Cinq-Six-Mouches avait décidé qu'il trouverait le nid du héron, ce qu'ils étaient tous apparemment incapables de faire dans la région, tous autant qu'ils étaient, tout juste bons à lever le nez et à s'exclamer quand le héron passait. Mais lui trouverait le nid.
Il le trouverait au bord d'un des étangs du pays des étangs, comme on découvre, dans les livres, les Mines du Roi Salomon ou la Vallée des Dinosaures, et il en reviendrait couvert de gloire pour avoir réussi ce que plus personne n'était capable d'accomplir.(4ème de couverture, 2007).
La petite histoire... Le manuscrit de 600 pages du roman intitulé Ce soir, les souris sont bleues a été considérablement amputé avant parution chez Denoël en janvier 1994, en particulier d'un beau moment dans la forêt en compagnie de Cinq-Six Mouches à la recherche d'un héron... Voici ce très beau texte inédit.
Il ne faut jamais croire les gens qui vous disent qu'il fera beau demain. Ce sont des menteurs pathétiques ou des illuminés, je ne veux pas penser une seconde qu'ils agissent par scélératesse.
Il ne faisait pas beau.
Déjà toutes ces années passées s'étaient définitivemebt englouties au fond de quelque tourbillon nécessairement liquide, comme il en existe dans les noiretés de certains lacs, sournois, même pas visibles en surface.
Ce n'est pas tant qu'il ne faisait pas beau, mais surtout il pleuvait. Il pleuvait à la façon qu'il pleut ici - en un instant, presque à la seconde, je me suis souvenu. La pluie sur le paysage vert et gris, immuablement, exclusivement vert et gris, pour ne pas dire vert-de-gris. Les gris, en peinture, sont accessoires à toutes les couleurs, mais en l'occurence, ici, c'est tout de même plus volontiers le gris et le vert, sur fond de brumes pendues comme des guenilles aux pentes de la montagne. Les fumées de l'humide qui remontent entre les cimes une fois l'averse désamorcée. "Regarde : les renards fument !" disait mon père. De cette phrase il me souvient toujours et, allez savoir pourquoi, en même temps, je revois ses yeux, et je retrouve à mes narinesl'odeur de tabac et de sueur qui imprégnait la bande de cuir de sa casquette...
Il ne faisait donc pas beau. Moi, je m'étais attendu à des retrouvailles au grand soleil, dans la chaleur et les ors d'un de ces étés de là-bas, au meilleur bout de l'histoire, quand nous allions dans de vastes shorts et de lâches maillots de corps qui méchamment remettaient à leur place dans nos maigreurs préadolescentes les prétentions mensongères tarzanesques que nous ne craignions pas d'afficher.
Mais il pleuvait.
Je n'aurais jamais imaginé hier encore, ou il y a simplement un instant, que le présent puisse à ce point se révéler bancal, à ce point ne pas tenir debout.
Page créée le samedi 2 février 2007. |