La Ville où les morts dansent toute leur vie

 
 
  • Pierre Pelot
  • 2013 | 178ème roman publié
  • Vosges
 

Date et lieu

Sujet

A l'Est règne la dévastation, la terre n'est plus que tumulte. Arrachée à ses racines par ce désastre, une jeune schizophrène est confiée à Grange, un dessinateur solitaire qui pourrait bien être son père. Mais l'homme refuse d'assumer cette enfant dont le corps de femme et l'originalité le troublent. Il décide alors de tout braver quitte à tout perdre, pour la rendre à son pays imaginaire. La ville où les morts dansent toute leur vie est un road book onirique et obsédant.

Pierre Pelot y entremêle ses passions pour le fantastique et le "western", le roman noir et d'amour. Il nous offre un personnage inoubliable, Léonore, résolue malgré tous les obstacles à retrouver une terre connue d'elle seule, où elle peut enfin se sentir vivre. (4ème de couverture, 2013).

 

La petite histoire... Ce roman est illustré par Pierre Pelot, sous une couverture de Manu Larcenet. Pierre Pelot nous offre un personnage inoubliable, Léonore, résolue malgré tous les obstacles, même la fin du monde, à retrouver son pays connu d’elle seule et où elle peut enfin se sentir vivre.

Une première version de ce texte a été donnée sur France Culture le 12 décembre 2009.

 

Éditions

La ville où les morts dansent toute leur vie.

  • 1ère édition, 2013
  • Paris : Fayard, avril 2013.
  • 372 p. ; 22 cm.
  • Illustrations : Manu Larcenet (couverture), Pierre Pelot (intérieur).
  • Collection : Roman.
  • ISBN : 978-2-213-64361-8.
  • Prix : 20,90 €.
  •  

  • 2ème édition, 2013
  • Paris : Fayard, avril 2013.
  • 372 p.
  • ISBN : 978-2-213-67683-8.
  • Prix : 14,99 €.
  •  

    Première page

    Le vent qui palpitait dans la lumière fanée du soir fit claquer le chalvaar déchiré de la fille, dénudant sa jambe blanche du genou à la hanche, quand elle apparut debout, émergeant du chaos des murs effondrés. Un lent courant d'air soudain charria des senteurs de cendres détrempées et caressait délicatement sur le haut de son dos les mèches de cheveux libres et les pointes du foulard qui la coiffait, noué sur sa nuque.

    Le soleil lui avait cuit et lissé les pommettes, strié les lèvres de fissures blanchâtres. Elle était grande et semblait fine, peu épaisse. Les manches de son pull trop long dépassaient de celle de la veste multipoche tachée de boue plus ou moins sèche et de poussière.

    De grands oiseaux entrèrent dans le couchant de rouille, jaillis des fumées montées de l'autre bord des zones inondées qui stagnaient sous le couvercle des cieux métalliques. Ils volaient obstinément, l'un derrière l'autre, à grands battements de leurs longues ailes, des hérons, ou des cigognes - des cigognes passaient par ici en temps ordinaire.

    La fille leva la tête et les suivit des yeux. Elle les suivit des yeux durant toute leur traversée du ciel, tandis qu'il s'éloignaient et s'amenuisaient vers le sud et devenaient momentanément des étincelles papillotantes de lumière, puis des poussières, pas mieux que ces pollens que fait danser l'haleine du printemps, puis rien. Elle soupira, baissa la tête, son torse se creusa. Un temps, elle garda cette posture évoquant une figure de proue à la pointe d'une épave ensevelie, un trait de regard gris filant entre les paupières plissées, planté devant elle, loin sur une cible qu'elle était seule à savoir et que cachaient les murs de la ruine en premier plan.

    Aucun bruit sur le monde.

    Le monde commençait ailleurs, loin derrière elle et loin devant, quelque part où rampaient et palpitaient les reflets moribonds du désastre. Selon la lumière changeante qui tombait de la brouillasse nuageuse en cavale, des flaques ou des creux de vieilles pluies boueuses dans les anfractuosités des pierres s'allumaient et brillaient et clignotaient et s'éteignaient avant de se rallumer. Une touffe d'orties jaillissantes fut secouée d'un étrange frisson, comme si le vent avait soufflé très précisément sur elles dans l'intention de les ébouriffer.

    La fille inclina la tête, fit un mouvement pour assouplir les muscles de son cou, décrasser ses vertèbres, puis se pencha et se baissa et disparut derrière le pan de mur éboulé. Elle réapparut un court instant plus tard, hésita quelques secondes, tout mouvement suspendu, humant l'air, reniflant le moment, en cherche de quelque indice, d'un signe quelconque qui lui eût dicté son geste suivant. Signal que probablement elle perçut. Elle s'approcha du mur contre le haut duquel elle s'appuya des deux mains - dans la droite elle tenait un cahier à couverture plastifiée rouge, un cahier épais à la souplesse caractéristique d'innombrables ouvertures et fermetures. Elle se hissa et chevaucha le mur et s'assit sur sa crête disloquée. Elle était chaussée de bottes T-Coronado en cuir fauve repoussé, montant plus haut que la mi mollet, maculées et déformées. Elle se mit à balancer un pied, choquant la pierre du talon, à petits frappements.

    Elle ouvrit le cahier et le souleva à proche distance de ses yeux aux paupières étroitement serrées. D'abord, ses lèvres bougèrent, formant les mots qu'elle lisait sans les prononcer, comme si elle en faisait la répétition, puis :

    - Re-trou-vé... cet-te pa-ge d'... un ca... ca-hier... sans da-te.

    Elle reprit son souffle avant de poursuivre la lecture, scrutant la page, lèvres serrées par la concentration…

     

    Épigraphe

    A celui, petit, à qui je racontais des histoires, alors qu'il prenait son élan pour m'en raconter à son tour, grimpant le temps passant,
    mon fils parti danser brutalement trop loin et trop tourbillonnant, nous laissant sur le banc, stupéfaits au bord de la piste.
    Où iront maintenant les histoires qui ne seront pas racontées, dis ?

     

    Revue de presse

    Le Républicain lorrain

    Michel Genson - 2 juin 2013

    Avis de tempête

    La nature vient juste de souffler une de ces méchantes colères dont elle a le secret. Un monstrueux coup de tabac qui a tout mis cul par-dessus tête, les arbres et les gens. On dit même que là-bas, vers les montagnes de l’Est, c’est l’apocalypse, le chaos total, ou pas loin. C’est à ce moment-là qu’on frappe à la porte de Roque. Roque Grange, dessinateur solitaire, habile entre autres choses à peindre les femmes.

    On frappe donc, et c’est un drôle de passé qui se présente à Grange. Une affaire vieille de vingt ans, une affaire d’amour évidemment, avec une Évelyne d’alors. Et voici que s’encadre dans la porte Léonore, la fille d’Évelyne. Sa fille à lui ? C’est soudain l’avis de tempête sous son crâne. Léonore, un regard choc qui vous tue au premier coup de faux, un beau brin de fille, souple, mais qui parfois regarde les choses autrement, en décalage, comme si elle entretenait une petite fleur de folie dans sa tête. Alors Grange décide qu’il ne peut pas. Jette deux couvertures et une Winchester à l’arrière de sa fourgonnette, et les voilà sur la route. Il doit ramener à sa mère cette fille troublante, venue de loin. Et pour cela remonter le flot des voitures, autoroute Nancy-Metz, jusqu’au Refuge, là-bas, en plein dans l’œil du cyclone. Rejoindre alors, peut-être, La ville où les morts dansent toute leur vie.

    Voilà, grosso modo , pour la ligne, la colonne vertébrale du dernier Pelot en date. Mais il y a bien plus, évidemment. La Ville où… était une pièce radiophonique, donnée il y a quelques années sur France Culture. Pelot l’a réécrite, complètement, pour en faire un roman. Ébouriffant.

    Et très particulier, puisque roman illustré. Semé de petits croquis, de ratures, de mots griffonnés. Même le découpage est singulier, qui mêle les genres, le dialogue succèdant au journal, au récit, lui-même posé sur plusieurs plans. Bref, ce roman-là fait un objet singulier, avec, encore et bien sûr, une galerie de sacrés personnages à loger sur les étagères de sa bibliothèque. Les forains du cirque de Dojo, par exemple. Et comme Pelot ne se déplace pas pour rien, il vous assène une chute courte, sèche. Vous voilà sonné pour le compte.

    On se dit alors qu’ils ne doivent pas être si nombreux, les romanciers français capables de décrire ainsi, de façon aussi tendue, sur le fil de la lame pourrait-on dire, la couleur d’un silence, le poids d’une attente. Et encore moins nombreux ceux qui excellent à démonter la mécanique hurlante et glacée de la violence – on pense à cette fusillade, sur vingt pages affolées, qui vous cloue à l’endroit où vous lisez, fauteuil, lit, ou banquette d’autobus, c’est pareil. Entrer dans un roman de Pelot, c’est un peu comme monter sur un cheval de rodéo. On se cale au mieux sur le dos de la bête, et la barrière s’ouvre. Au carrefour du western et du fantastique, La ville où les morts dansent toute leur vie devrait secouer fort les amateurs, et longtemps.

     

    Le Monde

    Florent Georgesco - Le Monde des Livres, 7 juin 2013

    Tout sur « Pas-Robert »

    Prenant pour personnage principal une folle à l'interlocuteur invisible, Pierre Pelot fait du brouillage le principe même d'un fascinant roman.

    Les gens croient que les morts une fois mort n'existent plus sur la Terre, remarque Léonore avec une sorte de stupeur. Léonore, aussi bien, est folle. Quant elle n'est pas sur les routes à la recherche de sa mère disparue, sans doute morte, elle passe son temps à parler un interlocuteur invisible : Pas–Robert. De cet être bienveillant, capable de surgir à l'improviste sous l'apparence de tout objet à portée de voix, la jeune femme donne une définition précise : Tout ce qui n'est pas Robert, c'est Pas–Robert.

    Robert ? On comprendra plus tard desquels figure désespérante il s'agit, quand le moment sera venu, ce qui n'est pas l'objectif principal de Pierre Pelot dans La ville où les morts dansent toute leur vie, enchevêtrement de pistes tracées pour perdre le lecteur, et qui y réussissent à merveille : on y erre, on hésite sur la nature du livre, on bifurque sans cesse avec lui, promenade dans la folie du personnage, et qui en épouse les contours. Mort ou vif, on y danse, la promesse est tenue, parmi beaucoup d'autres.

    Accompagné dans sa quête par Roque, dessinateur vieillissant, alcoolique, malade sans doute, et dont elle est probablement la fille, Léonore traverse un pays ravagé par des cyclones, parsemé de ruines. Je sais bien que c'est détruit, commente-t-elle, tout détruit (…), les gens morts en cadavres cassés, des morts cassés. Qu'importe ? S'ils continuent d'avancer vers l'Est, ils trouveront la ville des morts entiers, et qui vivent, bien sûr, puisqu'elle pense à eux, puisqu'ils sont dans son cerveau, cette réserve magique du monde. Pourquoi la frontière entre elle et ce qui est dehors tiendrait-elle au moment où plus rien ne tient ? Tout vacille et s'effondre. Toute frontière est brouillée. Ce qui est dehors vit et bouge en elle. Il y a du Léonore partout.

    Pierre Pelot fait de ce brouillage permanent la forme même de son livre, et son moteur. Plus précisément : il n'y a qu'une forme dans ce roman, la force motrice qui lui permet de passer d'un temps un autre (il marche en partie à rebours), d'un mode de récit un autre (des pages de journal se mêlent au texte principal, elles-mêmes accompagnées de croquis), comme d'une tonalité à une autre. Le grave enchaîne sur le drolatique, le lyrique sur l'ironie, et sur un détachement soudain du regard, comme si les personnages s'éloignaient et se faisaient proches à intervalles irréguliers. Les intensités varient en permanence, sans que jamais le lecteur s'éloigne à son tour, porté par cette liberté mouvante, amené d'une main très sûre dans chaque recoin que l'écrivain choisit d'explorer.

    Vivre à même la fiction

    Auteur d'une œuvre prolifique – on ne sait plus compter ses romans, plus de 200 peut-être –, Pierre Pelot a multiplié les genres, de la science-fiction au western, en passant par des romans noirs, régionalistes, fantastiques, intimistes, paléontologiques (écrits avec Yves Coppens)… Il est probablement trop insaisissable pour que, fixant son image, on le reconnaisse à sa valeur exacte, qui est grande. Ce livre devrait cependant y contribuer. En resserrant sur une seule trame les matériaux narratifs accumulés à travers des décennies de création tous azimuts, il offre comme une coupe transversale de l'œuvre. On le dirait fossile de celle-ci s'il n'était à ce point vivant. Disons qu'il est à la façon Léonore : être fossilisé, être ressuscité, quelle différence ? L'œuvre se rassemble et revit dans le même geste de récapitulation, fût-il testamentaire, pour cette raison même.

    Apparaît surtout à nu la vertu créatrice de ce papillonnage à travers les formes. Il ne s'agit pas plus dans ce roman que dans les deux cents précédents d'un exercice de style. Ne pas pouvoir s'arrêter de transformer son art, d'un livre à l'autre comme dans un seul, est au contraire l'effet d'une passion unique pour la réalité du monde, avec cette particularité que la fiction vit ici, dans cette réalité, la part probable et à la fois incertaine, l'énigme, qui ne s'attrape qu'en tâtonnant. Le réel est projeté en avant comme une possibilité changeante. Écrire, c'est changer avec lui, glisser une hypothèse de plus parmi celles qui le constituent.

    Ainsi avance cet étrange roman, formé et déformé par son personnage central, par cette Léonore pitoyable et souveraine qui ne comprend pas la mort, et qui danse autour, en pensée comme en actes, joyeuse parmi les ruines, redevenue elle-même par la grâce des catastrophes. L'ordre, sur les terres qu'elle parcourt, a été aboli, et cette dévastation a rendu le monde habitable, merveilleusement léger. Pas-Robert universel ou, si l'on préfère, roman généralisé : mieux qu'un monde fictif, Pierre Pelot invente une manière de vivre à même la fiction, emporté par elle à travers l'absurdité du monde. Vers on ne sait quoi, bien sûr. Mais, dans ce livre, dans cette œuvre, le chemin inlassablement arpenté est une leçon suffisante.

     

    Télérama

    Michel Abescat - Telerama N° 3311, 29 juin 2013

    D'où viennent les histoires dont s'emparent les écrivains ? Où est donc la frontière entre réel et imaginaire quand toute vie est construction ? Pierre Pelot, auteur de nombreux romans, donne ici, comme jamais, la mesure de son talent, brouille les pistes, entraîne son lecteur sur mille chemins, passe d'un genre narratif à l'autre, explorant, dans un seul livre, divers possibles d'une même fiction. Il suffit de se laisser porter, à la suite de ses deux personnages, Roque, dessinateur, conteur d'histoires chevronné, et Léonore, jeune fille schizophrène — dont il est probablement le père. Tous deux font route vers l'est de la France, dévasté par on ne sait quel cataclysme, à la recherche de la mère de Léonore et d'une ville où dansent les morts, dansent dans la tête de Léonore et n'existent que si elle pense à eux. Pierre Pelot alterne cette road-story poétique avec des extraits, à rebours du temps, des cahiers dessinés de Roque. La forme est subtile, parfaitement maîtrisée, et le propos bouleverse au plus haut point.

     

    Vosges Matin

    P. T., 2 juillet 2013

    Une tornade signée Pierre Pelot

    SAINT-MAURICE-SUR-MOSELLE.- Depuis sa maison de Saint-Maurice-sur-Moselle, planquée au détour d'un chemin, Pierre Pelot a une belle vue sur les sapins vosgiens. Dans son dernier livre, La ville où les morts dansent toute leur vie, c'est un paysage qui n'existe plus. Détruit. Emporté par les secousses de la faille rhénane.

    D'ailleurs, c'est tout l'Est qui est dévasté, tornade, inondations, boues... C'est une zone sinistrée, où se rendent ses deux personnages, une espèce de cow-boy et une belle fille. Roque, dessinateur solitaire, et Léonore, dont il est peut-être, probablement, le père. Belle demoiselle un peu folle, vingt ans dehors et peu d'années d'âge mental dedans.

    Après un voyage épique, le final se déroule dans les montagnes vosgiennes, du côté de Saint-Dié. C'est par là, dit Pierre Pelot, en tendant la main. Il fallait quand même que je sache où j'allais. Par ici, je connais à peu près. Dans le chaos du roman, il a envoyé au fossé des bus d'élus UMP de retour de Nancy, et fait mourir d'un AVC une certaine Morano pendant un de ses discours hargneux.

    J'aime bien ce bouquin, confie l'auteur d'environ deux cents livres qui, dans celui-ci, imbrique les récits pour mieux égarer les lecteurs, et ça marche. Pelot verrait bien un film tiré de La ville où les morts dansent toute leur vie. Et c'est vrai. À lire ce roman, on a des images en tête. Dont celles d'une vallée vosgienne disparue et pourtant bien réelle.

     

    Lire

    Christine Ferniot, 13 juin 2013

    Pierre qui rit, Pelot qui rêve

    De la ville des morts à la campagne vosgienne, l'écrivain emporte son lecteur dans des mondes de fiction qui ressemblent à des westerns, des poèmes ou des rêveries d'enfants. Dansons avec lui.

    Un roman qui parle d'amour et de chaos, réunissant texte et image

    Croquer des tentes d'Indiens et des winchesters au bord du Grand Canyon. Raconter des histoires de voyous qui dérapent dans des banlieues trop sombres. Imaginer des sagas d'un autre siècle avec des filles qui ne s'en laissent pas conter. Croiser les hommes des cavernes et leur inventer un langage… Pierre Pelot a fait ça toute sa vie. Très jeune, il rêvait d'être peintre, mais c'est dans l'écriture qu'il a réussi une carrière de romancier flirtant avec les cinquante ans d'exercice. Ses fictions appartiennent à tous les genres littéraires. Western, polar, fantaisie, science-fiction, bande dessinée… l'artiste déteste les frontières, les contraintes et les routes trop droites. Il le prouve magistralement dans ce roman qui parle d'amour et de chaos, réunissant texte et image.

    Tout commence avec l'apparition d'une femme, telle une statue dans le soleil couchant. Au-dessus d'elle, de grands oiseaux semblent fuir au plus vite. Et derrière, un monde palpitant à peine, comme terrassé par un désastre, une apocalypse. Rapidement, on va croiser le dessinateur Roque Grange, un bourru solitaire qui aima une femme mais ne sut jamais très bien le lui dire. Il y a Jack/Jacqueline, celle qui est partie, revenue, repartie avec une enfant dans son ventre. Et surtout, voici Léonore, beauté opaque, schizophrène et chaotique, bavarde et inquiète, violente et douce. Roque et Léonore sont père et fille sans vraiment le savoir. À peine le comprendront-ils un jour. Elle a débarqué dans sa vie tel un boulet et il sait qu'elle doit retourner d'où elle vient, un pays dans un coin perdu de l'Est, une terre dévastée que les hommes cherchent à fuir. Cette quête étrange est aussi un road-movie où l'on croise des flics et des mauvais garçons. Léonore n'a pas peur de les tuer, Roque tente en vain de l'en empêcher. Au détour d'une route, ils s'arrêteront aussi près d'un lion tombé de la cage d'un cirque, vaguement pelé et parfaitement calme. Léonore sait lui parler, caresser sa tête comme on câline un chaton en le grattant un peu entre les oreilles pour qu'il ronronne. À travers des scènes déroutantes et poétiques, Pierre Pelot nous embarque dans ce monde de fantaisie et d'action, comme si Mark Twain bavardait avec Charles Dickens et Richard Brautigan. Un jour conte de fées, le lendemain scène de crime. Il appuie sur pause et son roman devient journal pour rembobiner le passé. Quelques croquis – corps et visages de femme, animaux en peluche, décors inquiétants – ponctuent cette aventure picaresque. Où est-ce que vous allez, rock ? Toi et… Cette fille folle dont tu dois t'occuper absolument ? demande-t-on à Roque. L'homme de sourire en disant : la ville où les morts dansent… Où ils dansent toute leur vie, j'espère. Un monde où les légendes survivent aux humains. C'est là que Pierre Pelot trouve son inspiration depuis un demi-siècle. Il faut accepter d'entrer dans sa ronde, oublier la logique romanesque qui va d'un point à un autre. Cet ouvrage est comme Léonore, tantôt voyage cinématographique vers un pays ravagé par la guerre, tantôt cavale de roman noir avec armes chargées et corps disloqués, ou même chanson d'amour et cri de solitude.

    Pelot ne rentre jamais dans les cases, refuse de s'installer confortablement devant sa table pour composer une bonne vieille aventure. Il aime le fantastique, les polars qui font peur et la vie au rythme de la campagne vosgienne. Au moment où paraît ce roman-fleuve, il publie également un récit intitulé Petit éloge des saisons. Un texte à quatre temps qui parle de redoux et de températures saisonnières. On part avec lui cueillir le muguet, croiser le loup qui ne fait peur qu'aux imbéciles, défendre les taupes, les animaux les plus décriés et haïs par les maniaques copropriétaires de pelouse nickel que menace l'infarctus à la première taupinière surgie aux prémices printanières. L'été, c'est le moment des grosses fèves qui ont poussé démesurément et des panachés bien frais au café du village. Et déjà, l'automne pointe son nez pour une délicieuse fricassée de patates au lard. On le quitte à pas discrets à l'entrée de l'hiver quand il faut écrire sa lettre au Père Noël. Pelot qui rit, Pierrot qui crie. Entre humour et pessimisme, espoirs et tristesse, Pierre Pelot garde toujours son équilibre de saltimbanque, quelle que soit la saison.

     

    Page créée le mardi 25 juin 2013.