Transit

 
 
  • Pierre Pelot
  • 1977 | 71ème roman publié
  • SF
 

Revue de presse

Vient de paraître

Catalogue Robert Laffont, N° 174, page 13, octobre 1977

Dans les locaux pyrénéens de l'Institut de Recherches Télergiques Européen, Carry Galen est revenu d'un nouveau Voyage accompli sous hypnose. Car l'IRTE se préoccupe d'exploiter les aptitudes, longtemps tenues pour paranormales, de sujets comme Galen. Les Voyages sont en principe destinés à permettre d'étudier les facultés précognitives de Galen. Mais cette fois, un incident surprenant est survenu. Au cours de son Voyage immobile, Galen a physiquement disparu. Est-ce lui, cet amnésique surgi du néant que Lone est chargée de guider sur Gayhirna, et qui va devoir tout réapprendre, la langue, les gestes et les rites d'une société différente de la nôtre, fraternelle, libérée ?... Et de quoi se souvient le Cobaye Galen, à son retour dans notre monde ?

Pierre Pelot, qui a trente-deux ans, vit dans les Vosges dans le village qui l'a vu naître. Depuis 1966, a publié une dizaine de romans, dont Sierra brûlante, dans la collection Plein Vent.

 

Nord-Matin

15 novembre 1977. Pierre PINSON

Pierre Pelot nous entraîne dès ses premières pages vers un avenir relativement lointain, mais suffisamment proche de notre époque pour que l'évolution de l'homme ne l'ait pas radicalement transformé.

Quelque part sur un pic pyrénéen, une poignée d'hommes et de femmes travaillent pour l'I.R.T.E. Cet organisme d'État s'est donné pour but de poursuivre des recherches psychologiques dans le domaine de l'hypnose et de la précognition.

Régulièrement des "cobayes" partent en "voyage", leur destination leur est inconnue. A la tête de l'I.R.T.E., le professeur Erlevetchi mise beaucoup sur la réussite de son "projet X". Mais le "projet X" existe-t-il ?

Le roman de Pierre Pelot nous propulse allègrement dans l'exploration des univers parallèles, complaisamment décrits par l'auteur à grand renfort de théories neurologiques et psychologiques. Inutile de préciser que le lecteur, même averti, n'y comprend rien : ce qui rend la suite de l'intrigue plausible.

Successivement, les chapitres nous racontent la vie de Carry Galen, "cobaye précog". Dans sa base retirée et celle d'un certain Gaynes, alias Derryan, amnésique condamné à tout apprendre d'un monde dont il ne connaît rien. Bien entendu, Gaynes et Carry Galen ne font qu'un, le premier étant le second placé sous hypnose. Cela, le lecteur a tôt fait de le pressentir.

A cet exercice, Carry Galen finit par perdre pied. Ballotté entre deux univers, ses bribes de souvenirs deviennent interchangeables et doucement, il dérive vers la folie. C'est le drame d'un homme à qui on a enlevé ses racines qui cherche désespérément à se raccrocher à des bouées-souvenirs qui se dérobent lorsqu'il croit les atteindre.

Pour malmener ainsi l'un de leurs meilleurs sujets, les dirigeants de l'I.R.T.E. ont une excellente raison. Les expériences qu'ils mènent sont d'un autre ordre que le but (…). Au bout de leur quête, il y a le mythe de l'immortalité. Ils sont vieux. Le temps presse. Tant pis pour Galen.

En dehors de cette intrigue, somme toute assez classique pour une œuvre de science-fiction, demeure une très tendre histoire d'amour entre Galen et Lone. Mais Lone n'est-elle pas morte ? A moins qu'elle ne vive sur la planète Gayhirna. Et si Lone n'existait que dans l'esprit de Galen ?

Il s'agit, on le voit, d'une fable fort complexe qui fait jouer tous les ressorts du genre, avec en sus, le symbolisme du monde de Gayhirna, planète lointaine où le voyageur amnésique trouve le réconfort auprès d'un bien étrange peuple qui vit sans lois et sans chefs, où chacun ouvre sa porte au voyageur égaré, où chacun prend les autres en charge, où chacun prend sa vie en charge.

Ce monde libertiste, utopique, s'oppose aux froids desseins d'Erlevetchi et à ses plans machiavéliques. Le Meilleur des mondes face au meilleur des mondes : ce n'est pas la moindre des trouvailles de cet auteur imaginatif et qui manie la plume et les idées avec autant de fougue que de réflexion.

 

Les Dernières Nouvelles d'Alsace

8 janvier 1978. Daniel WALTHER

Parmi les rares écrivains français à flotter sur les eaux tumultueuses de la conjoncture, Pierre Pelot continue d'affirmer son talent. Avec son dernier livre, qui paraît dans une édition de prestige, Pelot, le plus vosgien des auteurs de science-fiction, montre qu'il est en pleine possession de ses moyens, même si Transit n'est pas son meilleur roman. Mais on y retrouve son souffle, son talent de conteur, de metteur en scène de l'écriture. Dans une époque où il est de bon ton de dénigrer la politique française en matière de littérature spéculative, Pierre Pelot a de quoi tenir la dragée haute à bon nombre d'écrivains anglo-saxons. Les mondes de Pierre Pelot sont inquiétants, parfois baroques, mais, malgré leur sombre lyrisme, bien trop proches du nôtre pour ne pas être les reflets prophétiques…

 

Univers 13

Le "coin des spécialistes" (pp. 158-159) "note" certains ouvrages de o (sans intérêt) à **** (exceptionnel): Transit obtient une fois *** (bon : Michel Demuth), et sept fois ** (moyen : Jean Bonnefoy, Philippe Curval, Jean-Pierre Dionnet, Yves Frémion, Philippe Hupp, Robert Louit et François Rivière).

 

Crytick

N° 3, avril-mai 1978. R. BOZETTO

Deux Pierre qui roulent et sur ces deux Pierre je bâtirai une SF !

Le premier roman de Pierre Giuliani, Séquences pour le chaos (Lattès) et celui de Pierre Pelot, Transit, le premier publié par Ailleurs et Demain, apparaissent dans la production de SF, et la SF française en particulier, comme quelque chose de neuf, un clignotant qui marque le passage à l'hyper-espace. Des repères pour un futur possible de la SF française. Allons donc, dira le lecteur ! Vous oub1iez Klein, Drode, Curval, Douay, Jeury et l'alpestre Andrevon ! Pas du tout, on n'oublie rien, on aime même ce qu'écrivent, ou font écrire, ces auteurs. Qui est parfois bien meilleur que ces deux livres des Pierre, lesquels ne sont pas des "chefs-d'œuvre", et sont même, surtout Giuliani, parfois bien mal ficelés. Oui, mais… ils me semblent apporter une musique nouvelle, a new sound, a touch of new : ils renvoient de manière symbolique à l'imaginaire actuel, aux fantasmes vécus de la sensibilité française actuelle. Non, rassurez-vous, ce n'est pas le surgeon écologo-gauchiste (qui a ses charmes, comme tout surgeon, à moins que ce ne soit l'inverse !), d'un BB, avec ses cocktails et ses tigres de papier glacé. Ce n'est pas non plus de la pornofiction. Ca sonne juste. Comme tout fantasme personnel qui incarne une mythologie sociale. Mais pourquoi mêler les deux livres ?

Transit laisse apparaître le métier de Pelot/Suragne, qui malgré son âge de greenhorn a semé, Petit Poucet rêveur, une centaine - au moins - de bouquins de western, SF de tout calibre et dans tout registre, fantastique, et même des bouquins de littérature "générale", sans compter les à-côtés. Un Simenon de la SF, qui écrit avec le souffle de sa respiration, un des grands prosateurs, bien que piètre nouvelliste. Un récit qui est une belle "machine à influencer" l'imagination du lecteur, un récit euphorique, tremplin pour planer à l'aise.

Séquences pour le chaos est lent à décoller, statique au départ, lourd comme une superforteresse arthritique (!!!) chargée pendant la seconde guerre mondiale de raser Dresde à elle toute seule, hommage discret à Vonnegut et à ce film merveilleux Abattoir V. Mais la seconde partie est très réussie : l'oniric fiction vous happe et vous entraîne en plein plaisir. Du E. R. Burroughs où John Carter aurait une mentalité de guérillero qui au lieu de naviguer à l'aide de la boussole du Grand Timonier se piquerait avec des ampoules d'Ubik et sucerait des doses de Dieu venu du Centaure. Curieux cocktail où Molotov ne retrouverait pas ses petits.

Oui donc, pourquoi rapprocher ces deux livres ? Parce que les auteurs ont le même prénom ? Faible mais acceptable. Il y a plus, comme on peut le voir (suspens !!). Dans les deux cas, une société de type totalitaire inégalitaire (non, ce n'est pas Zorro qui va arriver !) et qui entreprend de maîtriser non seulement son réel - ici, mais encore tous les futurs possibles (on pense à Jeury). Elles projette ses valeurs et ses pratiques comme des sortes de harpons, de pieuvres (vertes ?) temporelles, afin d'amarrer l'avenir à ses particularités, ses mesquineries qu'elle érige en absolu. Choc en retour. Ni l'avenir, ni le possible (bel et sain acte de foi !) ne se réduisent à une réduplication de la société structurale, de la sociabilité socialité invivable où le présent nous assujettit. Société (future ?) placée sous le signe de la double contrainte - le "bouble bind" des antipsychiatres, qu'on commence à traiter de vieilles lunes avant de les avoir compris - lire les ouvrages de Laing, Cooper, Esterson, Bateson : voir en Maspéro.

Double contrainte qui fonde une société schizophrénique, qui n'a pour but inconscient (?) qu'une série de pratiques qui sont autant d'efforts pour rendre l'autre fou (Gallimard, Searles, ouvrage important, mais cher, cher…). C'est cette présence qui est thématisée, d'une manière plus systématique et selon des schémas narratifs nouveaux, par rapport à Dick, Jeury et Douay. Et cette nouveauté, en fait, peut se lire comme un retour à des sources non polluées, celles de la tradition utopique/socialiste de la fin du XIX° anglo-saxon avec Bellamy (Looking Backwards, non réédité depuis une éternité), Wells et Morris (Les Nouvelles de Nulle-part, Ed. Sociales). Ce retrempage dans des sources immaculées et naïves, ce retour à des eaux vives, par des chemins analogues, sont à signaler. La SF française retrouve ses racines, et par là même se construit un avenir non mimétique du devenir anglo-saxon en SF. Espérons que les collections ne vont pas s'effondrer au moment où une voix neuve se fait entendre. La mort du Rayon fantastique avait coulé tout espoir de voir une SF française originale, alors que sa venue s'annonçait. Nous sommes aujourd'hui dans une situation du même ordre : Laffont, J'ai Lu, Denoël vont-ils tenir assez longtemps pour pouvoir engranger la nouvelle moisson ? En attendant, lisez Giuliani, lisez Pelot en général et Transit en particulier.

 

Requiem

Science-fiction, fantastique ("le seul magazine de fantastique et de science-fiction, en français, en Amérique du Nord"). Longueuil (Québec), n° 21, mai 1978. Richard TREMBLAY

Pelot en transit...

Ce qui frappe d'abord dans l'œuvre de Pelot/Suragne, c'est la persistance de la critique écologique de la société. Dans presque tous ses romans (dont l'action se déroule généralement sur deux plans convergents qui culminent à la toute fin), il y a une place pour une vision plus ou moins utopique d'une Terre ramenée à un environnement plus naturel, donc plus humain.

Pelot posait déjà l'hypothèse du progrès aliénant pour les hommes, et, partant, pour les sociétés que font ces mêmes hommes dès son premier ouvrage paru au Fleuve noir : La Septième saison. Il a continué depuis à creuser le sujet. Ce premier roman, remarquable à de multiples points de vue, montrait le chemin qu'il allait emprunter dans ses oeuvres suivantes : développement sur deux plans de l'intrigue, critique écologiste et aussi critique naissante du pouvoir que permet la concentration de la connaissance entre quelques mains.

La critique écologiste n'est pas affaire de mode avec Pelot : elle est profondément ressentie - la perte de la nature étant toujours associée à la perte d'une certaine qualité d'humanité au profit de l'indifférence et de la superficialité. Pour préserver à l'homme cette part d'humanité, il faudra lutter contre les pouvoirs divers, c'est-à-dire contre toutes les manifestations du pouvoir et contre la société qui autorise pareille agglomération de forces. Contre les pouvoirs gigantesques des gouvernements et des grands trusts continentaux, la lutte s'organisera au niveau de l'individu seul. Face à un semblable désavantage, le moins que l'on puisse dire, c'est que le "héros" pelosien n'en mène pas large. Toutes les tentatives de rébellion seront sévèrement réprimées. Le choix des moyens étant particulièrement vaste pour ce colosse de Rhodes qu'est la société, la fin sera invariablement le silence. Témoins sont Ars dans Et puis les loups viendront, Mallworth dans Mais si les papillons trichent, Das Vila et Lovskovitch dans Vendredi, par exemple, Trash dans Fœtus-Party et Luc dans Le Sourire des crabes, Jov dans Les Barreaux de l'Eden, Galen dans Transit... Tous morts ou fous. De toute façon réduits au silence, à la non contagion. Enfermés sous la terre ou à l'asile - la différence n'est pas bien grande après tout.

La seule rébellion dont le dénouement sera heureux est celle de son premier roman. De cette exception notable, deux points à retenir. Un, la rébellion s'attaquera à une société humaine qui n'a pas beaucoup de force d'inertie, c'est-à-dire qui est nouvellement implantée et plutôt faible, en pleine croissance et qui n'a pas encore atteint ce stade pratiquement indéracinable (inéluctable) que l'on retrouve dans les autres romans de Pelot. Deux, la rébellion sera littéralement globale - elle sera absolue, évinçant sans rémission tous les intrus -, d'ailleurs ce ne seront pas les hommes qui la feront mais la planète elle-même. Il est aussi à noter que cette rébellion réussie n'aura pas pour cadre la Terre (ce qui est le cas pour les romans susmentionnés), mais une toute autre planète : Larkioss.

On aura compris qu'il s'agit moins d'un constat d'échec ou d'une désillusion sur l'homme incapable de se libérer des monstres qu'il a créés (puisque rébellion réussie il y a, dans La Septième saison), que d'une lucidité aiguë, aigre même, sur la formidable capacité de récupération du système, sur les réflexes autoritaires d'une société qui secrète des polices comme un organisme des leucocytes chargés d'expédier le moindre contrevenant là où il ne fera plus aucun tort, là où son action quotidienne et individuelle ne risquera pas de faire boule de neige. Lucidité pessimiste, oui, mais la lucidité n'est-elle pas l'embryon de la raison et de la sagesse ? Tant par la violence apocalyptique de sa rébellion que par l'optimisme prenant de la vie enfin retrouvée, seule La Septième saison échappera à ce pessimisme.

Ces trois tendances de l'œuvre de Pelot se retrouvent encore dans son meilleur roman : Transit.

L'action se déroule sur deux plans convergents : l'un sur une planète idyllique nommée Gayhirna où le héros amnésique fera un long voyage d'initiation à la vie, un raccourci saisissant des étapes de la vie d'un homme, un apprentissage en douceur de la vie et de la mort; l'autre dans le monde clos, coupé de la civilisation humaine sauf par ses gadgets de communication éminemment techniques, de la base "Cote 3101", univers gris, chromé, télévisuel et compartimenté. Alors que l'action sur Gayhirna sera essentiellement dynamique et permettra au héros de retrouver et de renouer un contact plus physique avec son environnement, l'action à Cote 3101 sera statique, enfoncera Carry Galen (le sujet condamné, il est à la fois sur Gayhirna et à Cote 3101) dans un autisme de plus en plus irréversible. Ouverture à la vie contre fermeture au monde : les deux axes du roman sont posés là. Galen perdra - pouvait-il en être autrement ?

Critique écologiste aussi : Gayhirna n'est en aucun cas une Utopie. Elle est au contraire en plein développement, ne s'est pas encore stabilisée et, en vertu des ressources et des différences innées à chaque communauté d'individus, ne se stabilisera sans doute jamais. Gayhirna vit ses contradictions internes, a des soubresauts, mais le chemin de son évolution est tout indiqué et elle n'en déviera pas. Si Gayhirna a rejeté les effets néfastes d'un progrès outrancier, elle n'a cependant pas rejeté unilatéralement le progrès, loin de là : le progrès n'est en rien condamnable quand il augmente l'acquis de savoir et de mieux-être. Elle lui a simplement appris le respect des hommes et de la vie. Rien que ça. C'est ainsi que l'on retrouve sur cette planète qui est un rêve écologique ce qui fait justement le malheur de notre époque : télévision, automobile, centrales énergétiques, etc. L'ensemble a été déployé à la mesure de l'être humain, c'est tout et c'est là la différence essentielle; décentralisation et autogestion sont les conditions d'un développement harmonieux. Il n'y aura donc plus de "mal de vivre" dû à l'incompréhension des choses nouvelles, à la sensation du déplacement des pouvoirs vers le pseudo-animé (bureaucratie, technocratie, idéologie) ou l'inanimé (grands ensembles industriels ou informatiques, villes immenses ou frustrantes).

Chez Pelot, la critique écologiste n'est pas dissociable de la critique des pouvoirs dans la mesure où elle s'inscrit comme une voie de rechange aux impasses manifestes de la seconde. Décentralisation et autogestion sont les conditions du développement harmonieux de l'homme dans son milieu, dit l'auteur, alors centralisation des pouvoirs et concentration de la connaissance seront les conditions sine qua non d'un développement programmé, sans imagination, laborieux et, pour tout dire, anti-humain. Galen habite un monde fermé, au propre comme au figuré, où la technologie (les gadgets technologiques) joue un rôle dominant (il s'agit d'une base de recherches scientifiques, ne l'oublions pas) : Cote 3101. Perdue dans les Pyrénées, accrochée aux flancs d'un pic inaccessible, la base est coupée du reste du monde : elle est égocentrique, devenue à la fois le monde et son nombril. On y entre comme dans les ordres... c'est-à-dire avec la secrète (et masochiste ?) certitude de ne jamais pouvoir en sortir. Du moins, sain d'esprit. Cote 3101 est la représentation première de la société moderne, celle que cherchait justement à fuir Carry Galen : insignifiante, inutile, emmerdante, avec - en prime le piège pour gogos - cette unique fenêtre où il fait bon s'asseoir parce que la vue (la vie ?) y est plus belle qu'ailleurs. On tourne en rond, on répète jour après jour les mêmes gestes, les mêmes conversations de bar, on y voit les mêmes gens et les mêmes platitudes télévisées. Monde complètement fermé donc, microcosme dont les habitants reproduisent inconsciemment la coupure autistique et égocentrique dans leur comportement quotidien.

Aussi critique de la concentration et de la centralisation des pouvoirs, puisque ce petit monde est à la merci de ses dirigeants - deux hommes qui ont presque toute latitude pour l'arrêt ou la poursuite des expériences - qui eux-mêmes sont à la merci des grands créanciers de Cote 3101. Critique de la concentration et de la connaissance, qui dérive de la première et qui lui est corollaire, qui fera au moins deux morts d'importance : Galen lui-même que l'on mènera au suicide, et Mauree Leavskee qui sera victime de sa rébellion contre le mensonge sciemment entretenu par les directeurs de Cote 3101.

Tout au long de Transit, il y aura une constante opposition entre les individus (Galen, Leavskee) et les divers avatars bureaucratiques qui jouissent de la haute protection des autorités. L'avatar ici sera le très puissant Institut de Recherches Télergiques Européen (IRTE), symbole de la concentration de la connaissance scientifique - symbole comme l'était l'hôpital psychiatrique dans Le Sourire des crabes et comme l'était l'ensemble culturel et religieux dans Les Barreaux de l'Eden. Le broyage de Galen ne sera rien moins qu'impitoyable... Imaginez donc un peu : oser résister (même par la bande) à l'IRTE!

A Cote 3101 se poursuit une expérience séduisante, riche de promesses : l'envoi d'un homme dans un monde parallèle afin d'amasser les renseignements usuels. Précognitif à moyen terme, Galen sera le cobaye désigné pour la première expérience.

Mais il y a une règle à l'expérience, une règle que l'on ne peut oublier : le profit immédiat ou, à la limite, le profit à court terme. Que pourrait-on faire de cette planète que "découvre" Galen ? L'invasion technologique est impossible, impossible aussi un certain dumping économique, les échanges ne peuvent être qu'extrêmement réduits (sauf au niveau social bien sûr, mais les grands trusts continentaux et les divers gouvernements qui soutiennent l'expérience n'ont cure de l'Utopie). L'opération se soldera donc, officiellement, par un échec.

C'est à ce moment que le jeu des dualités commence (le roman s'ouvre sur le retour de Galen). Celle de la réalité et du rêve (quoiqu'il vaudrait mieux parler de second plan de réalité, puisque Gayhirna est aussi réelle que la Terre, ce n'est que par la rémanence de son souvenir chez Carry Galen que l'on peut parler de "rêve"), celle du mensonge au deuxième et au troisième degré concocté par le duo des directeurs de Cote 3101. Dualité aussi de la course au pouvoir dans les plus hautes sphères économiques.

Car le pseudo échec n'est pas fortuit. Il est le prétexte aux Européens pour évincer les Américains du champ d'expérimentation et, du coup, freiner la conquête économique américaine de l'Europe. Le pseudo échec permet donc de sortir les Américains du jeu et assure l'autonomie politico-économique des gouvernements européens face au géant maintenant unifié d'outre-Atlantique.

Le pseudo échec sert aussi, bien que sur un mode mineur, les intérêts des requins - ces individus qui dirigent les trusts continentaux et les gouvernements de tout poil. Les requins, eux, sont en mal de sensations : la Riviera est depuis longtemps dépassée, les Canaries désuètes. Leur soif de farniente pourrait-elle être assouvie par ce nouveau monde : Gayhirna ? Après tout, pourquoi ne pas imaginer un Club Med à l'échelle planétaire ? Le dumping se pratique aussi au niveau socioculturel - que l'on songe seulement à ce que serait ce Nouveau Monde trente ou quarante ans après la réception de ses nouveaux touristes.

Malgré un diagnostic factice d'échec, l'expérience promet les plus grandes espérances. Sans les Américains - ce que l'on désirait ardemment dans certains milieux -, on la poursuivra.

Le dindon de la farce est Carry Galen. Lui qui sort traumatisé d'une expérience dont on maîtrise encore mal le processus ; lui qui a laissé sur le chemin aspatial qui mène de Gayhirna à Cote 3101 une partie assez vaste de sa mémoire ; lui qui, de retour sur Terre, aurait besoin de soins et d'un traitement appropriés; lui qu'on décidera de laisser s'enfoncer dans la mare boueuse de la schizophrénie pour bien démontrer aux collègues américains que l'expérience est un échec (le cobaye étant ramené amnésique et irrécupérable, impossible d'en tirer quoi que ce soit) ; Galen, lui que l'on mènera insensiblement à la mort, au suicide. Ce Carry Galen si pitoyable qu'on aura sans doute choisi dès le début pour ses tendances renfermées, dépressives, vaguement psychotiques. Le choc du "voyage" n'aura fait que déboussoler définitivement un individu déjà mal assuré. Sujet rêvé : l'expérience ne pouvait que rater. Ca s'enchaîne.

L'acceptation du cadre de jeu est implicite pour Galen, une absolue condition de fonctionnement. Aussi ne remettra-t-il jamais en question les divers symboles de l'autorité : Cote 3101 elle-même ; puis Erlevetchi et Baquez, directeurs de ladite base, Erlevetchi surtout qui fera figure, à un certain moment du père dominateur, image grandie et immense. La révolte consciente contre l'autorité s'en trouve réduite, voire annihilée.

Ce n'est que par la mort qu'il devient possible de transgresser le cadre symbolique de la société (mort toute technique d'ailleurs puisqu'au retour du "voyage", on réanime le sujet). Ainsi Gayhirna est-elle un hameau coloré, vert, chaleureux, tout à l'opposé du quotidien banal et gris de Cote 3101. Même phénomène chez le Galen de Gayhirna : curieux, immensément curieux, amoureux fou, enthousiaste, etc. A opposer au Galen de Cote 3101 qui est cynique, blasé, amer et morose. Dualité des hommes et des sociétés.

La violence symbolique se matérialisera au retour sur Terre de Galen par l'incapacité de transgresser le cadre symbolique de la société. Ce n'est encore une fois qu'avec sa mort (véritable), l'inconscient libéré une ultime fraction de seconde, que Galen franchira ces limites et fera une analyse négative, un rejet, de sa société en lui préférant une autre - par l'invention autistique puisque Gayhirna n'existe plus.

Dans les méandres de l'autisme et de la schizophrénie, rien n'est simple, nous disait Dick. Pelot ajoute une note résolument originale : la récupération du repliement, du second univers intérieur, au profit des pouvoirs divers.

Sublime roman. Pelot qui ne fut jamais sous le pseudonyme de Pierre Suragne un des plumitifs stakhanovistes du Fleuve noir, mais qui y commit quelques bluettes (Mecanic jungle, Ballade pour presqu'un homme, L'Enfant qui marchait sur le ciel), serait-il en train de nous faire un coup genre Silverberg ? C'est-à-dire produire des bouquins de qualité en quantité. Transit est un roman fascinant, rondement mené de bout en bout, un jeu assez éblouissant sur les multiples trames de la réalité ; un jeu qui rappelle immanquablement Dick, voire le meilleur Dick. La filiation n'est pas factice ou gratuite. Il y a dans ce roman quelques splendides pages sur le spleen, sur les relations entre l'homme et ses semblables. Une belle maturité guetterait-elle Pierre Pelot ? Ses récents ouvrages, Le Sourire des crabes (malgré les excès, il y a de fortes scènes sur le dernier et le plus tenace des crimes d'amour : l'inceste), Les Barreaux de l'Eden (avec Transit, tous trois ont paru en 1977), et certains de ses anciens, Mais si les papillons trichent, Et puis les loups viendront, La Septième saison, font la preuve irréfutable d'un écrivain qui s'affirme à la fois par son ton (brûlant, nerveux, ultra-violent, mais capable d'une tendresse inouïe) et par son "message". A poursuivre ainsi son oeuvre, ce n'est qu'une question de temps avant de voir Pelot entrer dans le cercle restreint des meilleurs auteurs de SF actuels. Des meilleurs et des plus essentiels.

 

Lire

?

Depuis les locaux d'un laboratoire pyrénéen, un chercheur-cobaye est envoyé en "voyage" pour explorer ses facultés para-normales. Et soudain il disparaît, un nœud s'étant produit entre la trame de l'univers parallèle où il a été projeté et celle de Gayhirna, une planète étrange et fraternelle, sans chefs et sans lois. Mais n'est-il pas, sans le savoir, l'agent de ceux dont les libertaires de Gayhirna redoutent le retour : les anciens maîtres, partis depuis des siècles en emportant tout l'appareil du pouvoir dans leurs bagages ? Une œuvre riche et dense, due à l'un des plus doués parmi les jeunes auteurs français de S. F.

 

La Dépêche du midi

21 novembre 1978. Noé GAILLARD

Pierre Pelot, encore lui , a obtenu pour Transit le prix du meilleur roman français. Ce roman est, à mon avis, nettement supérieur en qualité et intrigue à Delirium circus. Pierre Pelot s'y attaque au problème du temps. Un thème cher aux auteurs de science-fiction qu'il traite avec originalité. Son héros est un cobaye et il réussit à nous intéresser autant à son sort qu'à celui de l'expérience. C'est un roman dont il ne faut pas déflorer l'intrigue pour lui conserver sa poésie.

 

Fiction

N° [janvier 1978 ?]. Michel JEURY

Étrange coïncidence : le très moderne Pierre Pelot nous raconte dans Transit - sous la couverture blanche d'Ailleurs et demain inédits - un voyage en utopie au-delà de la mort.

Il y a peut-être moins d'invention chez Pelot [que dans L'Étoile de ceux qui ne sont pas nés, de Franz Werfel (Laffont, Ailleurs et demain]. Mais l'invention n'est pas, n'a jamais été le propos essentiel de ce fougueux jeune écrivain, malgré quelques réussites phénoménales. Moins d'invention mais plus de vie, plus de réalisme et d'intensité. Deux bons siècles d'écart entre le style de l'un et le style de l'autre. Pierre Pelot est aussi actuel, simple, direct, que Franz Werfel est archaïque et archaïsant. Ce qui ne les empêche pas de se rencontrer d'une certaine façon, étrange et dérangeante.

Le thème des mondes d'outre-mort avait déjà été abordé par Pierre Pelot dans Les Barreaux de l'Eden et dans quelques anciens Suragne. Ici, enfin, il le maîtrise et le développe avec brio et intelligence.

Transit est construit sous la forme d'un contrepoint entre les événements vécus par le cobaye chercheur Carry Galen, à la base pyrénéenne de l'IRTE, et l'errance de l'amnésique Gaynes dans le pays de Gayhirna. En 2102, la base française de l'Institut de Recherches Télergiques Européen, est un centre isolé, à 3101 mètres d'altitude. Là, sous la direction de Lorris Erlevetchi, une thanatologue américaine, Mauree Leavskee (je ne serais pas étonné que ce soit un nom indien…), place les CCD, les Cobayes Chercheurs Doués, dans un état mental et physique voisin de la mort. Puis elle les envoie de l'autre côté. C'est le Voyage X, application des théories du Patron, Lorris Erlevetchi. "La théorie promet le voyage conscient d'une identité psychique particulière - identité Psi - en d'autres points des univers parallèles, par-delà la mort" (p. 243).

On devine très vite que Gaynes, le visiteur du Gayhirna, est la projection du Cobaye Galen dans un de ces univers parallèles. Carry Galen a subi au cours de son dernier voyage X un choc profond et les souvenirs des deux univers se mélangent dans sa tête. Ainsi Lone appartient-elle à la Terre ou à Gayhirna ? Ou aux deux ? En tout cas, nous assistons à la rencontre sur Gayhirna de Gaynes et de Lone. En compagnie de la jeune femme, Gaynes - qui est peut-être Derryan de Loccos ou peut-être un espion extra-planétaire - visite le Monde et découvre une société tolérante et libertaire qui évoque plus le Variana que la Californie astromentale de Franz Werfel. Une société sans violence établie, sans contrainte obligatoire, sans institutions, sans hiérarchie, sans chefs… ou presque. "Je suis un chef (dit Volke). Mais pas comme tu l'entends. Pas un de ces chefs malades, égarés, dont tu sembles avoir gardé une once de souvenir. Ici, pour le moment, je suis un chef, ou plutôt un responsable. Un Soignant. Je suis cela pour certains, dans leur esprit, parce qu'ils ont décidé que je le serais, pour eux,. Pour d'autres, je suis un individu sans intérêt particulier - ceux-là se sont choisis d'autres Soignants, donc d'autres chefs responsables. (…) Je suis un Soignant, et mon rôle consiste à dire à celui qui m'appelle : j'ai mal dans ta tête, je sais, je t'écoute. Soigner, aider, c'est donner, partager, c'est se donner et se partager, prendre en soi" (pp. 85-86).

La société de Gayhirna est décrite avec une grande précision. Tous les aspects de la culture et de la civilisation du Monde sont mis en lumière pour le compte de l'amnésique Gaynes, à la recherche de ses souvenirs et de son identité. Cette utopie correspond fort bien aux rêves et aux désirs plus ou moins secrets d'un jeune occidental du XX° siècle, en révolte contre le pouvoir, la hiérarchie, la technologie, le "système". Il apparaît qu'au début du XXII° siècle la situation n'a guère changé sur la planète Terre. Ce monde-là est toujours partagé entre plusieurs grands blocs continentaux, dont le bloc européen et le bloc américain. Le pouvoir, centralisé et fort, est rassemblé entre les mains de quelques hauts dirigeants, gouverneurs de provinces (les anciennes nations) et présidents-directeurs généraux des trusts énergétiques et autres. Pour ces gens-là, l'existence quelque part d'un monde utopique est inadmissible : un affront personnel.

"Je leur dirais cela (dit Erlevetchi), ils me traiteraient de cinglé, puisqu'un pareil endroit ne peut pas exister ! Puisqu'une telle civilisation, basée sur la spécificité de l'individu, sur son originalité au sein de milliers d'autres individus originaux, différents, égaux et différents, puisque cette civilisation ne peut pas exister, sans Dieu, sans maître, sans profit calculé par l'argent, sans notion de rentabilité associé au travail, sans schéma ordonné visible ! Sans autre préoccupation que le bonheur de soi dans le bonheur des autres." (p. 295). Et la découverte de Carry Galen est à l'origine du conflit qui sous-tend le récit et qui fera le malheur de Mauree et le sien.

Mais le malheur existe-t-il quand la mort n'existe pas ?

Transit n'est rien moins que le quatrième Pelot SF paru en 1977. C'est sans doute le meilleur, encore que les trois autres aient des qualités qu'on ne retrouve pas toujours dans celui-ci. Fœtus-Party (Denoël, coll. Présence du futur) est le plus court, mais le plus dense. Fourmillant d'idées, d'inventions et de trouvailles, avec un point de départ tout à fait extraordinaire, il est celui qui se rapproche le plus des grands Suragne des années passées, Mais si les papillons trichent et Vendredi par exemple… Le thème de l'univers intérieur est traité avec force et sobriété. Celui de la vie par-delà la mort, ou si l'on veut de l'éternité subjective, était seulement abordé.

Le point fort des Barreaux de l'Eden (J'ai lu), c'est la description précise d'une société de classes, dans laquelle les détenteurs du pouvoir utilisent habilement la religion qu'ils ont créée (et qui n'est pas si différente de celles que nous connaissons) pour défendre l'ordre établi et les privilèges qui en découlent. L'intérêt est admirablement soutenu d'un bout à l'autre du livre. La fin déçoit peut-être un peu. Transit apporte d'une certaine façon la réponse fondamentale qu'on ne trouvait pas dans Les Barreaux de l'Eden.

Le Sourire des crabes, c'est l'odyssée de la violence et du désespoir, en contrepoint d'une poésie nostalgique, avec cet admirable quatrain :

Polipotern a vu la lune
Polipotern a vu la lune
Elle était grasse, corne de brume
Polipotern a vu la lune…

Livre dur, haletant, qui ferait sans doute un grand film. Mais je préfère Transit, plus riche et plus paisible. Transit : le manifeste de la maturité pour un Pierre Pelot, désormais sûr de lui, de son métier et de ses idées.

Le sort de Carry Galen est presque aussi désespéré que celui de Berni C. Baher dans Les Barreaux de l'Eden, de Bledd et de Trash dans Fœtus-Party, de Cath et Luc dans Le Sourire des crabes, et pourtant, cette fois, l'optimisme l'emporte. "La mort n'existe pas, Carry" (p. 246). Après la survie illusoire des Barreaux de l'Eden, l'"avant-vie" de Fœtus-Party, voici grâce aux neurones contrebandiers (encore une idée étonnante !), l'éternité objective des identités Psi, sans cesse modelées et remodelées dans la trame des univers parallèles. Alors, qu'importe si le froid, à la fin…

Le dernier mot du roman est le nom de Lone. Lone ? Lone point d'interrogation. Carry-Gaynes rejoindra-t-il Lone dans un autre univers, humain et fraternel ? Peut-être.

Je ferai quand même deux petits reproches à Pierre Pelot. D'abord, le monde de 2102 n'apparaît pas clairement. Les Cobayes chercheurs de l'Institut de Recherches Télergiques vivent dans une base isolée, fermée, à l'écart d'une civilisation, d'une société qu'on n'a guère l'occasion de découvrir. Mais peut-être sont-elles, cette civilisation et cette société, à peu de choses près, identiques à celles que Pelot a décrites dans les trois romans précédents ?

Enfin, si le monde de Gayhirna est peint avec finesse et clarté, le moteur de l'utopie ne nous est pas montré. On nous force à admettre que c'est ainsi, que les hommes sont devenus tels que nous les voyons à travers une longue et heureuse évolution historique. Une sélection s'est faite à un certain moment. Les mauvais sont partis ; les bons sont restés. Et ça marche… A mon sens, ce n'est pas tout à fait convaincant. Il y a quelque part une lacune.

La richesse du style, l'extrême présence des personnages, la vraisemblance du décor et la vigueur des images élèvent la forme à la hauteur du fond. Transit est non seulement le meilleur des quatre Pelot de 1977 (les trois autres étant tout de même excellents), c'est aussi le meilleur Ailleurs et demain depuis un certain temps et, avec Le Désert du monde de Jean-Pierre Andrevon (Denoël) le meilleur roman français de 1977. Mais nous ne sommes qu'en novembre (au moment où j'écris ces lignes) et les jeux ne sont pas faits.

Je veux dire quelques mots du livre de Raymond Moody, La vie après la vie, comme illustration du thème que Pierre Pelot définit par cette phrase péremptoire : la mort n'existe pas. Le Dr Moody a rassemblé là une cinquantaine de témoignages d'hommes et de femmes qui ont accompli les premiers pas d'un certain "voyage X". La plupart de ces personnes ont "frôlé la mort de très près", à la suite d'accidents ou de tentatives de suicide. Elles ont même, en général, été considérées comme cliniquement mortes. Et puis la réanimation a réussi au dernier moment. Les voyageurs du quasi-au-delà ont rapporté leurs impressions et leurs visions. Fait surprenant, presque tous les témoignages concordent. Visions et impressions se ressemblent beaucoup d'une expérience à l'autre. Il y aurait "permanence d'une certaine forme de conscience chez un individu dont le corps ne remplit plus aucune fonction vitale", selon la formule du préfacier, Paul Misraki.

L'auteur de la présentation se demande : "Sommes-nous en présence d'une première preuve de la survie de la conscience après la mort du corps ?" Le Dr Raymond Moody ne prétend rien de tel. Mais c'est assez pour justifier et étayer les rêves des auteurs de science-fiction.

L'étoile de ceux qui ne sont pas nés nous raconte le monde dans cent mille ans. Transit se situe en 2102. On se rapproche. Le krach de 1979, c'est vraiment le très proche futur, un scénario possible, presque plausible pour les dix-huit mois à venir.

 

L'Année 1977-1978 de la Science-Fiction et du fantastique

Paris : Julliard, 1978.- D.G., p. 208

L'histoire : Deux mondes parallèles sont en présence : la société hiérarchisée et technocratisée du XXII° siècle symbolisée par l'Institut de recherches télergiques européennes et l'utopie de Gayhirna. Carry Galen de l'I.R.T.E. est-il l'amnésique visitant Gayhirna ?

A notre avis : Le désir d'une société libertaire est si puissant chez l'auteur qu'il fait oublier les légers défauts du roman (lenteur au début, facilité dans la construction de l'utopie) et donne au lecteur l'envie de croire que l'Utopie n'est pas utopique.

 

Le Sommeil du chien

Roman de Pierre PELOT, Kesselring éditeur, décembre 1978. Georges W. BARLOW, p. 212-213

Le Plaidoyer pour l'illusion publié récemment par Dominique Douay dans le fanzine Snake pourrait servir de commentaire à ce livre-ci, bien qu'en fait il fasse référence à Fœtus-Party et Les Barreaux de l'Eden. Ces derniers, au même titre que "le dernier bouquin de Jeury/Higon, le dernier d'Andrevon", et L'Echiquier de la création de Douay lui-même, illustrent un thème qui prolifère depuis quelques temps, "L'UNIVERS ILLUSOIRE". Transit s'inscrit en plein dans cette tendance de l'école française, qui donne chez nous à Philip K. Dick plus d'admirateurs et de disciples qu'il n'en a chez lui.

Ici la modalité est le "voyage x", qui permet à des sujets doués d'explorer d'autres univers pour le compte de l'Institut de Recherches Télergiques Européen. Mais ce dernier, financé et contrôlé par "nos sociétés industrialisées appartenant au bloc capitaliste" (Douay, dans l'article cité), ne saurait accepter n'importe quel résultat ; et, lorsqu'un "cobaye" rapporte la preuve que "toute la civilisation de la Terre s'est trompée de chemin… que le bonheur de tous et de chacun n'est pas utopique, que l'utopie n'est pas l'utopie" (p. 296), il faut absolument étouffer tout cela. Même si des dizaines de personnes non concernées doivent périr en même temps que celle qui aime ledit cobaye et qui sait qu'il a trouvé ailleurs la beauté, la vérité, la liberté et la fraternité. Même si ledit cobaye, à force qu'on lui bourre la tête de faux souvenirs, à lui qui a déjà deux vies, risque de perdre et la tête et la vie dans sa quête de ses souvenirs.

Sa quête de Gayhirna, de "Gayhirna-le-Paradis" (p. 268). Car - et je m'écarte ici de Douay - cette SF pleine de la nostalgie d'un ailleurs bienheureux assimile bel et bien l'utopie et le conte de fées tout à la fois. A l'âge d'or, la SF parlait d'or, et était anticipation, parce que l'on semblait de fait en route vers un avenir que ceux qui le faisaient, politiciens et savants, prédisaient utopique et féerique. Aujourd'hui, comme dit Douay, "double discours, double réalité" : le progrès technique promet la baguette des fées et donne la bombe, le progrès démocratique conduit à l'Eden et y met des barreaux. L'avenir est empuanti par les cadavres de nos projets, mortels aux deux sens du terme. Alors, quand elle se lasse de contempler devant des rêves tournés en cauchemar, la SF regarde à côté. Du côté de la Perte en Ruaba et, non loin de Gayhirna.

 

Catalogue des âmes et cycles de la S.F.

Paris : Denoël, 1981, nouv. éd. rev. et augm.- (Présence du futur; 275). Stan BARETS, page 224

Au XXII° siècle, l'utopie n'est-elle pas utopique ? A-t-elle encore sa place dans une société hiérarchisée et technocratique ?

 

A&A infos

N° 85, juin 1983. Rémy GALLART, p. 116

Transit, lui, était une parenthèse dans l'œuvre de ce Cassandre de la SF. Une parenthèse douce amère. Le prix reçu a été la manifestation désespérée d'un jury qui connaissait son Pelot sur le bout des doigts et qui savait que le roman n'était qu'une virgule dans un océan de mots déchirés, vomis par un écrivain peu rassurant. Ou peu rassuré. En tout cas, cette parenthèse doit se consommer avec mesure, comme un bon vin retrouvé au milieu d'une cave de vitriol. A moins que... Et si l'on s'était trompé ?

 

A&A infos

N° 85, juin 1983. André-François RUAUD, dans son billet d'Humeur, page 125

Gloire à Goimard ! Pourquoi ? Pour avoir réédité ces derniers temps Transit de Pierre Pelot, un des romans les plus importants de son auteur (et ayant une place bien à part dans son oeuvre), et qui avait été scandaleusement enterré par son propre éditeur (ha, ces magouilles éditoriales aberrantes...); et Guêpe d'Eric Frank Russel [...].

 

La Liberté de l'Est

14 février 1995. Raymond PERRIN

Pierre Pelot : un maître reconnu de la science-fiction et du fantastique français

[...] L'utopie réalisée ou la société anarchiste libertaire

Transit montre l'utopie réalisée, incarnée dans la société de Gayhirna ! Mais pour subsister, le malheureux Carry Galen doit accepter la falsification de la mémoire et du passé, oublier sa découverte du pays de l'anarchie pacifique et heureuse que n'admet pas la société hiérarchisée et technocratique du XXXIIIème siècle. Le Centre pyrénéen de recherches de l'IRTE nie cette sorte de pays de Cocagne libertaire où s'éveille Gaynes, (le double de Galen), remettant en cause la force, la centralisation et l'autorité, et le chef truquera le rapport. L'utopie demeurera à jamais utopique [...].

 

 

30 juin 2004. Raymond PERRIN

L'utopie est-elle utopique ?

De Transit, les auteurs de La Littérature en France depuis 1968, parue chez Bordas, résument-ils bien l'essentiel en affirmant que "l'anti-utopie fait pièce à l'utopie" ? Ne faut-il pas plutôt prendre le risque de renverser la perspective en mettant en évidence le désir qu'à Pelot de montrer l'utopie réalisée, incarnée dans la société de Gayhirna dont les structures sont soigneusement exposées ! Il est vrai qu'avant d'y parvenir, le "héros" pelotien vit dans l'amnésie, le mensonge, la vie inauthentique. S'il veut subsister, le malheureux Carry Galen doit accepter la falsification de la mémoire et du passé, oublier sa fabuleuse découverte. La société hiérarchisée et technocratique du XXXIIIe siècle ne saurait admettre l'existence hérétique d'un monde "libertiste", pays de l'anarchie possible, pacifique et heureuse. Deux plans fort éloignés, dans tous les sens du terme, sont les théâtres de l'action dans Transit : Dans les Pyrénées siège le "Centre de recherches de l'IRTE", travaillant pour le compte de gouvernants puissants. Bien loin de ce temps et de cet espace, il y a Gayhirna, sorte de pays de Cocagne de l'ataraxie libertaire dont l'existence, bien sûr, ne peut être que niée par le "Gouvernement"…, à moins qu'il n'en réserve le seul usage à quelques privilégiés.

C'est là que s'éveille Gaynes avec l'impression de sortir d'un naufrage et de souffrir d'amnésie. Considéré comme un voyageur égaré, il est pris en charge par Stin Volke, l'homme qui l'a trouvé, puis par Lone, une fille qu'il aime de plus en plus au fil des jours, tout en découvrant le monde anarchiste de Gayhirna. Il accepte de l'accompagner dans son village où on lui enseigne l'histoire et la civilisation libertiste du pays. Pendant ce temps, dans la base de "l'I.R.T.E.", Carry Galen, le "Cobaye-Chercheur Doué", se repose d'une séance d'introspection, d'un étrange et dangereux voyage. Son patron, Lorris Erlevetchi, assure sa collaboratrice américaine Mauree Leavskee que ce Voyage X, par delà la mort, est un échec dont Galen doit supporter les frais, tandis que Mauree est contrainte de rentrer en Amérique. Mais Erlevetchi a menti.

Il ment encore en faisant croire à Galen, choqué parce que les souvenirs de deux mondes se mêlent en lui, aux délires psychotiques de Mauree que l'on fait bientôt passer aux yeux de tous pour une espionne !

Thanatologue de profession depuis huit ans dans ce centre, elle a été obligée de placer Carry dans un état mental critique, de l'endormir. Elle le lui dit, car elle l'aime, pour qu'il tente de "se réveiller" et de se souvenir. Quand la mémoire lui revient, désemparé, il voudrait "sortir de la nasse". Il ne reverra jamais Mauree, morte dans un accident de téléphérique. En fait, Carry (ou Gaynes) erre dans deux mondes parallèles d'autant plus inconciliables que sa découverte provoque bien des remises en cause et des conflits chez ses supérieurs. Il a effectivement rencontré un peuple amical, pacifique et anarchiste et c'est pourquoi Erlevetchi va modifier le rapport du voyage. Les informations ramenées ne pouvaient intéresser les puissances commanditaires, peu soucieuses de la conquête d'une " Utopie ", sans chef, sans premier ni dernier ! Comment le pouvoir central de l'an 2102 pourrait-il tolérer ce qui remet en cause toutes les bases d'une société qui continue à fonctionner par la force, la centralisation et l'autorité ? Erlevetchi est convaincu que "la civilisation ne peut exister, sans Dieu, sans maître, sans profit calculé par l'argent, sans notion de rentabilité associée au travail, sans schéma ordonné visible !". Ainsi l'utopie demeurera-t-elle plus utopique que jamais… sauf, peut-être pour le "cercle amical électif" des élites dirigeantes !

 

Page créée le dimanche 26 octobre 2003.