Les Forains du bord du gouffre

 
 
 

Date et lieu

En 1990 ou en 2045 ? Entre Albi et Padirac...

Sujet

Troper avait passé ses dix-sept premières années dans un orphelinat, et préférait ne pas s'en souvenir. Quand un jour cette femme survint dans sa vie pour lui demander son aide, lui qui n'avait jamais rendu le moindre service à quiconque, il dit oui.

Probablement parce qu'elle lui demandait une folie. Et parce que, grâce à elle, la mémoire de son enfance lui revenait. (4ème de couverture, 1990).

 

Éditions

Couverture de Vatine.

  • 1ère édition, 1990
  • Paris : Fleuve Noir, février 1990 [impr. : 01/1990].
  • 18 cm, 156 p.
  • Illustration : Vatine (couverture).
  • (Anticipation ; 1737).
  • ISBN : 2-265-04281-1.
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    Première page

    A une époque, le cadran de la montre avait été lumineux, mais c'était avant qu'on n'en fasse cadeau à Troper - d'ailleurs, le type n'en avait pas fait mystère en lui donnant l'objet (tout ce qui lui restait de valeur pour payer sa dette de jeu) : " A part son cadran lumineux qui ne marche plus, elle vaut encore du fric, tu pourras la revendre quand tu voudras… "

    Troper l'entendait encore. Mais il n'avait pas revendu la montre, l'avait fixée une fois pour toutes à son poignet et ne l'en avait jamais retirée, même pour se laver.

    C'était un chrono-bracelet comme il en existe des millions, à l'écran encastré dans une sorte de gaine en plastique caoutchouteux hérissée de boutons qui commandaient un nombre impressionnant de fonctions, auxquelles Troper n'avait jamais rien compris. Il ne s'était jamais risqué à changer l'heure, pour passer du cycle estival à celui de l'hiver par exemple. Le chrono indiquait le " temps-Troper ", et c'était bien suffisant…

    Il releva la manche de sa veste et approcha le cadran de la touche jaune de la chaudière qui s'éclairait quand elle était actionnée en position " marche ". Cette petite source lumineuse suffisait.

    Troper grogna entre ses lèvres et laissa retomber son bras. Le cadran du chrono indiquait : 20 h 47.

    Duddy "Bonaventure" était en retard.

    Un moment, Troper resta ainsi, sans bouger, assis sur le morceau de bâche plié dans l'encoignure formée par le mur et la chaudière. Il fixait la touche jaune de mise en marche du brûleur, faisant claquer l'ongle trop long de son pouce contre celui, cassé, de son index.

    Duddy lui avait dit vingt fois : "Tu ne devrais pas allumer cette chaudière, vieux. C'est un risque que tu cours de te faire repérer." Ce à quoi, au début, Troper avait répliqué : "Ils se fichent bien du bruit que peut faire le brûleur, ils ne l'entendent même pas, dans tout le boucan qu'ils font eux-mêmes." Mais Duddy ne parlait pas du bruit. "Je ne te parle pas du bruit, je te parle de la petite lumière du bouton, là… c'est suffisant. Depuis le dehors, si quelqu'un qui passe jette un coup d'œil au soupirail de la chaufferie, ça se remarque. A travers le verre cathédrale de la fenêtre, ça fait comme un irisement - on dit comme ça ? - … ça se remarque bien."

    Voilà le genre de conseils et d'explications que répétait Duddy sans se lasser… Troper ne s'en fichait pas totalement, ou peut-être agissait-il surtout pour ne plus entendre l'autre ressasser inlassablement les mêmes phrases… A la tombée de la nuit, il allait boucher le soupirail avec un carton, afin que nulle irisation sur le verre cathédrale de la fenêtre à ras de terre n'attire l'attention d'un quidam passant par là… Une fois mis en place le bout de carton, les ténèbres épaisses se refermaient sur Troper… avec pour toute compagnie, s'il décidait de rester là, dans la chaufferie, l'œil jaune électrique et la voix du brûleur qui, toutes les vingt minutes environ, s'élevait et grondait le temps de compter mentalement jusqu'à cent quatre-vingt-dix ou douze…

     

    Revue de presse

    L'Année de la fiction 1990

    Polar, S.-F., fantastique, espionnage, Encrage, Amiens (1991 ?). Jean-Claude ALIZET, page 261

    Triste vie que celle de Troper! A dix-sept ans, il a quitté l'orphelinat et n'a connu depuis que la solitude et la misère. A quarante-cinq ans, il végète comme camelot et vendeur itinérant de petits jouets mécaniques, allant de foires en marchés.

    Ayant appris qu'un parc de loisirs se construisait autour du gouffre de Padirac, il s'y rend avec l'espoir de gagner quelque argent. Hélas! L'activité est totale sur le chantier que surveillent des gardes armés et les futurs emplacements sont déjà réservés. Troper n'a que la ressource de se réfugier dans un bâtiment désaffecté, promis à la démolition, et d'y passer l'hiver à l'abri. Il est aidé par Duddy Bonaventure, un forain spécialiste de la boule de cristal, qui peut circuler sur le chantier en toute liberté.

    Un jour, il lui confie une femme et son fils que les gardes viennent de refouler sans ménagement. Troper n'a nulle envie de partager sa cave, mais lorsqu'Alice lui révèle la manipulation temporelle que l'on connaît (voir tome 1), il accepte d'expérimenter la Mémoire ouverte et se "voit" à quinze ans, exactement le 3 mai 2015 : ce jour-là, des soldats ont fait irruption dans l'appartement familial et ont enlevé ses parents à cause de "ce qu'ils savaient".

    Lorsque les effets de la drogue se sont dissipés, Troper est tout à fait convaincu : cette scène fait partie de "sa" réalité et il n'a jamais eu quinze ans dans un orphelinat, en 1960, comme il l'a toujours cru.

    Alice a, elle, utilisé la Mémoire ouverte et elle a retrouvé des souvenirs "effacés" : l'appel téléphonique de son mari, Claude, lui révélant que le gouffre de Padirac recèle "quelque chose d'extraordinaire", son arrestation par la police... Lorsqu'elle a appris que des travaux étaient effectués autour du gouffre, "un camouflage" selon elle, elle a quitté sa ferme pour essayer d'explorer l'endroit. Elle pense qu'est caché là un centre important du temps réel et que son mari est retenu prisonnier au fond.

    Malgré l'opposition de Duddy, qui révèle son vrai visage, celui d'un espion à la solde de la sécurité des lieux, Troper, Alice et l'enfant réussissent à atteindre les marches de l'escalier de fer qui plonge sous terre...

    * La solution de l'énigme temporelle est peut-être là, car, après ce deuxième tome, nous n'en savons pas plus qu'à l'issue du premier; le mystère reste entier, tout comme reste mystérieux ce faux présent dans lequel évoluent les rares personnages mis en scène. Pierre Pelot s'attarde longuement sur ce marginal qu'est Troper et dont on partage la grisaille quotidienne et les miasmes intérieurs. Il semble que le romancier soit entraîné par sa créature hors de la voie centrale de l'histoire que l'on ne retrouve que dans la seconde moitié du livre.

    Pelot définit ainsi la façon de parler de l'un de ses personnages : "Il ne jouait aucun jeu, n'essayait pas le moins du monde d'installer quelque suspense de mauvais goût" (p. 77). C'est aussi une approche de sa manière narrative ; elle est lente, sans effets, différente des premiers Suragne et du Pelot survolté du Sourire des crabes (PP n° 5003, 1977), mais elle reste celle d'un conteur-né qui sait toucher et intéresser au bout du compte.

     

    Page créée le jeudi 6 novembre 2003.