Mémoires d'un épouvantail blessé au combat

 
 
 

Date et lieu

Au milieu des années 1990, en plein coeur de l'Ozark, Missouri, Etats-Unis d'Amérique.

Sujet

Avec le soir et la tombée de la nuit fraîchissante, ça pétaradait comme en enfer.

Certaines fois, Cutty ne pouvait même plus écouter tranquillement la radio, ni suivre une putain d'émission de télé sans sursauter toutes les trente secondes, à cause de toutes ces tôles chargées de chaleur et qui claquaient, qui claquaient… (4ème de couverture, 1986).

 

Éditions

Couverture de P. Larue.

  • 1ère édition, 1986
  • Paris : Fleuve Noir, septembre 1986 [impr. : 09/1986].
  • 18 cm, 183 p.
  • Illustration : P. Larue (couverture).
  • (Anticipation ; 1482).
  • ISBN : 2-265-03365-0.
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    Première page

    En ce début d'après-midi torride et plat, Ab Cutty et Tony Burden regardaient s'agiter Malcolm, à quelques pas, de l'autre côté de la route poussiéreuse et blanche, devant le hangar aux pneus branlants. C'était comme si le simple fait d'avoir à contempler le nègre qui bougeait dans le soleil les eût terrassés définitivement, eux, victimes de quelques processus sournois de vases communicants qui clouait plus profondément, à chaque seconde écoulée, au creux de cette vielle banquette de Ford défoncée qui leur servait de fauteuil, sous l'auvent de la boutique. Comme si, à cause du nègre et de ses gestes lourds, lents, à cause de la sueur du nègre qui coulait sur ses joues et que parfois, de loin en loin, il essuyait d'un revers de main excessive caricatural - sans manquer, alors, de leur glisser un regard en biais - , et aussi à cause des taches sombres de transpiration sur sa chemise vieux rose fanée, Cutty aussi bien que Burden eussent éprouvé de plus en plus de peine à soulever les paupières, à porter à leurs lèvres les boîtes de Bud tiède, à faire le minimum de gestes nécessaires pour chasser les mouches bleues - et même, quasiment respirer.

    Le spectacle de Malcolm en train de s'activer en plein soleil d'après-midi, au plus blanc du mois d'août calciné, avait quelque chose d'indubitablement épuisant. Et Dieu sait pourtant que le nègre était passé maître - et ce depuis longtemps - dans l'art d'économiser ses gestes. Par exemple, quand Malcom plantait un clou, il le faisait comme si cela ne lui coûtait pas plus d'énergie que de respirer et comme si les mouvements successifs - l'élévation du marteau et sa retombée en arc de cercle court - étaient des gestes coutumiers programmés au fond de son cerveau, sous son bonnet de laine rouge, pour assurer le bon fonctionnement de son métabolisme. Et vous regardiez Malcom enfoncer un clou, et jamais, à aucun moment, il ne vous venait à l'esprit de songer : "Malcom enfonce un clou". Ca ne vous traversait pas la tête, non, exactement comme vous ne vous dites pas, en regardant n'importe qui debout sur ses jambes et portant un chapeau : "Ce gars-là est en train de respirer", vous écoutez ce gars-là qui vous parle, vous participez à la conversation tout en lui faisant le plein de super et en secouant le pistolet sur le flanc de sa caisse, c'est à peu près tout ; accessoirement, tout en lui demandant s'il désire qu'on vérifie le niveau d'huile, vous savez qu'il respire, ça ne va pas plus loin. Eh bien, c'était pareil quand vous regardiez Malcolm enfoncer un clou. Il fallait le bruit des coups de marteau pour que vous preniez conscience - si tant est que la chose eût quelque importance - de ce qu'il était en train de faire. D'un autre côté, à ce jeu, pour enfoncer deux pouces d'acier dans une planche de sapin, il lui fallait lever et laisser tomber quinze fois son marteau. Ne parlons même pas d'enfoncer trois pouces d'acier dans du chêne.

    Mais ce jour-là, et pour l'heure, le nègre n'enfonçait pas le moindre clou. Il rechapait un pneu de vieux Dodge, en plein soleil.

     


    Revue de presse

    Écran fantastique

    N° 74. Jean-Pierre ANDREVON

    [...] Pelot, c'est net, est une sorte de David Goodis de la déchéance sublime et dérisoire [...].

     

    Page créée le mardi 4 novembre 2003.