C'est la fin d'une histoire, celle d'une famille de riches industriels ruinés. Restent le domaine, la maison familiale et son parc, dans les Vosges, et les derniers représentants de la famille : Maman Jojo, son fils Babar, surdoué et obèse, et Marie-McDo, d'humeur sombre et de moeurs légères.
Marie exerce ses talents le long de la Voie Verte, auprès des hommes en mal de tendresse. Babar, lui, s'est cloîtré dans l'ancienne chapelle, pour mettre au point Madame Wells, la machine qui lui permettra de corriger le destin familial.
Or, voilà qu'un jour on dit que Marie fait des miracles. On le dit, et elle ne dément pas. L'idée se répand même qu'elle serait la réincarnation de Marie-Madeleine, la sainte putain des Ecritures. Le genre de choses qui draine à grande vitesse tous les branques du secteur. Parmi lesquels un certain Ange, que la nouvelle, dans le journal, a fait bondir de sa chaise...
L'Ange étrange et Marie-McDo marque un sommet dans l'oeuvre de Pierre Pelot, écrivain prolifique à l'imaginaire aussi envoûtant qu'inépuisable. Emouvant et drôle, glaçant aussi parfois, il dissimule derrière les apparences des secrets qu'on ne saurait soupçonner jusqu'à la dernière page. (4ème de couverture, 2009).
Abel n'aurait jamais su dire si le gamin à croupetons à l'extrémité de la grume, au sommet du tas, se trouvait déjà là quand il s'était arrêté sur le petit espace de stationnement qui s'inclinait vers le fossé, à la sortie du dernier virage.
Probablement pas.
Il l'aurait remarqué.
Mais il ne l'avait pas davantage vu grimper sur son perchoir. Tout à coup, le gamin s'était trouvé là, piqué sur la plus haute extrémité du tas de troncs, au pied du talus. A ne rien faire d'autre, juste perché. Du fait de la position en contrebas du tas de grumes, il se trouvait à peine plus haut que le niveau de la route, comme une espèce de sauterelle verte à longues pattes repliées, regardant passer les voitures.
Regardant sa voiture à lui qui ne passait pas, dont il avait même coupé le moteur, arrêtée depuis dix minutes - un quart d'heure ? - et de laquelle personne ne sortait, ni le conducteur, ni une éventuelle maman avec un enfant dans les jambes pour lui faire faire pipi. Une voiture stationnée, l'unique raison de son arrêt consistant à occuper l'espace plan aménagé à cet effet en bordure de nationale...
Et lui dedans, bras croisés sur le volant, menton posé sur l'avant-bras.
Le Soir
Vendredi 15 janvier 2010 - Pierre MAURY
La prostituée sacrée et la sacrée prostituée
Pierre Pelot nous a mitonné une cuisine relevée. L'Ange étrange et Marie-McDo est un conte de fées qui tourne à toute vitesse.
La première image entrevue par Abel est celle d'un gosse en équilibre sur un tas de grumes. Le même gosse revient dans les dernières lignes. Pierre Pelot boucle la boucle – il s'en explique ci-dessous. Entre le début et la fin, ça déménage ferme. Il règne, dans le village où Abel débarque sur une impulsion, une atmosphère trouble et neigeuse. On croise des promeneurs qui ont l'air de savoir où ils vont. Une foule de journalistes attirés par un mystère. Un Manuel Emmanuel en rassembleur plus infaillible qu'un pape. Il y a de la religion, et même de la religiosité, dans l'air…
Quelques faits incompréhensibles, et la crédulité populaire a vite fait de crier au miracle. Puis à la réincarnation. Marie de Magdala, Marie-Madeleine, celle de la Bible, la prostituée sacrée, est de retour dans le corps de Marie-MacDo, une sacrée prostituée qui a commencé par vendre du plaisir contre les fameux petits pains mous farcis. Elle n'a que faire des étranges pouvoirs qu'on lui attribue. Quant à son frère Babar, ce charivari le rend fou. Sa mère le menace même de l'obliger à ranger la chapelle du domaine pour être le digne réceptacle d'une nouvelle foi. Alors que Babar en a fait l'atelier où il construit Madame Wells, un engin qui ne ressemble à rien – mais dont Pelot fait une description magistrale –, destiné à le transporter dans le temps, pas moins.
Babar a « l'expression bloquée au 21 du trisomique » mais l'imagination fertile. Enfant surdoué, il est devenu un homme gras et obtus qui regarde les rondeurs affriolantes de Marie avec les yeux d'un assassin en puissance. Il traite sa mère en quantité négligeable. Maman Jojo, il est vrai, est moins impressionnante qu'à l'époque où son mari était le patron de la boîte où tout le village travaillait. Le tissage et la filature ont eu leur heure de gloire, dont il ne reste que des ruines, à commencer par les familles qui les possédaient, désormais ruinées.
Mais maman Jojo se voit déjà rebondir grâce à la célébrité de sa fille. Manuel Emmanuel a pris les choses en mains, Marie sera la grande prêtresse de l'amour divin et les fidèles se multiplieront autour du vaste bordel organisé en affaire qui marche.
Et Abel, dans tout cela, puisque nous en parlions d'entrée ? Ah ! Abel ! Il faudra bien des pages avant de comprendre ce qu'il est venu faire là, grain de sable en forme de bras armé de la vengeance dans une foire aux bondieuseries où les anges ont un sexe.
Pierre Pelot a l'art d'embrouiller les plus beaux projets. De rappeler les saloperies passées. De promener le regard sur des constructions branlantes et menaçantes, qu'elles soient sorties des cartons d'un architecte, de l'esprit dérangé de Babar, des rêves de Maman Jojo ou des substances illicites abondamment consommées, un temps, par Marie. L'Ange étrange et Marie-McDo est un conte de fées qui tourne mal. Mais qui tourne. Et à toute allure.
Le Républicain lorrain
7 février 2010 - Michel GENSON
Foire aux dingues
Ils ne sont pas légion, et la sensation qu’ils procurent est somme toute assez rare. Le dernier Pelot est de ces bouquins-là. Vous y entrez en vous essuyant les pieds, parce que vous êtes bien élevé. Vous vous y baladez, vaguement désorienté d’abord, dans des allées bizarres, des paysages humides, des pages baroques, farcies jusqu’à la gueule de silhouettes bancales, du gentil benêt au carrément halluciné, Et au moment précis où la question vous taraude de savoir ce que vous faîtes là, où veut vous emmener le vieux pirate qui a commis la chose, le piège se referme. Vous voilà bouclé sur votre siège, une drôle de salive dans la bouche, embarqué pour un final tout en sueur et en étincelles. Un manège de dingues dont vous descendez désarticulé, les jambes et les neurones en coton. Pierre Pelot excelle dans ce genre d’exercice, L’Ange étrange et Marie-Mc Do, sa dernière bluette en date, en est un parfait exemple.
Le coin d’abord. « Un paysage taillé dans le gris et les couleurs froides, au couteau et à grands coups de brosse d’estompe, un ciel effondré jusqu’à mi-pente des montagnes sombres. » L’Office du Tourisme local doit bicher.
Viennent ensuite les protagonistes. De drôles de gaillards et d’aimables gueuses. Manuel Emmanuel et sa cohorte de sectaires allumés d’abord, puis les membres de la famille Gravier, bel exemple de fin de race patronale, rayon textile. Monsieur est défunt, reste (dans le désordre) Maman Marie-Jo, chancelante sur ses « chevilles violacées et cylindriques, cernées de bourrelets », notre héroïne Marie, dite MacDo, qui a longtemps fait du bonheur aux hommes dans les bosquets du coin, et du coup se retrouve promue au rang de réincarnation de sainte Marie-Madeleine – d’où le zèle de ses adorateurs déjà cités. Et surtout Babar, l’aîné obèse et surdoué, qui bricole Madame Wells dans la chapelle du château. Entendez qu’il s’escrime à mettre au point, à partir d’une dameuse mécanique, une machine à remonter le temps, avec « carapace couverte de mille dards, pointes et protubérances de toutes sortes ». Ce dans un foutoir mécanique indescriptible, sinon par l’auteur.
Ajoutez à tout cela un ange étrange bien sûr, mais aussi des rumeurs, des remords, des haines et de terribles secrets d’enfance. Des friches noires, des flots de vengeance rouge sang. Pelot puise dans ses Vosges natales des histoires sauvages, des contes de la folie extraordinaire. Il y met toute la science d’une écriture arrivée à pleine maturité, aussi efficace dans les ralentis cinématographiques que dans les moments effrénés. Le lecteur, pour le coup téméraire, sort de là pantelant, méchamment secoué.
L'Alsace
4 juin 2010 - Jacques LINDECKER
Emotion - Les rocailles, les fantômes et les taiseux
En deux livres, un roman et récit, Pierre Pelot raconte sa terre, ses racines : les Vosges. Le pays des histoires arrachées au bec des corbeaux.
Première partie de cet article : voir la page consacrée à La Montagne des boeufs sauvages
Toujours prolifique, Pierre Pelot ne saurait se contenter d’un seul livre par semestre d’édition. Nous voici au cœur des Vosges, encore, mais pour un roman. L’Ange étrange et Marie-McDo (ce titre, quand même…) raconte, sur fond de vengeance longuement ruminée, la décadence d’une dynastie de riches industriels ruinés. De sacrés zèbres : Maman Jojo, le fils Babar, surdoué (il met au point Madame Wells, une machine à arranger tous les problèmes de la famille…) et obèse, et Marie-McDo, fille facile mais d’humeur difficile… et qui saurait faire des miracles. Le CV de la Vierge Marie, revu et corrigé. C’est du Grand Guignol, jubilatoire et d’une rare noirceur. C’est mené à un train d’enfer, passant à la moulinette un monde de faux-semblants et de petits pouvoirs que Pelot exècre, comme s’il voulait évacuer par le roman tout ce qui salit sa magnifique terre.
Page créée le lundi 25 janvier 2010. |