Observation du virus en temps de paix

 
 
 

Date et lieu

Vers le milieu des années 1990, en Louisiane.

Sujet

Il s'était habitué plutôt vite, tout compte fait, à l'idée d'être un monstre, mais n'acceptait pas encore celle d'être pourchassé. Il était un monstre devenu gibier : l'inébranlable logique voulait faire de lui ce cadavre qu' "ils" espéraient sans danger.

Bien sûr. Mais pour se battre et résister, pour avoir encore envie de vivre, il possédait une belle alliée : la colère ! (4ème de couverture, 1986).

 

Éditions

Couverture de Ian Craig.

  • 1ère édition,
  • Paris : Fleuve Noir, novembre 1986 [impr. : 10/1986].
  • 18 cm, 184 p.
  • Illustration : Ian Craig / Vloo, Young Artists (couverture).
  • (Anticipation ; 1495).
  • ISBN : 2-265-03419-3.
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    Première page

    L'autre avait passé la moitié de son temps à me dire que s'il avait été plus jeune et en bonne santé il y aurait belle lurette qu'il aurait quitté le pays ; à part ça, pour le reste du temps, il mâchonnait en silence un chewing-gum, ou peut-être une vieille chique de tabac, je sais pas - mais si c'était du tabac il ne crachait pas - ; et aussi il me demanda trois ou quatre fois d'où je venais, où j'allais. J'avais dû lui dire à un moment quelconque que je revenais au pays. Ça l'intriguait.

    Surtout à cause de mon ventre.

    Il me jetait des regards en coin, tout en ouvrant et refermant ses doigts sur le volant. Je voyais ses doigts bouger ; j'avais pas besoin de tourner la tête. Moi je regardais droit devant, ce qui ne veut pas dire que je remarquais spécialement le paysage - il n'y avait pas grand-chose à remarquer, sinon le pare-brise couvert de poussière et de boue séchée, en gouttelettes écrasées, et tous ces insectes écrabouillés aussi. Je m'occupais surtout de ne pas croiser ses regards en coin. Je l'écoutais raconter et répéter que s'il avait été plus jeune, lui, il serait parti bien vite ailleurs, dans le nord : ailleurs. C'était ce genre de type qui vous aurait tenu ce discours tout pareil même s'il avait eu vingt ans. J'en ai connu d'autres comme ça. J'ai payé pour savoir ce que ça vaut.

    Il avait bien dans les cinquante ans, celui-là. Je suppose qu'il m'avait dit son nom, mais je ne m'en souviens plus. Sans doute que trois secondes après qu'il me l'ait dit, son nom, je l'avais oublié. Il avait sans doute dit : "J'm'appelle Machin", comme on dit : "Il va faire de l'orage", et on s'en fiche, on attend juste que ça arrive ou que ça passe. Probable qu'il a dû même dans la foulée me demander le mien. Comment je m'appelais. Je lui ai peut-être dit. Je m'en souviens plus non plus. Ça n'a pas d'importance.

    Ce que je me rappelle, c'est que quand il ne disait rien, il mâchouillait son chewing-gum ou sa chique en me glissant des coups d'œil en biais. Je me rappelle sa tête trop ronde et trop rouge, là-haut, sur un cou d'oiseau des marais, et qui ne s'accordait pas avec la maigreur de son corps, ses épaules voussées. Et puis ses lunettes de soleil à travers les verres sales desquelles - des verres au moins aussi sales que le pare-brise de sa bagnole -, on pouvait cependant voir filer son regard ici et là. C'est à peu près tout. Si je devais le décrire, ma foi, je saurais guère en dire plus. C'est pas en parlant des doigts tavelés d'un type qui s'ouvrent et se referment sur le volant qu'on en fait un très bon portrait, je sais bien. Mais ça n'a pas d'importance.

    Ce type qui serait parti dans le nord s'il avait eu vingt ans de moins ne comptait pas plus que des tas d'autres avant lui, tous ceux qui m'avaient laissée monter, sur la route, avant. (Ce que je me rappelle, encore, c'est que j'aurais pu facilement l'entendre penser, à son sujet, quand il ne disait rien et qu'il me regardait en coin. Si j'avais voulu. Ça non plus ça n'a pas d'importance.)

    Il y en a plus d'un qui s'est interrogé de cette façon à mon sujet, comme je viens de le dire.

     

    Revue de presse

    Fiction

    N° 385, avril 1987. Claude ECKEN, pages 167-168

    Ce roman constitue la suite, ou plutôt est un épisode qui permet de faire le lien avec Mémoires d'un épouvantail blessé au combat. Dans ce précédent volume, Cutty, un garagiste se déchaîne, rendu violent par un virus mental que sème un ex-agent militaire en fuite. C'est l'équipée de ce dernier, en compagnie d'une jeune fille enceinte, qui est narrée ici. Plutôt que récit achevé, narrant les tenants et les aboutissants d'une intrigue jusqu'à rassasier le lecteur, Pelot livre des bribes, des morceaux d'histoire qui sont toujours enchâssables dans une histoire plus grande. Le fragment de récit est par contre narré avec un grand luxe de détails, les personnages sont examinés à la loupe et, fasciné, le lecteur oublie les événements pour suivre ceux qui les font.

     

    Page créée le mardi 4 novembre 2003.