Le Pantin immobile

 
 
 

Date et lieu

Vers 1976, à Saint-Maurice-sur-Moselle, dans les Vosges.

Sujet

Dans un train de marchandises, en clandestins, Lorrain et Sergio partent pour l'Italie. Pour l'Italie ? C'est ce que croit Sergio. Mais Lorrain n'a entraîné son compagnon dans ce voyage que pour revenir dans son village natal des Vosges.

 L'abandonnant dans une petite gare, Lorrain retrouve ses amis qui l'accueillent à bras ouverts. Onze ans ! Onze ans déjà qu'il est parti faire son "tour du monde". Pour Sergio, au contraire, ce voyage sera celui de la découverte d'une déchirante vérité.(4ème de couverture, 1976).

La petite histoire... Adapté pour la télévision en 1984 par Michel Guillet.

 

Édition

Photo de Pierre Pelot par Roger Boquié.

  • 1ère édition, 1976
  • Paris : L'Amitié-G.T. Rageot, 1976 [impr. : 14/05/1976].
  • 21 cm, 216 p.
  • Illustration : Roger Boquié (photo de couverture représentant Pierre Pelot).
  • (Les chemins de l'amitié ; 18).
  • ISBN : 2-7002-0089-6.
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    Première page

    Lorrain était assis par terre, le dos calé dans un angle du wagon. Il avait chaud : des gouttes de transpiration coulaient de son front, puis le long de son nez, pour tomber enfin, régulièrement, dans l'échancrure de sa chemise ouverte ; parfois sur ses mains, ou sur la toile râpée de ses jeans, au gré des cahots. De temps à autre, Lorrain s'essuyait le visage d'un revers de bras, mais c'était rare, et quand il le faisait, le geste était lourd, sans force, vaincu d'avance.

    Essayer de lutter contre cette chaleur d'un implacable ciel bleu était une tentative désespérée.

    A un moment, Lorrain avait retiré ses sabots de cuirs ; c'était quelques instants après que le train eût quitté la gare d'Épinal. Ses pieds nus, marbrés de poussière gluante, étaient posés à plat sur le plancher métallique du wagon ; parfois, il les bougeait, les déplaçait de quelques centimètres, laissant sur la tôle des empreintes humides que la chaleur buvait en un rien de temps.

    Il était assis, les genoux relevés et ses bras posés dessus, tenant d'une main, ou bien de l'autre, le goulot de la bouteille de vin, entre ses jambes écartées. Le bas de son pantalon, sans ourlet, effrangé, battait sur ses chevilles en cadence. Le vin dansait dans la bouteille.

    Sur le plancher de fer du wagon, cabossé et rayé, de la poussière, de la sciure et des éclats de bois formaient, sous la poussée des vibrations incessantes, des figures et des dessins fugaces. Des géométries folles en constante métamorphose.

    Le wagon était une simple caisse, à ciel ouvert. Des parois de grosses planches, sur armature de fer, qui exhalaient dans la chaleur assassine un mélange d'odeurs imprécises, mais dans lequel on pouvait isoler le goudron et les senteurs résineuses oubliées par d'anciens chargements ; la sciure vibrante était une autre preuve de ces cargaisons forestières. Tantôt, le wagon tout entier se chargeait de soleil ; tantôt, des tranches d'ombres portées par l'une ou l'autre des parois essayaient pour un temps de créer la fraîcheur : cela dépendait de la marche du train.

    Le staccato des roues sur leur chemin d'acier s'était progressivement fait une place ans la tête de Lorrain. Une habitude, avec la chaleur, les odeurs. Et le vin.

    - Quelle heure il est ? clama Sergio.

    Il était assis à quelques mètres de là, non pas dans un angle, comme Lorrain, où il aurait pu se stabiliser de façon à peu près confortable, mais simplement adossé à la paroi. Au centre approximatif de la longueur du wagon. De toute façon, il allait certainement bouger bientôt, et changer encore de position. Il ne faisait que cela, ne tenait pas en place depuis le départ du train. Il avait fait les quatre coins, sauf celui qu'occupait Lorrain une fois pour toutes, usant son dos sur tout le périmètre du wagon, poussant des incursions multiples et téméraires dans tous les azimuts de la surface centrale, et défiant ainsi, avec un certain bonheur parfaitement incompréhensible, les lois de l'équilibre. En plus du balancement cahotique qui faisait danser tout le wagon, Sergio avait deux litres de vin dans l'estomac. Il avait décidé que ce voyage, depuis si longtemps attendu, devait être une fête.

    Il répéta, un ton plus haut dans le vacarme, et avec une pointe d'impatience :

    - Quelle heure il est ?

     

    Prix littéraire

    Sélection 1000 Jeunes lecteurs 1977.

    La "Sélection 1000 Jeunes lecteurs" (pour sa cinquième année) a été proclamée à Nice le 11 mai 1977, dans le cadre du Festival International du Livre.

     

    Épigraphe

    A couper toutes les ficelles
    J'immobilise mon pantin
    Déjà ma danse n'est plus celle
    Que me proposait le matin

    Ci-gît déjà la marionnette
    Avant d'avoir bougé les mains
    Mentir ainsi était honnête
    Et devrait l'être aussi… demain

    (Gilles Vigneault).

     

    Revue de presse

    Bulletin des Éditions de l'Amitié

    N° 18, mai 1976

    L'auteur : Pierre Pelot contribue pour une bien large part depuis des années déjà, au renouveau de la littérature de qualité pour la jeunesse. Chacun de ses nouveaux romans est très attendu, que ce soit par les jeunes lecteurs ou par les adultes qui s'intéressent à son oeuvre, bibliothécaires, enseignants, critiques.

    L'ouvrage : Dans un train de marchandises, en clandestins, Lorrain et Sergio partent pour l'Italie. Pour l'Italie ? C'est ce que croit Sergio. Mais Lorrain n'a entraîné son compagnon dans ce voyage que pour revenir dans son village natal des Vosges. L'abandonnant dans une petite gare, Lorrain retrouve ses amis qui l'accueillent à bras ouverts. Onze ans. Onze ans déjà qu'il est parti faire son "tour du monde".

    Pour Sergio, au contraire, ce voyage est celui d'une cruelle désillusion quand il retrouve Lorrain, à la fête de la Saint-Jean. Leur explication ne pourra qu'être brutale et dramatique.

    Les raisons de notre choix : Un remarquable roman de Pierre Pelot en pleine possession de son talent. Une lecture passionnante où l'on retrouve tous les thèmes chers à l'auteur : l'amitié, les jeunes et la société, la recherche de soi, la difficulté de choix et de communication.

    Autour du livre : Qu'est-ce qu'un roman ? Le Pantin immobile est une base idéale pour une discussion sur ce thème. Le voyage, l'aventure. La "réussite". L'amitié et la confiance. Le mensonge, ses causes sociales. Les marginaux.

    Annexe : Ouvrage traduit en allemand.

     

    Le Havre libre

    Le Havre, 7 juillet 1976

    Pierre Pelot contribue pour une bien large part depuis des années déjà, au renouveau de la littérature pour la jeunesse de qualité. Chacun de ses nouveaux romans est très attendu que ce soit par ses jeunes lecteurs ou par les adultes qui s'intéressent à son œuvre, bibliothécaires, enseignants, critiques.

    Dans un train de marchandises, en clandestins, Lorrain et Sergio partent pour l'Italie. Pour l'Italie ? C'est ce croit Sergio…

    Un remarquable roman (pour les jeunes à partir de 13 ans) de Pierre Pelot en pleine possession de son talent. Une lecture passionnante où l'on retrouve tous les thèmes chers à l'auteur : l'amitié, les jeunes et la société, la recherche de soi, la difficulté de choix et de communication.

     

    Notes bibliographiques (Culture et bibliothèques pour tous)

    N° 9, novembre 1976, p. 1059

    Lorrain (30 ans) et Sergio, deux compagnons d'aventure, se dirigent vers l'Italie en empruntant clandestinement des wagons de marchandises. Du moins c'est ce que croit Sergio, l'Italien, le plus âgé des deux. Profitant du sommeil profond où le vin a plongé son ami, Lorrain descend du train dans une petite gare de l'est, proche de son village natal. Accueilli comme un héros, il fait le récit de ses voyages imaginaires. Sergio dégrisé, seul, comprend peu à peu la cruelle vérité : Lorrain l'a abandonné. Grâce à un jeune couple, le vieil homme retrouve la trace de son compagnon, mais il tient à lui faire payer cher sa trahison...

    Le titre du livre est inspiré d'une chanson de Gilles Vigneault qui caractérise bien les vagabonds d'aujourd'hui. Lorrain quitte son pays pour voyager à l'étranger, mais il n'ira pas plus loin que le Morbihan. Déçu par la réalité qui a éteint ses rêves, il devient instable, incapable même d'être fixé par un amour mais capable de renier une amitié. Le héros est très bien cerné par l'auteur qui fait aussi un portrait juste et émouvant de Sergio, le vieil homme ignorant, confiant jusqu'à la naïveté. Dans l'ombre de ces deux personnages, les jeunes amoureux qui voudraient eux aussi partir, mais le garçon ne peut sauter le pas - sont vraisemblables. De ce roman où l'on retrouve les thèmes chers à l'auteur : la quête de "l'ailleurs", le besoin d'aventure des personnages à la recherche de leur vérité, se dégage une grande chaleur humaine. Il semble cependant que le thème doive intéresser davantage les adultes ou les grands adolescents que les moins de 15 ans.

     

    L'École des parents

    Paris, N° 9, novembre 1976, page 74

    Lorrain et Sergio roulent en clandestins dans un wagon de marchandises. Pour Sergio, l'Italie est au bout... mais pour Lorrain elle n'est qu'un prétexte pour retrouver le pays natal, le village, les copains. Il est reçu comme celui qui "a fait le tour du monde"... c'est l'euphorie, une euphorie qui lui coûtera cher car elle remettra Sergio sur ses traces, un Sergio aveuglé par le désespoir d'avoir été trahi, lâché ! Pelot qui a si souvent traité le thème de la rencontre de deux destins, prend ici le contre-pied : la séparation. De livre en livre, son style s'épure... c'est toujours le mot exact qui tombe à la place exacte. Un grand livre, émouvant, dans lequel pour la première fois Pelot fait découvrir sa maison, les siens et lui-même, et du même coup, tient son rôle. Il faut lire à petit coup, pour déguster... comme le vin des grandes cuvées.

     

    Littérature de jeunesse

    Bimestriel, t. 4, N° 251/3, 6 novembre 1976

    Rixe banale dont il ne reste qu'un pantin immobile ? C'est plus que cela et on pourrait dire qu'il en reste deux, car le meurtrier interroge son bourreau : "Qu'est-ce que je vais faire, maintenant, hein, Lorrain ?" C'est la confiance du "naïf" trompée par l'aventurier mythomane qui l'a abandonné. Et puis le naïf en colère frappe...

    Une histoire très dure qui se rapproche, en plus dépouillé au point de vue style, du Pelot première manière, dans le cadre cette fois des Vosges. Finalement, plus pour adultes que pour adolescents. Des réserves sont à émettre ici encore au sujet des films et lectures proposés en fin de volume.

    A partir de 15 ans selon la maturité.

     

    Page créée le samedi 25 octobre 2003.