Biographie vosgienne

Paul Louis Charles Marie CLAUDEL
 
  Nouvelle recherche
 

La Liberté de l'Est

Gens de chez nous

Les Claudel de La Bresse


Au lendemain de la mort de Paul Claudel, il a été beaucoup question, ici même, des attaches bressaudes du poète-ambassadeur-académicien.

Les renseignements qu'on nous apportait alors restaient assez vagues. Depuis, grâce à la Revue de Paris et aux recherches de son éminent collaborateur, Henri Guillemin, qui fut, à maintes reprises, de 1942 à 1954, le confident de Paul Claudel, nous possèdons sur la filiation vosgienne de celui-ci des données précises dont l'analyse qui va suivre intéressera au premier chef les Vosgiens en général et les Bressauds en particulier.

***

Point de doute : les Claudel sont des Vosgiens, originaires de cet étrange village au fond d'un trou... La Bresse, proche de Gérardmer.

Au moment de la Libération, les Allemands ont tout brûlé, tout détruit, et La Bresse n'a plus que des maisons neuves... La bourgade, telle que Paul Claudel l'a connue au temps de sa prime jeunesse, a perdu toute son originalité. Rien ne subsiste que l'église, dont la restauration n'est pas un enchantement, et le cimetière où les morts, de tous côtés, nous disent qu'ils s'appelaient Claude, Claudon, Claudel.

Hasard de la guerre : en juin 1940, Pierre Claudel, le fils aîné du poète, fut fait prisonnier, avec son régiment d'artillerie, à La Bresse... Quand il dut rendre ses armes, il se trouvait devant un magasin sur la porte duquel on lisait : Claudel propriétaire.

Autour de 1875-1880, les enfants Claudel ont passé à La Bresse bien des semaines d'été. Ils se sont baignés dans le lac des Corbeaux. Le futur poète aimait cette vallée blottie, ces éboulis de roches dans les fougères et les brimbelles, ce silence.

Il écoutait son père - Louis-Prosper Claudel - parler le patois du pays avec les gens qu'on rencontrait.

De ses séjours dans les Vosges, que dit-il à Henri Guillemin ?

- Nous allions parfois à Docelles où l'oncle Charles avait une papeterie ; je lisais le Tour du Monde et le Magasin pittoresque ; et à Epinal, où l'oncle Isidore tenait un bureau de tabac...

Charles Claudel, auquel il est fait ici allusion, avait épousé une Claudel, sa cousine germaine. Il mourut à soixante-sept ans, le 16 janvier 1882. Sa fille Marie fut, en 1868 (elle avait huit ans) la marraine de Paul Claudel. Elle épousa, à vingt ans, en 1880, le notaire Stanislas Merklen qui devait devenir par la suite maire d'Epinal.

En cas d'erreur sur ce point, mon vieil ami, M. Léon Schwab, rectifiera...

La papeterie Claudel, à Docelles, disparut en 1914.

Quant à l'oncle Isidore Gégout, le buraliste, chez qui on rencontrait scieurs et fendeurs de bois, il avait épousé une soeur de Louis-Prosper Claudel.

Le mot de Vosges a toujours gardé pour Paul Claudel un prestige, un pouvoir secret d'émotion. Et lors de sa conversion, en 1890, n'est-ce point à un Vosgien, l'abbé Vuillaume, qu'il se confessa, sans le connaître ?

***

Sur la tribu bressaude des Claudel, dont descend le poète, Henri Guillemin nous apporte de curieux détails...

Le plus ancien nom que l'on retrouve d'elle dans les registres paroissiaux est celui d'un Jacques-Elophe Claudel, mort en 1530. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les Claudel semblent, de père en fils, avoir gagné leur vie dans le métier mal vu des gabelous.

Des collecteurs d'impôts. L'un (c'est l'arrière-grand-père paternel du poète) avait fini par amasser une fortune sous Louis XVI. La Révolution le ruina. Il fut trop heureux de retrouver, sous Louis XVIII, un emploi modeste dans les contributions.

Par atavisme, le père de l'auteur du Soulier de satin est entré dans l'administration des Finances.

Né à La Bresse le 2 octobre 1826, Louis-Prosper Claudel est reçu surnuméraire le 18 mars 1848. Sans se donner absolument pour incroyant, du moins est-il avec vigueur anti-clérical et il se dira, mais sans ostentation, républicain sous l'Empire.

Saint-Nazaire est son premier poste rétribué. Il est ensuite nommé receveur de l'enregistrement à Aiguerande, dans l'Indre ; mais c'est dans les Vosges qu'il voudrait revenir, et le voici, dès novembre 1853, à Xertigny ; l'année suivante à Gérardmer et en avril 1856 à Fraize.

Tout à coup, sérieux changement : quittant sa contrée natale, il passe à Fère-en-Tardenois, dans l'Aisne, le 21 décembre 1860. C'est là qu'il épousera la fille du docteur Théodore-Athanase Cerveaux.

Louis-Prosper Claudel restera dix ans receveur à Fère, pour venir ensuite à Bar-le-Duc, au milieu de l'été de 1870, la guerre étant déjà déclarée. Il y séjournera six ans. Le petit Paul ira chez les Soeurs de la Doctrine Chrétienne et il gardera le souvenir des images d'Epinal collées sur des cartons que lui montre Soeur Brigitte.

Globe-trotter de l'Enregistrement, Louis-Prosper Claudel ira occuper successivement les postes de Nogent-sur-Seine, dans l'Aube ; de Wassy-sur-Blaise (Haute-Marne), puis de Rambouillet.

C'est ici qu'il peut réaliser son rêve paternel : Paul devient élève du Lycée Louis-le-Grand où il aura pour camarades Joseph Bédier, Victor Bérard, Romain Rolland, alors que sa soeur Camille, férue de sculpture, s'inscrit à l'Académie Colarossi où elle fera la connaissance de Rodin...

En fait, Paul Claudel que d'aucuns ont dit paysan champenois n'est Champenois que fort peu, et paysan, point. Fils et petit-fils et arrière-petit-fils de Vosgiens, agents du fisc, d'un côté, il a pour grand-père, de l'autre, un médecin picard. Né à Villeneuve-sur-Fère, il n'y habitera jamais, après sa toute première enfance, autrement que pour des séjours de grandes vacances, chez son grand-oncle, Louis-Napoléon Cerveaux, qui est curé de cette paroisse.

***

Au mois de juillet 1885, âgé de dix-sept ans, Paul Claudel est bachelier de l'enseignement secondaire.

Le 1er juin, il est resté trois heurs debout sur une échelle, boulevard Saint-Germain, pour voir passer le cortège des funérailles de Victor Hugo.

En 1882, n'avait-il pas déjà vu celles de Gambetta ?

Et pouvait-il se douter qu'à lui aussi seraient réservées, soixante-dix ans plus tard, des obsèques nationales ?


[Ch. Courtin-Schmidt, La Liberté de l'Est, 30 août 1955.]