Sylvette avait été engagée en tant que femme de ménage et torcheuse de culs à l'hospice Saint-Maurice, mais on n'avait pas tardé à la bombarder monitrice à temps complet dans le secteur des enfants. Elle ne supportait pas les enfants, mais c'était difficile de refuser un boulot ! Et voilà qu'elle perdait le petit Joël, un enfant mongolien, lors d'une promenade en forêt...
Un enfant de six ans, de constitution faible, en plus... Un anormal... Et avec cette pluie soudaine qui s'était mise à dégringoler vers cinq heures du matin. Il était mort, ou en train de mourir. Tout le monde était d'accord là-dessus ! (4ème de couverture, 1995).
Le courant d'air chaud troussait gaillardement l'automne, sud-est / nord-ouest, suivant une ligne Bordeaux-Reims-Strasbourg. Cela donnait du vingt et un, vingt-deux degrés sous abri. Si le chiffre n'était pas extraordinaire pour Bordeaux, l'évidence n'était pas la même en ce qui concernait le Nord-Est. Là-haut, octobre n'habitue pas aux câlins, aux vents coulis d'agréable compagnie ; un vingt-deux degrés sous abri, à la trouée d'automne, imprime dans la mémoire des renifleurs de nuages le signe d'une année pas ordinaire.
Sans être un renifleur particulièrement doué, Nanase possédait la banale faculté de se souvenir du visage habituel des saisons, et des douceurs à ce point aoûtiennes en octobre le laissaient surpris, sans une seule référence éblouissante en bordure de mémoire. Mais il n'était pas bien vieux. Il pouvait encore conjuguer le verbe "se souvenir" devant un juvénile interlocuteur sans que ce dernier lève les yeux au ciel en attendant que ça passe...
Il était né à Lethie, vivait à Lethie (cinq mille habitants, cinq mille et des poussières, une bonne partie de la population composée de travailleurs immigrés, et ce depuis le commencement des temps : hier des Suédois mercenaires venus se coltiner contre les troupes du roi de France, rien que ça, puis des Tyroliens, des Autrichiens, des Italiens ; aujourd'hui des Portugais, quelques arabes sans muezzin, quelques Africains sans soleil, quelques Turcs sans rien...). Il n'avait pas quitté souvent la vallée encastrée entre ballons et collines, sur le cours tout enfant de la Moselle ; Quand il était parti, ç'avait été pour faire des conneries, et s'il était revenu au pays après chacune de ses escapades malheureuses, c'est qu'il n'existait pas d'autre point au monde où il se tente en relative sécurité. Les gendarmes de Lethie ne figuraient pas au nombre de ses amis intimes, mais il les préférait tout de même à n'importe quels inconnus : il en avait l'habitude...
Assis à sa place, au bout de la table de cuisine en formica, Nanase mangeait des rollmops. Il avalait ce genre de repas quand la mère était trop saoule, ou trop fatiguée, ou trop cinglée pour se lancer dans la cuisson d'un œuf au plat sans courir le risque de mettre le feu à la maison. Ce mercredi d'octobre, sur les coups de midi et tandis que le soleil, dehors, trichait tout ce qu'il savait, la Mère n'avait l'air d'être saoule, ni trop fatiguée, ni particulièrement cinglée. Mais en rogne, oui.
L'Entrevue, la BD en entretiens
Revue trimestrielle, n°1. St-Martin-de-Bréthencourt (78), été 1983. Charles IMBERT, page 18
Ca s'appelle le Quart Monde, mais là, ça doit être un numéro encore plus bas. Au fond de l'ivrognerie, chez les clodos et les débiles ruraux, vers l'Allemagne...
Nanase le dégénéré et le Darou, gardien dingue du dépôt d'ordures, kidnappent et découpent un petit mongolien perdu ; l'affaire s'achèvera sur une nouvelle recette de pâté pour chats et par le dynamitage féroce d'un médico-hospice pour orphelins.
Quelle poésie nosographique courageuse !
Un parfum scandaleux double cette atmosphère nourrie des pires bas remugles : un responsable véreux, un journaliste impuissant et un légionnaire corse se disputent la palme du pléonasme psychologique en se shootant de terribles monologues à ras-les-baskets. Bah : de corde raide en fil de fer, les tics stylistiques habituels de l'auteur se calment et dérapent pour servir la peinture. C'est l'oratorio du bout de l'enfer. En 182 pages, Zola battu!
Un événement littéraire, donc !
Thriller
Revue bimestrielle, n° 7, Bayonne, 1983. Claude ECKEN, page 66
Tristes personnages en effet que la brochette de villageois que nous présente Pelot, tous plus ou moins dérangés, perdus dans un monde qui les supporte, égarés dans leurs rêves inaccessibles. La disparition d'un mongolien échappé de l'asile voisin va mettre le feu aux poudres et permettre à chacun de montrer sa valeur. Les résultats sont pitoyables et navrants. Avec ce fait divers sanglant, Pelot semble donner une suite à La forêt muette en continuant à mettre en scène des débiles profonds et légers, des névrosés qu'un événement fait basculer de l'autre côté de la barrière.
L'Année de la fiction 1995
Polar, S.-F., fantastique, espionnage. Amiens : Encrage, (1996). Jean-Claude ALIZET, page 221
L'un des romans "vosgiens" de l'auteur de L'Été en pente douce. Les décors nous sont familiers, les personnages aussi : ici, un marginal et un demeuré qui voient arriver dans leur monde frustre un enfant mongolien fugueur... Horreur et folie imprègnent peu à peu un récit dur et étouffant.
Télérama
N° 3049, 17 juin 2008 - Jean-Claude LOISEAU.
Pauvres Z'héros ***
Le noir dans toutes ses nuances : c'est le riche menu d'une nouvelle collection à suivre de près. Les premiers dessinateurs appelés à piocher dans l'exceptionnel catalogue de polars des éditions Rivages ont eu la main plutôt heureuse. Sur les quatre premiers titres, mention spéciale à Miles Hymans qui, dans Nuit de fureur, adapté à vif par Matz d'un roman de Jim Thompson, met en scène avec une tranchante élégance les destins croisés de quelques spécimens d'humanité voués à un destin sans échappatoire, dont une mémorable (fausse) sainte nitouche unijambiste...
Mais le premier grand coup d'éclat de la collection est signé Baru. D'un roman de Pierre Pelot (1), très brut, très sombre, aux airs d'authentique fait divers sordide, il tire une fresque explosive. Dans un recoin oublié de l'Est de la France, la disparition d'un enfant handicapé mental sert de détonateur à une intrigue qui mobilise un bel échantillon d'abrutis, de paumés et de salauds plus ou moins respectables.
De quoi inspirer à Baru, ce grand auteur populaire de combat, une immédiate connivence avec les fracassés de la misère (physique et morale), et une charge frontale contre ceux qui l'exploitent, dans une insupportable bienséance de façade. Tout ce qu'un dessin généreux, vivant, sarcastique, exprime, dissèque, révèle, avec une verve réjouissante.
(1) Pierre Pelot vient, par ailleurs, de publier La Croque buissonnière (Nil).
Page créée le lundi 3 novembre 2003. |