Avant la fin du ciel

 
 
 

Revue de presse

 

L'Humanité

3 février 2000. Fabrice LANFRANCHI

L'homme qui racontait des histoires

Choisir quelques livres dans l'œuvre de Pierre Pelot est une tâche impossible. Il en existe trop. Le trop, ici, est à prendre dans le sens positif, celui de l'excès, celui de la démesure, comme le "trop de notes dans Mozart" lâché par un Salieri dépité. Désolé, Pelot cavale haut et fort et si son imagination arpente les landes de notre enfance pour bondir sur nos terres d'adultes jamais complètement remis, tant mieux. Si parfois le petit monde littéraire parisien préfère encenser l'anorexie de récits pingres dont seul l'ego flirte avec les superlatifs tant pis. Merci alors au calendrier éditorial de lancer, en ce début d'année, quatre nouveaux titres signés par le Vosgien barbu. [Il s'agit de : Avant la fin du ciel, L'Ombre de la Louve, Natural Killer, et La Piste du Dakota].

Avant la fin du ciel quatrième et avant dernier tome de la saga Sous le vent du monde appartient à la veine de romans dont l'action se situe 65 000 ans avant notre ère. Pierre Pelot réfute le terme de "roman préhistorique" et encore une fois s'avoue simplement raconteur d'histoires. Et, même si le contexte historique est formidablement présent, c'est toute la mise en scène des personnages dans le cadre serré d'un récit qui séduit et enflamme l'oeil, un art de faire qui tout simplement se nomme littérature. Les mythes fondateurs de notre société sont là, au fil des mots derrière une fiction serrée. Que les puristes se rassurent le célèbre paléontologue Yves Coppens apporte toujours sa caution et une préface à ce travail gigantesque, né d'une passion sans faille, d'une documentation gigantesque et même d'un dictionnaire imaginé et composé par l'auteur sur de petits cahiers d'écolier.

Ahorn, lui est un gamin de 35 000 ans. Héros de L'Ombre de la louve, second volume et suite de L'Enfant tueur un polar né en ces temps lointains lorsque le feu signifiait la vie et pas encore un calibre 7.65.

 

La Liberté de l'Est

Livres en liberté - N° 406, 22 mars 2000. Raymond PERRIN

Pelot et le Neandertal, acte 4

Partie de la faille du Rift africain, il y a - 1,7 millions d'années, passée sept cent mille ans plus tard par les montagnes du Sud de l'Asie, puis au cœur de l'Eurasie - 380 000 ans avant nous, la saga de paléofiction pelotienne remonte à pas de géant l'histoire des hommes. La voici quelques dizaines de milliers d'années avant le présent, "avant la fin du ciel".

On en oublierait le cadre imposé et sévère de la plausibilité scientifique tant ces récits paraissent d'une véracité irréfutable. Ce qui fait la force et l'originalité de cette longue histoire, c'est l'unité de sa thématique accrochée sans faillir au destin dévoilé des premiers hommes, et d'un style au souffle puissant et visionnaire, mais parfaitement maîtrisé.

Ce détour, il y a quelque 65 000 ans sur le territoire qui deviendra la France n'était pas prévu dans le cycle originel Sous le vent du monde, conçu au départ pour quatre tomes. Grâce à l'insistance des paléontologues et au travail de longue haleine du romancier, "le voici enfin, ce fameux homme" s'exclame Yves Coppens, satisfait de voir ainsi réhabilité un peuplement coupé de sa population mère et que nos critères, anachroniques et actuels, jugeaient inesthétique.

Un tel phénomène de rejet, on le devine, ne pouvait que stimuler davantage un romancier depuis toujours attaché au sort des oubliés : calamiteux imaginatifs, rebelles marginaux mais inventifs, ou autres "mangeurs d'argiles" curieux de tout. Alors que leurs ancêtres avaient suivi jadis vers le nord les grands troupeaux de rennes, les Wurehwê menacés de "perdre leur souffle" sont contraints de redescendre vers le sud, loin de la "bouche froide du ciel" tant la nourriture se fait rare.

Parce que sa tribu s'éteint au point que sa mémoire se perd, Èheni "Celui qui marche", est prêt à accomplir l'inimaginable, à braver l'interdit jamais transgressé par un " Wurehwê ". Pour lui, c'est le seul moyen de sauver le groupe du froid et de la famine. En donnant sa force à l'animal, il veut renouer les liens d'autrefois. Il croit que l'être issu de cette union provoquera la réconciliation salvatrice et guidera les siens vers les troupeaux nourriciers.

Un autre groupe, celui de Wuohoun, est suffisamment fort pour avoir gardé la mémoire transmise par les anciens. Après avoir quitté "le grand abri des deux rivières en une seule", il va rencontrer ceux qui n'ont plus les mots qui parlent aux animaux. Bien que son frère Urehn'qê l'ait soutenu, obstiné dans sa conviction au point d'être rejeté des siens réduits à "moins que les doigts d'une main", Èheni, parti au bord des "eaux sans rives", ira-t-il jusqu'au bout de sa folie ?

Il n'y a rien à ajouter aux conseils les plus autorisés puisqu'ils sont prodigués par Yves Coppens : "Observez-les ces Èheni et des Wuohoun dans leurs rapports entre eux et dans ceux qu'ils entretiennent avec le monde, dans leurs émotions, leurs passions, leurs terreurs, écrit-il dans la préface, observez-les avec la même acuité et la même sympathie que Pierre Pelot qui, pour nous faire plaisir, vient de revenir de leur pays et de leur temps afin de nous les raconter".

 

Le Monde

14 juillet 2000. Jacques BAUDOU

Pierre Pelot à l'ère glaciaire

L'ancien auteur de science-fiction poursuit, dans ce quatrième volume, son épopée préhistorique. Avec les Wurehwê, visite érudite et romanesque chez les hommes de Neandertal.

L'on peut se demander pourquoi les romans "préhistoriques" ont souvent été le fait d'écrivains, à commencer par J.-H. Rosny aîné, qui ont également pratiqué la science-fiction. La réponse tient sans doute à ce que les praticiens de la SF se sont nécessairement confrontés au problème de la description de civilisations, de psychés et de modes de vie différents des nôtres, et qu'ils sont donc bien armés pour imaginer ce que pouvaient être la vie et le ressenti des peuples des âges de la préhistoire.

Ce n'est donc sans doute pas un hasard si c'est à Pierre Pelot, qui fut l'un des grands auteurs français de science-fiction des années 70-80, que l'on doit la résurgence récente du roman préhistorique avec le cycle intitulé Sous le vent du monde, conçu sous le contrôle scientifique de l'anthropologue Yves Coppens. Un cycle ambitieux, puisqu'il s'agit de retracer les différentes étapes de l'apparition de l'espèce humaine et de sa dispersion à la surface du globe en quelques stations romanesques. Un cycle qui prend en compte et rend compte, par le biais de fictions, des découvertes récentes effectuées par les préhistoriens et des théories nouvelles sur la genèse d'Homo sapiens.

Le quatrième volume de la série traite des hommes de Neandertal soumis à l'influence des grandes glaciations du quaternaire et des migrations animales qui les ont accompagnées. Pierre Pelot fait vivre sous nos yeux deux groupes de ce qu'il a appelé les Wurehwê, dans une région de France indéterminée, vers 65 000 ans avant Jésus-Christ. Il ne nous cèle rien de leur quotidien difficile, de la précarité de leur situation, de la dureté de leurs conditions de vie due pour une très large part à la rudesse des conditions climatiques, de leur combat sans cesse renouvelé contre un environnement souvent hostile. Mais cela ne suffit pas, bien sûr, à faire un roman. Il y faut une intrigue et ses nœuds, une construction dramatique, un itinéraire physique et mental des personnages. Alors Pierre Pelot a raconté l'histoire d'un Wurehwê, Èheni, celui qui marche. Il appartient à une tribu réduite à une poignée de membres par le froid et la maladie, et croit avoir trouvé un moyen d'enrayer l'extinction menaçant son groupe par une alliance mythique avec une espèce animale. Il s'enfermera dans cette idée fixe jusqu'à basculer in fine dans la folie mutilatrice.

Mais Avant la fin du ciel n'est pas seulement le récit de cette aventure individuelle, commencée par un étonnant duel dont le lecteur ne percevra la véritable signification que progressivement ; c'est aussi la chronique de la rencontre de deux tribus qui, après un premier contact purement visuel, prendra la forme d'un singulier chassé-croisé, admirablement chorégraphié par l'auteur, autour d'un mammouth blessé et enlisé dans un marécage. Et cette rencontre ne débouchera pas sur une alliance, sur l'intégration du groupe périclitant au sein de celui qui a gardé sa cohésion et sa force, mais sur un éclatement, à cause de la hantise d'Èheni, de la jalousie de Wuohoun, de la fureur quelquefois mortelle des éléments.

Pour faire parler ses Wurehwê, Pierre Pelot a créé un glossaire limité à l'essentiel (au corps, à l'environnement immédiat, à la faune, à la flore), et aussi un parler fruste, à la grammaire élémentaire, qui suffit à exprimer les grands élans de l'esprit (Èheni) et du cœur (Wuohoun) agitant ces Homo erectus tendus vers la survie de l'espèce et ayant déjà conquis le feu et l'outil. Il a su trouver un style adapté à la nature de son récit : "Depuis une main complète de soleils bas, ils connaissaient cet endroit qu'ils occupaient des feuilles tombées jusqu'aux feuilles nouvelles, où une rivière et une autre se rejoignent pour n'en devenir qu'une". Un style accordé à la puissance des éléments : "Des blancheurs sales coulaient du ciel à travers des grandes écorchures. Après avoir hurlé et couru si fort toute la nuit et une partie du jour d'avant, le vent se reposait, la voix cassée, laissant derrière lui, pour seules marques de la fièvre effrénée qui l'avait secoué jusqu'à l'épuisement, une profusion de branches brisées jonchant le sol et parsemant les ramures". On se laisse emporter par ce lyrisme rugueux, par le souffle qui gonfle cette épopée d'un autre âge où domine ce sentiment d'une nature un peu écrasante que nous ne ressentons plus que de loin en loin.

 

Page créée le lundi 3 mars 2003.