380 000 ans avant notre ère, sur les territoires qui
deviendront quelques milliers d'années plus tard la mer d'Azov et la mer
Noire, vivent les Oourham, des Homo erectus présapiens, qui tentent d'échapper
à la malédiction que l'un des leurs a attirée sur le clan en tuant un boohr
- un ours.
Le jeune Boohr'am - dont le nom signifie " celui qui
est avec l'ours " - part à la recherche du grand ours sous le vent et la
neige de la montagne. Il va rencontrer sa propre histoire, celle des amours
incestueuses de ses parents nés d'un même ventre et celle du sanguinaire
Ough-uaq, l'amoureux fou de sa mère… (4ème de couverture, 2001).
Sur les terres qui deviendront plus tard la mer d’Azov et la mer Noire, les Oourham vivent dans la crainte d’une malédiction liée au meurtre d’un ours. Pour en finir une bonne fois pour toutes avec cette histoire, le jeune Boohr’am décide de partir en quête du grand ours, mais c’est bien autre chose qu’il va trouver, et notamment d’importantes révélations sur son propre passé et celui de ses parents… (Présentation de l'éditeur, 2013).
Le premier, le boiteux, s'avança à découvert, piquant de son bâton la neige devant lui. Les autres attendaient, groupés près de l'arbre dont la ramure s'était secouée dans un grand poudroiement quand le boiteux avait frappé le tronc, au passage.
La trace était unique, derrière eux, une seule frayée pour tous, droite.
Le boiteux piquait, poussait sur le bâton à petits coups, levait sa jambe valide et enfonçait son pied à hauteur du bâton, amenait la jambe raide, retirait le bâton et piquait de nouveau, une longueur de pas devant. Sous la neige recouvrant l'eau dure, la rivière coulait.
Il traversa.
Arrivée près de l'arbre, là-bas, il fit comme il avait fait de ce côté-ci de la rivière : fouetta les branches, libérant une grande envolée poudreuse jaillie et retombée en scintillant, et lui dessous, blanchi d'un coup. L'un après l'autre, il passèrent : chacune des femmes - celle-ci et puis celle-ci, aux visages pareils non encore marqués par les plis creusés et les fripements, la démarche et les hanches comme avant qu'un petit soit venu du ventre ; celle-là et puis celle-là, courbées par beaucoup de nuits froides, de jours chauds, de soleils hauts et bas - et enfin celui au regard clair sous les paupières plissées, aux épaules larges, trapu, le plus fort du groupe.
Réunis au bout de la trace, ils échangèrent de brèves exclamations satisfaites qui fusèrent avec la petite fumée de leur souffle. Les oourham-ki'a s'accroupirent, sauf une des deux aux visages pareils. Un instant, leur attention s'attarda sur les environs proches. Quand il regardaient derrière eux, ils ne voyaient plus la falaise écroulée de la montagne où s'était dressé l'abri des Oourham depuis si longtemps. Après avoir marché tout le jour d'avant sans trouver un endroit où passer la rivière, ils avaient dormi serrés les uns contre les autres dans un terrier creusé à flanc d'une levée de neige, sur une couche de rameaux d'arbre niaü'xä-osh'e' aux feuilles-épines, sans autre feu que celui dans leur corps, d'autre fumée que celle de leur souffle dont ils s'exhalaient la chaleur au visage avant de rejoindre, les yeux clos, Oka'a le rêve. C'était un autre jour.
Et ils avaient traversé.
Ils frappèrent l'arbre à grands coups de bâton, jusqu'au dernier manchon de neige effrité, ses branches sombres allégées redressées. Mais le signe n'était pas assez net et durable pour marquer leur passage et demeurer visible sous de nouvelles neiges : à l'aide d'une pierre coupante sortie de la peau nouée en repli autour de sa taille, le boiteux se mit à tailler l'arbre qu'il élagua sur toute sa hauteur, n'épargnant qu'un bouquet hérissé à la cime. Ils plantèrent les branches coupées en rond autour du tronc dépiauté.
Le groupe se remit en marche. Les uns et les unes derrière les autres. Le boiteux allait devant, le plus fort au regard clair marchait le dernier. Ils s'enfoncèrent parmi les bourrelets neigeux qui étaient une forêt quand la terre était nue. Leur trace demeurait seule. Toutes les bêtes étaient ailleurs.
Pour la dame avec de la neige aux cheveux. Avec tous mes remerciements à Marylène Pathou-Mathis, à Marcel Otte.
La Liberté de l'Est
Livres en liberté, N° 386, 3 février 1999. Raymond PERRIN
Pelot chez les "Oourham"
Les expéditions préhistoriques de Pelot au cœur de la saga Sous le vent du monde ont remonté allègrement les millénaires. Parties de l'Afrique orientale, il y a - 1,7 million d'années, passées sept cent mille ans plus tard par le Sud de l'Asie, elles abordent maintenant le cœur de l'Eurasie pour approcher les "pré-sapiens", - 380000 ans avant nous.
Pelot, baroudeur de l'espace et du temps ? Plutôt "une sorte d'ethnologue des préhistoriens" pour son conseiller scientifique Yves Coppens, lequel ne manque pas de brosser à grands traits de science l'itinéraire de son "informateur". C'est vrai que l'étonnante capacité d'immersion du romancier au cœur des "pré-sapiens" fait merveille, pour décrire "comportements et rituels". Sa faculté d'empathie et ses talents de conteur usent d'une langue souvent poétique mais toujours précise. Que restituent-ils ? "Leur génie, leurs passions, leurs fantasmes", mais aussi "leur mentalité et leur réflexion créatrice" note le célèbre paléoanthropologue.
Dans ce qui est aujourd'hui l'Europe centrale vivent les Oourham. Ceux de la rivière occupent l'hiver "un abri clos dressé" dans la faille d'une paroi rocheuse, différent des sites de chasse estivaux, et ceux de la grande eau, liés à eux par la langue et des liens de parenté, vivent l'été, "sur le haut flanc" de la montagne, l'hiver, "sur le flanc bas", mal protégés des "eaux dures" et de la neige. Tous savent faire monter la flamme "du bâton creusé et noirci" et utiliser le percuteur tendre. Il fournit des outils efficaces pour "couper, éplucher, percer, racler ...". "Ils cueillent de quoi manger au pelage de la terre" et prennent aux animaux "la peau, la viande et les os". S'ils survivent, ils ont un nom et leur langage, assez élaboré pour distinguer le personnel du général et nommer l'environnement végétal et animal, essentiel pour eux. En plus de leurs expériences, ils utilisent les savoir-faire transmis par les "pères" éducateurs, différents des géniteurs. O'hi-é-te montre ainsi à son " élève " "les pierres qui se brisent, les gestes pour les casser et les rendre coupantes". Il lui apprend "comment trancher et racler les peaux (...), tailler les bâtons, en durcir la pointe au feu". Mais l'élève invente seul le poisson au court-bouillon et aux orties !
L'enjeu de la force du rêve
Ce qui aide à voir les signes, c'est "Oka'a", la force du rêve, dont les paroles sont dans le ciel et sur le sol. Une femme, donneuse de vie, les interprète. Alors, on cherche un autre abri ou territoire pour éviter les rigueurs excessives des tempêtes. Mais un "soubresaut froid" s'installe, fait fuir les animaux à manger et raréfie la nourriture. "O'kaa", embryon de croyances religieuses, fournit une explication cosmogonique du monde. Elle semble commander l'invisible, fixer les rites et les interdits. Son silence est aussi redouté que "son souffle de colère". Les Oourham, "ceux qui sont avec le feu", subissent la rivière hurlante emportant l'un de leurs ou les pachydermes qui provoquent l'écroulement meurtrier de l'abri.
Aux dangers naturels s'ajoutent les dégâts de la jalousie et du dépit. Quand la femme convoitée lui échappe, Ough-uaq prend le souffle de plusieurs des siens, menace l'avenir du clan, s'empare du pouvoir dévolu aux femmes en affirmant que le rêve parle avec lui. Plus gravement, il tue l'ours, l'allié de toujours des Oorham.
Le courageux Boohr'am, "debout, dans le ventre blanc du silence", peut-il renouer l'alliance avec les "boor", ces ours considérés comme des ancêtres ? Avant un flash-back d'une soixantaine d'années au chapitre 2, dès le début du roman, on connaît son "regard clair", ses "bras forts", et ses compagnes "aux visages semblables", source d'un érotisme métaphorique original, mais aussi espoir de survie du clan.
L'Humanité
12 février 1999. Fabrice LANFRANCHI
Pierre Pelot poursuit son exploration de notre passé d'homo sapiens et, à nouveau, lance un "il était une fois" qui plonge ses racines au cœur d'une histoire, la nôtre. 380 000 ans avant notre ère, un peuple, les "Oourham", tente de survivre. Un jeune garçon, après un voyage initiatique, trouvera l'endroit où, enfin, des "abris solides" pourront être construits... En collaboration avec l'anthropologue Yves Coppens, Pierre Pelot prouve, une fois encore, un réel talent quant à la création d'un univers romanesque en terres lointaines.
Page créée le jeudi 20 novembre 2003. |