Les Canards boiteux

 
 
  • Pierre Pelot
  • 1979 | 78ème roman publié
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Date et lieu

A la fin des années 1970, dans les Vosges.

Sujet

L'oiseau dansait sur le rebord rocheux qui abritait son aire. Il semblait malaxer la proie qu'il venait de ramener, balancé d'une serre sur l'autre. On distinguait relativement bien ses larges pattes écartées, son dos gris, la pâleur de la gorge et ses grosses moustaches de plumes noires. C'était Vieux Filou, comme l'avait baptisé Théo.
- Il revient de chasse, dit Théo, sur le ton, presque, de quelqu'un qui regrette de n'avoir pas été invité. Il a quatre petits. C'est rare.

- Le même couple que l'année dernière ? demanda Laurent.
- Oui. Je t'ai dit. Vieux Filou et Madame. Ils ne se laissent pas abattre, ils vont se bagarrer.
- Qu'est-ce que tu en sais ? Tu n'es pas un faucon.
- C'est vrai, je ne suis pas un faucon… Mais ces deux-là sont revenus et ils ne se laisseront pas faire, tu verras. (4ème de couverture, 1979).

La petite histoire... Pierre Pelot cite ce roman dans Blues pour Julie, publié en 1980. Son personnage principal raconte : "J'avais en tête une idée de bouquin [...] C'était un livre qui traiterait des relations entre un jeune homme perdu dans le monde d'à-présent, et un vieil homme qui n'en finissait pas de se débattre avec son passé. En gros, ce serait cela. Mais c'est difficile à résumer - je n'ai jamais été très fort pour les synopsis. J'avais une idée de titre : Les Canards boiteux. J'étais assez satisfait du titre. Je proposerais ce manuscrit à un de mes éditeurs "pour la jeunesse", bien que je ne voie guère ce qu'il y avait de spécifiquement jeune dans ce sujet. Je n'ai jamais pu me fourrer dans la tête la conception d'une littérature "pour" la jeunesse. Mais j'ai publié pas mal de bouquins dans ces collections. Le jeune type s'appellerait Éric. Le vieux, Théo. Ils étaient déjà venus me rendre visite plus d'une fois. J'avais pris quelques notes à leur sujet. J'étais le seul à les connaître, ça me saoulait un peu : j'adore ces moments-là, juste avant de souffrir, juste avant de reconnaître derrière le masque des personnages des traits familiers, qui m'appartiennent trop" (pages 120/1980, 132/1984).

 

Édition

Photo de couverture : Arepi.

  • 1ère édition, 1979
  • Paris : Éditions G.P., février 1979 [impr. : IV/1978].
  • 21 cm, 187 p.
  • Illustration : Arepi (couverture).
  • (Grand Angle ; 45).
  • ISBN : 2-261-00581-4.
  • Avec un bandeau : "La violence, cycle infernal".
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    Première page

    VINCENT est mort.

    Vincent est mort de soif ; Vincent est mort un jour, terrassé par une trop vive lumière jaune, insaisissable, insaisissable.

    Laurent eut un petit sourire-grimace.

    Il écrirait probablement un jour quelque chose qui commencerait de cette façon : Vincent est mort.

    Il ne savait pas quoi, ni comment, ni quand. Mais il le ferait.

    Il cessa de mâchonner le petit bâtonnet de paille sèche et le retira, pâteux, d'entre ses dents pour le considérer un instant d'un œil terne avant de le jeter. Il essuya machinalement ses mains, sans que cela fût nécessaire, sur le velours râpé de son jean.

    Vincent est mort. Oui. Tué par trop de lumière jaune insaisissable.

    Ce ne sera pas un scénario. Impossible de caser cette phrase dans un scénario. Combien de films sur la vie passionnée de Van Gogh ?… Peut-être un roman. Et pas nécessairement sur Van Gogh, d'ailleurs.

    Il soupira.

    Il écrirait ces mots quand il serait capable d'écrire, de nouveau. Quand les forces lui reviendraient pour noircir les pages blanches, entasser et jointoyer les mots, faire des murs de mots, des maisons, des cathédrales de mots…

    Un jour.

    Après-demain…

    Il étira ses jambes, longues, les croisa, la droite sur la gauche. Il était couché dans l'herbe, coudes serrés au corps, plantés dans l'humus du sous-bois. La fraîcheur du sol mal débarbouillé des suites d'un trop méchant hiver commençait à percer ses vêtements.

    C'était pourtant un brave mois de mai. Un brave mois de mai avec du soleil déjà chaud, des tendresses délicates embourgeonnées sur les taillis et la forêt, porte grande ouverte sur la fête du Travail marquée comme de coutume par un repos total.

    Pâques avait encore vu voleter une dernière offensive de flocons - mais rien de grave, ni de sérieux : une maigre ruade des grands froids épuisés, et les paillettes pitoyables avaient fondu dans la journée. C'était fini, l'hiver. Dans les écoles, il y avait des travaux de français et des rédactions dans l'air, frappés au sceau du Renouveau - avec la liste des synonymes à la rescousse, pour éviter les répétitions. (L'année scolaire était ainsi jalonnée des sempiternels sujets d'intérêt pour l'éveil de la création des apprentis de la Culture. La belle imagination avait ses rendez-vous chronométrés et saisonniers, que rien au monde, semblait-il, n'était de taille à reporter, ou à effacer à jamais. Il y avait, dans le lot, outre le printemps - le temps du Renouveau ! - l'automne - ou temps du Sommeil - avec son étape de la Toussaint, et puis l'hiver, bien sûr, sans parler de la fête au Village. C'était ainsi, lorsque Laurent portait encore des culottes courtes et courrait derrière les filles pour leur tirer les nattes, traduisant de cette manière un peu débridée l'intérêt qu'il leur portait. Les rédactions saisonnières aux sujets de marbre, sans faille, existaient-elles encore ?… Il se souvint, précisément, d'un de ses chefs-d'œuvre en la matière, un jour où la cible était l'automne et où lui, Laurent, devait manquer d'enthousiasme. Il avait tracé de sa déjà désastreuse écriture en pattes de mouche ces deux phrases : C'est l'automne. Les feuilles jaunissent et tombent. On ne lui demandait pas encore la concision nécessaire à la rédaction des synopsis de scénariis, et le devoir avait été jugé insuffisant…).

    Laurent décroisa ses jambes. S'appuyant sur ses larges mains, il se redressa, se tint assis.

     

    Épigraphe - Dédicace

    Dédicace : A Bernard Fischbach qui connaît bien certains "Vieux Filous". Amicalement.

    Épigraphe : ...Je voudrais être délivré de je ne sais quelle cage horrible... (Van Gogh).

     

    Page créée le mardi 28 octobre 2003.