous en Folio, Gallimard.
    (2) Éd. Sabine Wespieser, 220 p., 19 €.

     

    Métro

    25 mars 2005. Karine Papillaud

    Pierre Pelot n'aime pas les dimanches

    "J'ai passé la vie à maîtriser des histoires, sauf la mienne". Pierre Pelot est un écrivain médiatiquement rare, humainement précieux. Son oeuvre se décline en 180 livres, de la littérature dite "générale" au western, du roman noir à la SF : "De la science-fiction où l'on ne trouve pas vraiment de science et des polars sans flics ! Mes livres racontent toujours l'histoire d'un individu dans une société donnée. C'est plutôt anarchiste, au fond." Son dernier roman, Méchamment dimanche (éd. Héloïse d'Ormesson), relate une vie introspectivement gâchée par le secret et le meurtre. Cela commence comme La Guerre des boutons, en 1957, avec des bêtises de gamins dans la campagne vosgienne. Cinquante ans plus tard, Zan, le petit héros devenu commissaire, revient faire le bilan du passé. L'écriture est fine, sincère, forte, authentique. Pelot emmène son lecteur avec lui, parmi ses personnages, dans un univers vivant, passionnat et généreux.

     

    Lire

    Avril 2005, p. 79. Christine Ferniot

    Voyage à la fenêtre

    Le Pelot nouveau est arrivé ! Un roman d'apprentissage épatant.

    Longtemps, il rêva d'écrire sur son village et ses habitants, ses souvenirs, sans oser sauter le pas. Affaire de respect sans doute. Pierre Pelot est attaché à Saint-Maurice-sur-Moselle depuis sa naissance, il y a bientôt soixante ans. Ses racines sont là-bas, dans ce coin des Vosges où les arbres et les montagnes font une ombre plus dense qu'ailleurs, où l'on entend chanter la rivière au détour du bois, entre les aulnes et les sapins. Gamin, il attrapait les truites à main nue dans l'eau glacée, épluchait les branches de noisetier pour faire des flèches et jouait aux Indiens des après-midi durant. Quelques années plus tard, il écrivit ses premiers westerns en se souvenant de ces batailles rangées.

    En fait, Pierre Pelot s'appelle Pierre Grosdemange. Pelot est le surnom que lui donnait sa mère et qui signifie Petit Pierre. Il a choisi ce mot tendre comme pseudonyme, puis en a inventé bien d'autres. Pour écrire, encore et encore. Mais, désormais, c'est Pelot qui a gagné la partie. Aujourd'hui, Petit Pierre habite toujours Saint-Maurice. Il y a construit sa maison, ses meubles, sa vie, avec sa femme et son fils. Pelot n'est pas un mondain, à peine un voyageur, mais dans sa tête, les aventures crépitent sans cesse et il se doit de les écrire pour les faire partager, gardant en réserve deux ou trois autres idées pour plus tard. Il était bien jeune quand tout a commencé. Seize ans. Pas vraiment fait pour l'apprentissage, il rêve de dessiner, d'écrire des BD. Puis il décide de s'atteler au roman, de vivre de sa plume et, à vingt ans, publie son premier texte, La Piste du Dakota. Le pli était pris pour la vie. Il ne s'est jamais arrêté, alignant près de cent quatre-vingts livres ! Ce boulimique s'est essayé à tous les genres : le western, pour rester fidèle à ses jeux et ses lectures de gamin, mais aussi le polar, la science-fiction, le fantastique, le roman historique, la jeunesse... Il a connu le succès plus d'une fois, les adaptations au cinéma avec, entre autres, L'été en pente douce, a travaillé avec le paléontologue Yves Coppens pour Le Rêve de Lucy. Pierre Pelot est fasciné par l'histoire, l'origine des hommes, la mémoire des lieux. Il s'est fait son éducation entre lectures et cinéma, forgeant sa culture en autodidacte qui n'a jamais fini d'apprendre et d'être curieux.

    Voici deux ans, il osait enfin situer son nouveau roman dans son pays, évoquant des hommes et des femmes qui appartenaient à sa région. C'est ainsi que les hommes vivent fut qualifié de western fabuleux où le XVIIe siècle tendait la main au XXIe : plus de mille pages gorgées de passion, de drames, de sorcellerie, de tempêtes et qui touchèrent un large public. Il est de retour avec une fiction qui se situe précisément chez lui, à Saint-Maurice, entre la rivière et les bois. A nouveau, deux époques se répondent : 1957 et 2004. Mais Pelot ne se cache plus derrière une aventure historique, il plonge dans le roman d'apprentissage contemporain avec une bande de gosses du coin. Écrivain de proximité, voilà le Pelot nouveau avec Méchamment dimanche et ces descriptions de lieux qu'il peut apercevoir de sa fenêtre, ces visages barbouillés qui doivent drôlement ressembler aux photos de classe qu'il range dans son bureau ! Il lui a fallu quarante ans d'écriture tous azimuts pour oser revenir à la maison et en toucher le cœur. Parfois, on se croit dans La Guerre des boutons avec des bagarres de bandes rivales, des chuchotements d'amis fidèles. Mais face à cet été 1957 qui s'assombrit au fil des pages, s'impose l'année 2004, et le retour d'un homme sur son passé. Tout le talent de Pierre Pelot est là : le sens de l'intrigue mais aussi les jeux sur la langue, les rythmes et l'émotion au bord des lèvres. Mais ne nous y trompons pas, il ne s'agit pas d'un texte testament. Pelot a bien d'autres projets en cours : des envies de flibustes et de rudes batailles sur les océans. Il a déjà rassemblé sa documentation pour un nouveau départ, là où les hommes se battent pour réaliser leurs rêves les plus fous. Soixante ans cette année ? Baliverne.

     

    Télé 7 Jours

    16 au 22 avril 2005, p. 144. Olivier Barrot

    Sacré Pierre Pelot ! C'est le romancier le plus prolixe de sa génération, adoré du cinéma. Que s'est-il passé pendant ce mois de juillet 1957 ? Les mômes paraissaient sortir du Club des Cinq. Erreur. Un demi-siècle plus tard, voici les séquelles de cet "été meurtrier".

     

    Le Figaro

    12 mai 2005, Olivier Delcroix

    EN VUE.- Pierre Pelot : la mort en culottes courtes

    La palette de Pierre Pelot s'enrichit de livre en livre. Le romancier aborde cette fois les eaux troubles de l'enfance, au coeur de la France de l'après-guerre.

    A l'évidence, il a mis beaucoup de lui-même dans ce nouveau livre. Pour ce Vosgien, né à Saint Maurice-sur-Moselle, les aventures ne cessent jamais de crépiter, du moins, devant sa machine à écrire. Ce livre n'est-il pas le 164e qu'on lui doit !

    Cette fois, nous avons droit à une tragédie enfantine, comme le Stand by Me, de Stephen King, dont Rob Reiner tira un si beau film, et tout commence dans le cimetière pentu de Saint-Maurice-sur-Moselle. Le soir venu, nous sommes à la veille du 14 juillet 1957, une bande de «galichtrés», qu'Yves Robert aurait volontiers adoptés, se retrouve pour explorer ce qui est caché derrière une trappe. Le chef de bande, Zan, gamin mal remis de la perte de son frère et de sa mère, est jeté dans le trou par un rival, Nano Grandgirard qui est son aîné, en compagnie de Tipol, son ami un rien simplet. De quoi faire naître une nouvelle «guerre des boutons», à ceci près qu'elle conduira au meurtre et à la folie.

    Un demi-siècle n'aura pas suffi à éteindre les braises qui couvent toujours à Saint-Maurice-sur-Moselle. En 2004, la bourgade redevient même le théâtre d'un fait divers : un dénommé Paul Barcot assassine, sans raison apparente, cinq ouvriers en train de démolir une vieille bâtisse. Rien ne peut expliquer la folie de son acte. Rien, sauf le souvenir de ces mômes, quarante-sept ans plus tôt. L'affaire fait tant de bruit dans la presse que, après l'arrestation du forcené, un mystérieux voyageur, Barthe, revient au village, qui a l'air de chercher quelque chose dans son passé.

    Par sa voix, par ses souvenirs, grâce à sa mémoire lourde de quelque drame ancien, ce narrateur, un policier à la retraite, reprend une enquête qui le concerne de près. De très près, même...

    Et les pages de défiler, ponctuées d'expressions savoureuses, l'intrigue se ramifiant sans relâche. On sera presque à chaque moment sensible au lyrisme qu'inspire la terre et à l'analyse des terreurs qui, parfois, frappent l'enfance. Un graphomane, Pelot ? Oui, un peu, mais le goût des mots rachète sa verbosité. Fils d'un charpentier et d'une ouvrière à la filature, l'écrivain a contracté, parmi les siens, l'amour du travail bien fait, qui se déploie dans ce roman d'apprentissage, une fois encore.

    Pierre Pelot sera présent aux Imaginales d'Épinal, qui se tiendront du 19 mai au 22 mai. Rens : 03.29.29.15.07.

     

    Les Inrockuptibles

    18-24 mai 2005. Judith Steiner

    Une écriture torrentielle, têtue et fière au service d’un « thriller vosgien ».

    C’est son 164e roman en à peine quarante ans. Peut-être son plus personnel après les westerns, les polars, les séries SF ou préhistorique. Mais qui peut dire qu’il les aura tous lus ? L’auteur de L’Été en pente douce et du Pacte des loups qui livra en 2003 à la critique esbaudie C’est ainsi que les hommes vivent, mille-feuille vosgien au goût de tempête et de sorcellerie, revient enfin sur les lieux du crime. L’enfance. Une enfance puissance dix, plus vraie que nature, foisonnante de rêves et de batailles, de pactes et de trahisons, de feu de forêt et de mollets giflés par les ronces. Été 1957, Saint-Maurice-sur-Moselle (là où vit Pelot depuis soixante ans) : il va faire assez chaud pour choper les truites à la main. Mais la saison ne sera pas meurtrière que pour la poiscaille. Mère et frère brutalement disparus, Zan voit son père se noyer dans la bonté poisseuse de la gentille assistante sociale. Il le préférait imbibé d’alcool. 2004, un forcené a tiré sur les ouvriers chargés de démolir la vieille baraque des anciens patrons du Tissage. Après la police et la presse, l’étranger qui vient roder au village connaît drôlement bien les parages… Tout est mystérieux chez Pelot, tout est au bord du gouffre, et tout prend son temps. Le classicisme du grand roman d’apprentissage rural joue des coudes entre les néologismes en cascades de phrases à la poésie rocailleuse et bravache. Les raconteurs d’histoires aussi ont droit à l’écriture. La sienne est torrentielle, têtue et fière, souvent tarabiscotée. Mais elle ne quitte jamais des yeux la vérité humaine de ses personnages. On pense à Jean-Louis Murat. Entre ermites prolixes et râleurs, ces deux-là devraient se comprendre.

     

    Télérama

    25 mai 2005. Michel Abescat

    C'étaient des grandes vacances comme on n'en fait plus. Loin des clubs de plage et des parcs à thème qui n'existaient pas encore. Des vacances sans chichis, à la régalade des jours et de la campagne environnante. Des heures sans fin à construire des cabanes, à choper les truites à mains nues où à guetter le manège d'une loutre au bord de la rivière. Des jours à traquer l'ennemi de la bande adverse, armés d'arcs et de flèches fabriqués maison, ou à mater le dernier arrivage de filles de la colo voisine. C'étaient des vacances d'avant la télé, quand les séries se lisaient dans Atome Kid, Hurrah ! ou L'Intrépide, quand la radio trônait au centre de la cuisine-salleà manger et s'enflammait aux exploits de Jacques Anquetil sur le Tour de France. C'était l'été 1957.

    Pierre Pelot n'était qu'un gamin et n'avait pas encore écrit un seul de ses 180 futurs romans. Ni La Forêt muette, ni L'Eté en pente douce, ni sa fameuse série Sous le vent du monde. Encore moins cette fresque dévorante, parue il y a deux ans, C'est ainsi que les hommes vivent, qui raconte sur quatre siècles l'histoire de sa vallée et des gens qui l'habitent. Non, Pelot n'avait que 12 ans, et sans doute l'animal faisait-il partie de ces galichtrés toujours prêts pour les quatre cents coups, qu'il met en scène dans son dernier livre, Méchamment dimanche. Peut-être le plus personnel, à coup sûr un de ses meilleurs.

    Voici donc Zan et Tipol et Zita et Belette, une bande d'Indiens en culottes courtes, lâchés pour six semaines dans l'été brûlant de cette campagne vosgienne que Pelot n'a jamais quittée. Tout commence façon Guerre des boutons, quand Zan et Tipol se font enfermer dans une fosse du cimetière communal par Nano Grandgirard et sa bande. La peur de leur vie, qui mérite une vengeance exemplaire. Pierre Pelot raconte par le menu les épisodes de cette guerre picrocholine, avec cette attention au décor - un reflet sur la rivière, le crissement d'un grillon ou d'une sauterelle - ce souci du détail - un geste, un regard, un silence -, un sens du rythme et du récit qui font de lui l'un de nos meilleurs conteurs. Mais l'atmosphère progressivement s'alourdit. L'été s'englue dans la chaleur, la sècheresse se fait menaçante. A la lumière des vacances et des jeux apparemment anodins se mêle peu à peu l'ombre portée d'une tragédie. Avec un art subtil de la construction et du suspense, Pelot en distille les éléments jusqu'à la dernière ligne : la mort accidentelle d'un enfant, l'attachement exclusif d'un garçon pour son père et, quarante-sept ans plus tard, l'explosion de violence d'un forcené...

    Méchamment dimanche exprime ainsi tout le talent de Pierre Pelot. Son goût et son art des histoires, l'humanité lucide de son regard, son sens de l'émotion et de la pudeur, sa passion pour la langue et pour les mots, les anciens en particulier, dont il joue avec une évidente gourmandise. Et bien sûr cette proximité avec l'esprit de l'enfance qui lui fit un jour refuser un destin tout tracé - devenir électricien - pour continuer à jouer avec les histoires qu'il n'a jamais cessé de se raconter. L'enfance / Qui peut nous dire quand ça finit / Qui peut nous dire quand ça commence, chantait Jacques Brel, cité en exergue du livre.

    Côté Femme

    Juin 2005, p. 108.

    Hélène, 48 ans, infirmière à Toulouse et lectrice de Côté femme, a lu

    Brigitte Varel, Jacqueline Remy et Pierre Pelot.- Est-ce mon métier qui me pousse à lire des ouvrages où l'âme humaine est à vif ? Je ne crois pas que l'on naisse bon ou méchant. C'est la vie, les événements qui nous façonnent. Il suffit de lire Blessure d'enfance de Brigitte Varel, qui raconte la vie de Vincent et de sa soeur Lauriane dans un petit village de l'Isère. De pauvres gosses marqués par l'alcoolisme de leur père et la mort de leur mère. Une famille happée par la violence et qui cherche une possible rédemption. Tout autre est Essaie encore de Jacqueline Remy. Un milieu privilégié, un papa avocat et une fille qui réussit. Mais que cache ce beau tableau ? Il faut du talent pour entraîner les lecteurs dans les secrets de famille dont on ne ressort jamais vraiment indemne. Et puis il y a le regard aigu et vif de Pierre Pelot sur l'enfance dans Méchamment dimanche. En 1959, des gosses livrés à eux-mêmes jouent aux gangsters et attaquent un train à cause de la bande rivale. C'est un peu la guerre des boutons en terre vosgienne, mais si le rire est là, les larmes ne sont pas loin. Avec talent, Pierre Pelot, à qui l'on doit aussi C'est ainsi que les hommes vivent (Denoël), déchire nos bonnes consciences d'adultes en dessilant nos regards.

    Blessure d'enfance, Brigitte Varel, Presses de la cité, 19,80 €. Essaie encore, Jacqueline Remy, JCLattès, 18 €. Méchamment dimanche, Pierre Pelot, Éditions Héloïse d'Ormesson, 23 €.

     

    Version Femina

    5 juin 2005, N° 166, p. 8. Dominique Bona

    Le Coup de coeur de Dominique Bona

    Pour le premier livre de sa toute neuve maison d'éditions, Héloïse d'Ormesson publie le roman d'un vétéran : Pierre Pelot. L'auteur du Pacte des loups et de L'Été en pente douce signe un suspense de caractère, sur fond nostalgique des années 50. A Saint-Maurice-sur-Moselle, Zan, Belette, Zita et le grand Nano jouent aux Indiens, pêchent dans la rivière, construisent des cabanes. Jeux d'enfants, innocents et cruels. Bientôt, des morts singulières assombrissent l'été. D'un souterrain qui débouche dans un cimetière à une "maison aux crânes", qui a servi de refuge à des soldats allemands, la petite bande court à sa perte. Sang et folie. Climat de vengeances. Quarante ans après, un mystérieux policier à la retraite vient enquêter sur le passé. Poids étouffant des souvenirs. Moiteurs coupables. Dénonciations. Ce roman haut en couleur, qui n'a pas peur des ombres, peint un monde à la campagne où le dimanche n'est vraiment pas de tout repos.

     

    Le Soir

    Bruxelles, 10 juin 2005. Pascale Haubruge

    Pierre Pelot : une musique qu’on regarde avec les yeux…

    L’écrivain retrouve son enfance dans Méchamment dimanche. Un bonheur, pour lui comme pour nous. Au récent festival de Saint-Malo, conversation complice dans le ton de ce roman très beau, épais comme il faut pour l’été. Pascale Haubruge à Saint-Malo.

    C’est un roman d’enfance et d’eau douce, de clans ennemis, de grandes vacances, un roman de pêche à la ligne, d’attaque de train à l’arc à flèches. C’est aussi une histoire de meurtres, de cadavres, de « maison des crânes ». Méchamment dimanche, le nouveau Pierre Pelot, épais comme il faut pour l’été, a l’élégance d’être tout à la fois doté d’une intrigue nourrissante, solide, subtile, enivrante, et riche de mots pareils à nuls autres.

    Qu’il raconte une fête au village ou l’orage qui couve dans la vallée, retranscrive des paroles d’enfants ou un procès verbal, Pelot a la phrase nécessairement belle – utile, dans sa musique même, à l’équilibre du récit. Il prend son temps aussi, ce rusé d’écrivain, attend pour révéler la portée de paroles qui, sans cela, perdraient de leur force. Son histoire sait où elle va mais sans le faire savoir, laissant la place d’imaginer.

    Deux temps s’imbriquent dans Méchamment dimanche. L’été 1957, où un Zan de douze ans, garçon plus libre que les autres, sans doute, mais aussi sans mère, vit sa vie de môme en vacances et rêve de devenir auteur de bandes dessinées. Et 2004, où un homme en blouson revient au village de son enfance, un de ses amis de jadis venant d’y commettre un carnage. Le tout se passe à Saint-Maurice-sur-Moselle, dans les Vosges… Suite dans le roman, car, sans la musique de Pelot, sans ses Ils entrèrent dans le mois d’août en même temps que de gros nuages, ses Bien sûr, ils sont tous morts. Au bout d’un certain temps, ils sont tous morts, vous verrez, le récit boîte, paraît bien fade comparé à l’original.

    Et ça lui vient comme ça, à Pelot, ces mots si beaux ? Oui, plutôt, s’excuse-t-il presque tout en souriant de plaisir, au Festival de Saint-Malo, je réfléchis quand même un peu, quelques secondes… Comme je ne sais pas parler comme ça, ce que j’aimerais bien, j’écris. C’est le moyen que j’ai trouvé pour y arriver. Il a bien un plan, une structure en tête, et des fiches, des notes, mais une fois qu’il se met au clavier de son ordinateur, ça s’écrit tout seul sous ses doigts.

    Ici, au départ, explique-t-il, je savais quelle histoire je voulais raconter : celle de ce petit garçon qui commet ce qu’il commet et dont la vie va être ligotée par l’attente d’une punition. J’ai simplement écrit les deux parties, les douze ans de Zan et le retour de l’homme dans le village de son enfance, de manière totalement séparée, et je les ai entremêlées ensuite, mais, dès le départ, je savais comment j’allais les imbriquer. Et ça a été un bonheur : retrouver l’année 1957, mes douze ans à moi, des choses d’alors auxquelles je n’avais pas pensé et qui ressurgissaient !

    Pierre Pelot a mis beaucoup de lui [……..] ment, on avait même décidé de fumer la pipe, dans une pipe en plastique qu’on avait bourrée avec des cigarettes. L’ennui, quand on allume ça, le plastique, ça fond. C’est dégueulasse !

    Géographiquement, ça colle aussi : Zan vit dans les mêmes Vosges que celles où Pelot a grandi. Dans le même village, avec les mêmes vergers, la même rivière, la même maison abandonnée… Tant qu’à faire, rigole-t-il, autant me servir d’un cadre que je connaissais. Il a aussi connu l’usine de tissage du roman. Sa mère y était « rentreuse » ; son père, menuisier-charpentier. Mais à part ce travail à l’usine, ce dernier n’a rien à voir avec le père de l’histoire, veuf accro à la bouteille qui veut se remarier avec une assistante sociale, au grand désespoir de son fils.

    Pierre Pelot écrivait cinq, six romans par an, il n’y a pas si longtemps. Dans tous les genres : jeunesse, SF, roman noir, dont certains (ceux parus au Fleuve Noir) sous le nom de Pierre Suragne. Ayant pas moins de cent quatre vingt livres à son actif, il se donne à présent plus de temps. C’est de plus en plus difficile, note-t-il, et puis j’ai envie de me faire plaisir. Il m’est arrivé d’écrire trois bouquins en quelques mois. Là, si j’écris trois pages par jour, c’est bien. Et ça me convient. C’est pas seulement écrire, écrire… C’est aussi se balader. Avant, quand j’avais un problème de narration, je me mettais dans un fauteuil. Maintenant, je marche, et le problème se résout, comme par magie.

    Là, je viens de passer trois, quatre mois sur la manipulation du roman suivant, la manière de raconter l’histoire. Il se passe au XVIII° siècle et s’appelle L’Ombre des voyageuses. J’ai déjà la première phrase : Ils m’ont appelée la Rouge Bête. Ce n’était pas méchantement. C’est la première fois que j’écris dans la peau d’une femme. J’en ai déjà fait accoucher une à la troisième personne. Et j’ai souffert, c’est la moindre des choses !

    Et l’auteur de poursuivre, nous ouvrant grand les portes de sa manière de créer : Quand j’écris, je ne pense pas au lecteur, mais à l’histoire. C’est à l’histoire que j’ai des comptes à rendre ! Mais, quand même, je n’ai pas envie de le prendre ou de la prendre pour un idiot, ce lecteur… De là, entre autres, le bonheur de le lire. Bonheur dû aussi à son art de laisser parler le paysage. Par exemple quand il écrit : C’était une de ses nuits immobiles, faufilées de minuscules craquements remontés à la surface des choses échaudées par la traversée du jour.

    J’adore ça, reconnaît Pierre Pelot, rendre compte de ce qui se passe derrière le visible en racontant la vie d’un paysage, le côté terre, le côté ciel, le vent, le climat. J’aime les longues phrases aussi. Il m’arrive d’en écrire qui font une page, une page et demie, et de ne m’en rendre compte qu’à la fin, parce que ça coule, que la musique fonctionne. Ce n’est jamais qu’une histoire de musique qu’on regarde avec les yeux. Et Pelot de reconnaître ses dettes en la matière à l’égard de Faulkner, mais également de Brel, Brassens et autres chansonniers.

    Si Méchamment dimanche est si réussi, c’est aussi parce que le passé n’y grésille pas de nostalgie mais vit au présent. Au même titre que la préhistoire vit dans la série Sous le vent que l’auteur a écrite avec Yves Coppens. Je voulais taper dans la quotidienneté des gens de l’époque, développe-t-il, sans faire du documentaire. Sauter au-dessus du temps, c’est ça qui est intéressant, aussi bien dans mes romans préhistoriques que dans celui-ci ou dans le suivant.

    Fort de cette idée que le présent saute au-dessus du temps, Pierre Pelot a fait construire sa maison dans la carrière où jouent les enfants de son roman. La rivière est tout près. Mais elle a changé. D’abord, constate-t-il, elle me paraît beaucoup plus petite. Il y avait de ces trous d’eau, sur cette rivière, avant. C’était vraiment une autre planète. On y passait des jours et des jours pendant les vacances. On pouvait rester des heures entières sur une pierre en imaginant que c’était une île… Une île où accoster dans Méchamment dimanche, grave et marrant, enthousiasmant, beau et grand roman !

    Dates.- 1945. Pierre, qui ne s’appelait pas encore Pelot (surnom que ne va pas tarder à lui donner sa mère), naît le 13 novembre, à Saint-Maurice-sur-Moselle, dans les Vosges. Son père, menuisier-charpentier, et sa mère, ouvrière (rentreuse), travaillent à l’usine textile du village. 1959. Certificat d’études primaires. Premiers essais de romans. Huit jours dans un centre de formation d’apprentis (section électricité) à Mulhouse : il s’enfuit avec quatre copains du village… 1960-1963. Apprend le dessin par correspondance. Commence à créer des bandes dessinées. En envoie une à Hergé, qui répond que ses dessins ne sont pas encore très au point, mais qu’il aime beaucoup ses scénarios, et l’encourage dans cette voie. Il a alors 18 ans, et décide de devenir écrivain. 1966. Premier livre publié : La Piste du Dakota (réédité chez Pétrelle), dédié à son père, mort en 1962. Dans la foulée, il crée Dylan Stark (cf. Au fil de ses livres). 1976. Delirium Circus (réédité en J’ai Lu), grand prix de l’Imaginaire. 1986. L’Été en pente douce (disponible en Folio) est adapté au cinéma par Gérard Krawzyck, avec Pauline Lafont, Jean-Pierre Bacri. 2005. 180 livres au compteur (liste sur son site http://ppelot.club-internet.fr, un modèle du genre, et autres informations utiles sur http://www.ecrivosges.com. P. He.

    Fête au village.- Tout bascula sur l’autre versant du soir. D’abord les pétarades qui retrouvaient vigueur […]. Ensuite la fanfare ressuscitée […]. Dans les instants suivants, la déferlante prit possession de la place, tel un […] tournoiement de cris et de bavures de feu qui barbouillait tout entre l’audible et le visible. Méchamment dimanche, p. 22.

    Bonheur sous cape.- C’était pourtant bien du bonheur, nom que l’on donne à ce frisson plat dont on surprend parfois la coulée dans les veines , du bonheur aussi de le savoir et d’en ressentir cette sensation de précarité essentielle. Il apparut à Zan que le bonheur sous cape pouvait aussi rire en tranchant. Méchamment dimanche, p. 119.

     

    Livres Hebdo

    N° 606, 17 juin 2005

    Prix Marcel-Pagnol

    Huit titres parus à peine à leur catalogue, et les Editions Héloïse d'Ormesson voient un de leurs auteurs récompensé. Pierre Pelot vient de remporter le prix Marcel-Pagnol 2005 pour son roman Méchamment dimanche, devant Patrick Chamoiseau, Jérôme Clément, Régis Jauffret, Matthias Malzieu et Patrick Modiano. Une bande annonçant le prix a été immédiatement ajoutée au livre, déjà vendu à 20 000 exemplaires. Le jury du prix Marcel-Pagnol est composé de Jacqueline Pagnol, Daniel Picouly, Catherine Enjolet, Patricia Martin, Claude Pujade-Renaud, Philippe Claudel, Dominique Guiou.

    L'Express

    27 juin 2005. Daniel Rondeau

    Le climat d'une enfance pauvre dans une petite ville des Vosges à la fin des années 1950 est une excellente pâte pour qui veut pétrir ses souvenirs et ses songes pour en faire un roman. Méchamment dimanche, de Pierre Pelot, raconte les grandes vacances d'un garçon qui parle avec son chien et qui rêve, les souvenirs d'une mère disparue et irremplaçable, la solitude d'un père, l'amour du fils et du père.

    La sirène de l'usine, les échos quotidiens de l'arrivée du Tour à Radio-Luxembourg (c'est encore une année Anquetil) et des airs de chansons rythment les travaux et les jours. Il y a une rivière pour attraper des truites et laver ses plaies, car cet été 1957 est meurtrier. Il a suffi d'une partie de tir à l'arc un peu trop aventureuse, de quelques orages et d'un incendie. Des vies s'effacent, la fatigue revient avec les premières pluies, l'enfant qui n'obéissait qu'à lui-même et voulait vivre loin des hommes renonce à sa forêt ; c'est l'automne, son ciel grillagé, le temps des nuques courbées, des adieux (à la folie de cet été déjà passé, aux amis) et de la parole donnée (un jour, je reviendrai).

    Pierre Pelot ressemble aux personnages de son roman. C'est un Robin des bois habitué aux chemins de traverse (la science-fiction et le roman policier). Il ne sort guère de sa forêt de Saint-Maurice-sur-Moselle et a pris le maquis de la littérature à 14 ans. Au moment d'endosser son premier bleu de travail, il a loué une machine à écrire, tapé un manuscrit et l'a envoyé au Fleuve Noir. On connaît des débuts moins romanesques. Récemment, Pelot a publié un livre au titre aragonien, C'est ainsi que les hommes vivent, où il montrait des capacités peu communes, souffle et langage, taillant ses mots comme des flèches pour les planter et les faire vibrer dans l'épaisseur du temps, ce qui n'est pas rien...

    Méchamment dimanche souffre d'ailleurs de la facilité de l'auteur. Pelot ne manque pas d'armes (son arc et ses embouts, sa foulée de coureur des bois), mais il lui manque un fouet. Il se laisse conduire par les mots au lieu de les mener là où il veut aller. Le début du roman est embarrassé par ce trop-plein de vagabondages et d'images. Quand il trouve enfin son rythme et sa discipline, il pince alors avec bonheur quelques cordes sensibles qui nous rattachent aux paysages de l'enfance. Il y a chez Pelot un côté Pagnol des provinces de l'Est capable de nous faire entendre la respiration de la forêt, la fraîcheur de l'onde, la présence des animaux, et la façon souvent douloureuse qu'ont les hommes et leurs fils de s'accorder au monde.

     

    Page créée le jeudi 24 février 2005.