La Fille de la Hache-Croix

Il était deux heures du matin.

Coca venait de quitter la répétition, qui menaçait de s'éterniser, comme souvent le vendredi soir - ou plus exactement le samedi matin. Il faillit tomber en plein dans la gueule du loup.

Les flics avaient établi leur barrage un peu avant la sortie du village, sous les rampes lumineuses de la nationale, à trente mètres, pas davantage, de la route du col. Sans doute était-ce, d'ailleurs, les automobilistes en provenance de Haute-Saône et roulant vers l'intérieur du département des Vosges qu'ils contrôlaient ; le choix de leur position ne s'expliquait pas autrement.

Coca vit le barrage et un véritable fracas de pensées désordonnées lui dégringola dans la tête - il eut cette impression comme si, au sommet de sa personne, en lui, un plafond avait crevé. Et l'espace d'une seconde, il fut submergé.

Deux choses jouèrent en sa faveur : ses réflexes, d'abord, et le fait qu'une voiture, avant lui, était contrôlée par les quatre ou cinq gendarmes en gilet orange fluo.

Coca exécuta avec un automatisme et une maîtrise remarquables les gestes requis pour la manœuvre. Par chance, il ne roulait pas vite. La caisse de la vieille 2 CV ne tangua pas outre mesure, la ferraille se tut, il n'y eut pas de crissements de pneus intempestifs. Il traça un joli arc de cercle sur le bitume éclaboussé par la lumière blême des lampes, à vingt mètres des gendarmes. Deux d'entre aux levèrent vaguement la tête dans sa direction, sans plus. Et c'est ainsi qu'il prit la route du col de la Hache-Croix.