Les Normales saisonnières

 
 
  • Pierre Pelot
  • 2007 | 166ème roman publié
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Date et lieu

Vers 2007, dans les environs de Douarnenez.

Sujet

C'est vrai qu'il se passe quelquefois des choses insensées et qu'on ne comprend pas. Des choses en dehors des rails, à côté de la normale, au-dessus, en dessous... De la neige en juillet, ça s'est vu. Des presque canicules en janvier. Comme un grand bordel dans les normales saisonnières.

Pont-Croix, petite ville bretonne des environs de Douarnenez. Datier y est venu hors saison se promener le long de la côte, plus particulièrement entre la pointe du Van et celle du Raz. Un homme paisible, en apparence. Mais avec une arme au fond de son sac, il risque de mettre le feu aux poudres.
Itinéraire enigmatique d'un chasseur ? Tempête sous un crâne ? Expert en scénarios implacables, Pierre Pelot aime à brouiller les pistes. Dans un climat de vrai faux roman criminel, il dose le suspense et défie le rationnel. Ses Normales saisonnières repoussent les limites de l'écriture pour sonder l'inconscient au plus près.
Et si le passé resurgi tuait plus sûrement que les balles ? (4ème de couverture, 2006).

 

Éditions

  • 1ère édition, 2007
  • Paris : éditions Héloïse d'Ormesson, septembre 2007.
  • 20,5 cm, 222 p.
  • Illustration : Photonical (c) Getty Images (couverture).
  • ISBN : 978-2-35087-061-8.
  • Prix : 19 €.
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    Première page

    La gamine aux yeux luisant de larmes posa sa main ouverte sur le combiné et cria au garçon :
    - Vas-y ! Appelle-le ! Dépêche-toi !
    Puis retira sa main :
    - Allo ? Oui, Fabi est parti le chercher, je sais pas où il est, il était dehors, dans le jardin, tout à l'heure... Tu reviens quand ?

    Couché sur le lit défait il regardait le plafond.

    Le soleil de cette dernière semaine d'août n'empêchait pas une certaine fraîcheur, apparue dès le milieu du mois. Des barres de lumière horizontales traversaient la chambre de part en part, glissant par les fentes des volets fermés. À l'évidence le lit n’avait pas été refait depuis un moment, les draps froissés tirés sur un côté découvrant une partie du matelas, l'oreiller au sol et la couverture repoussée au pied.
    La cendre de la cigarette tomba quand ses doigts frémirent et il écrasa le mégot dans le couvercle métallique trop plein qui faisait office de cendrier. Le geste mit à mal l’équilibre du couvercle sur les draps entortillés, un peu des cendres se renversèrent.
    Des vêtements étaient éparpillés sur la moquette, des cannettes de bière, plusieurs bouteilles de whisky et autant de Tequila Gold,avec en vrac, à portée de main à la tête du lit, les boîtes et flacons de tranquillisants. De plusieurs sortes. La carabine posée sur le lit, à côté de lui, canon vers le haut. Une réplique .22 de Winchester.
    Le gamin montait lourdement l'escalier, criant « P'pa ! P'pa ! P'pa t'es là ? T'es où, P'pa ?» et il y eut un choc contre la porte qui s'ouvrit à la volée, avec le gamin comme pendu par un bras à la poignée et qui demeura dans cette posture, sa bouille ronde radieuse, évidemment barbouillée de toutes sortes de traces de terre et de salive et de confiture, qui s'exclama comme s'il avait voulu se faire entendre à plusieurs centaines de mètres à la ronde :
    - Elle est au téléphone, P'pa ! Julie-Marie dit qu'y faut que tu viennes, viiiite !
    Et le gamin vit la carabine sur le lit et son expression réjouie tomba net. Il se redressa sur le lit et demeura assis un instant, les yeux clos pour amortir les effets du tournis provoqué par le brusque redressement, rouvrit les paupières. - Ça va, dit-il d'une voix cassée. Ne t'inquiète pas. Ça va bien.
    Il balança ses pieds nus par-dessus le bord du lit et ce faisant shoota dans la bouteille de J .B. qui valdingua. Il se leva, attendit quelques secondes, bras écartés, mains ouvertes pour saisir et stabiliser son équilibre.
    - Ça va, dit-il. Ça ira.
    Hochant la tête en direction du gamin qui eut un pâle sourire, lâcha la poignée de porte et s'écarta pour le laisser passer.

     

    Revue de presse

    Le Monde

    7 septembre 2007. Josyane SAVIGNEAU

    Pierre Pelot, un mystère en Bretagne

    Pour en finir avec cet été bien au-dessous des normales saisonnières, rien de tel qu'un roman à l'anormale étrangeté. On sait qu'il y a plusieurs Pierre Pelot, celui de grandes fresques romanesques à travers les siècles, celui de la série Sous le vent du monde, en collaboration avec Yves Coppens, celui qui écrit de la SF et des polars décalés, celui de son autobiographie détournée, Méchamment dimanche. Mais on s'attendait peu à retrouver en Bretagne ce Vosgien qui vit toujours dans son village natal, à le suivre dans ce drôle de voyage près de l'océan, sur des plages désertées par les touristes et battues par les vents, qu'il a appelé Les Normales saisonnières.

    Avant même d'ouvrir le livre, on pressent, voyant sur la couverture un escargot perché au sommet d'un bocal en verre, qu'on va se retrouver, ou se perdre, dans une atmosphère à la Patricia Highsmith, dont le goût pour les escargots, et même les élevages d'escargots, est bien connu. On ne sera pas déçu. Jusqu'à la dernière ligne, et même après avoir refermé le livre, tout demeure énigmatique. On est tantôt du côté de Corto Maltese - il est parfois question, allusivement, de dessins et de BD -, tantôt dans l'immobilité angoissante de Highsmith, où l'on pressent le drame, sans savoir quand l'événement va se produire.

    A la toute fin, si l'on se reporte au début, on peut peut-être prendre l'hypothèse qu'on vient de lire simplement un récit dans le récit, une tempête sous un crâne, un livre ou un scénario écrit dans sa chambre, et pas nécessairement en Bretagne, par le héros, Cochise Datier, dont on sait qu'il est un écrivain et un scénariste, auquel on reproche volontiers ses « scénarios à deux balles ». Mais rien n'est sûr et on s'en moque, ce livre n'est pas un rébus qu'il faudrait décrypter, c'est une très belle dérive, un mystère breton.

    Cet homme au bizarre prénom, Cochise, vient passer quelques jours dans un hôtel, près d'Audierne. Il est seul, il lit, un peu, et marche, beaucoup. Il observe, en silence, les paysages, les rares promeneurs, les animaux. A droite de l'anse longuement dépliée en arc, du côté de la barre chaotique du cap des Vans, une bande de goélands patau geaient à la pêche dans les fanges frémissantes de l'eau roulée et déroulée. Il ne se sépare jamais de son sac, qui contient un revolver chargé.

    A l'évidence, il n'est pas là par hasard. On ne sait pas trop pourquoi il arpente la plage interminable et droite jusqu'à l'avancée rocheuse, très loin là-bas, à plus de deux kilomètres. Les rouleaux se suivaient et claquaient avec un bruit mat et de grands froissements. Mais, dans le village, il semble faire des repérages, s'intéresser particulièrement au numéro 9 d'une rue. Ses déambulations sont entrecoupées de dialogues (imprimés en italique) avec un autre homme - à moins que ce ne soit avec lui-même. Propos vindicatifs. Il est question d'une femme, celle de Cochise probablement, qui a disparu. Serait-elle partie avec cet homme, qui finalement a un nom, Marco - et habite au numéro 9 - pour ne jamais revenir ? Le pistolet est-il l'arme qui va tuer Marco ?

    On le saura peut-être, ou pas, tout dépend de la façon dont on veut lire ce livre. Ce qui est certain, c'est qu'on ne peut pas détacher ses pas de ceux de ce singulier Cochise, qui s'attache à tous les détails, fait de beaux portraits de femmes, veut sauver une fille qui tente d'échapper à son protecteur, se lie en silence avec la patronne de l'hôtel : A l'évidence, elle paraissait discrètement le trouver digne sinon d'intérêt en tout cas de curiosité, tout simplement intriguée par ce client solitaire venu passer ici quelques jours de repos et de «changement d'air» qu'il consacrait à la lecture et aux promenades, son éternel sac à dos porté à l'épaule par une seule bretelle.

    Qui ment ? Qui raconte des histoires ou se raconte des histoires ? Peu importe, il faut accepter qu'il se passe quelquefois des choses insensées et qu'on ne comprend pas. Des choses en dehors des rails, à côté de la normale, au-dessus, en dessous... (...) Comme un grand bordel dans les normales saisonnières. La vérité est celle de ce roman, celle de cet homme hanté par cette femme-là comme aucune autre, unique au monde, que j'aimais et qui m'aimait. Elle a disparu. Est-elle morte, ou ce récit va-t-il la faire revenir ?

     

    Télérama

    N° 3017, 10 novembre 2007 - Michel ABESCAT

    Les Normales saisonnières ***

    On dira, en premier lieu, l'essentielle étrangeté de ce très beau roman, l'un des plus réussis de cet automne, son mystère immobile à la Patricia Highsmith, la qualité de sa langue, d'une blancheur incandescente. Pierre Pelot joue sur le ralenti, la finesse des détails, un sens machiavélique de la construction pour installer une atmosphère de menace étouffée, où rien n'est jamais sûr, sauf le drame qui peut surgir à tout instant. Le décor d'abord. Une Bretagne hors saison, entre la pointe du Van et celle du Raz, solitaire et tourmentée par le vent de novembre, rendue à sa sauvagerie naturelle. Pelot possède, plus que tout autre, l'art de faire sentir la présence des paysages, d'en faire vibrer les sons et les couleurs jusqu'à rendre angoissante la respiration de la mer. Sur la plage arrive un homme, la cinquantaine. Il marche d'un pas qui n'est pas exactement celui d'un promeneur occasionnel. Dans son sac, on l'apprendra plus tard, il porte un revolver. Ses pérégrinations paraissent aléatoires - quels souvenirs le rattachent à ces lieux ? Seul élément précis, une adresse : 9, rue du Goyen, une maison autour de laquelle il ne cesse de tourner.

    Pierre Pelot organise le contraste flou/net avec une maîtrise redoutable, tandis que le récit progresse irrésistiblement sur deux mouvements contraires. Celui de cet homme solitaire et monomaniaque, obsédé par une vengeance dont le visage se révèle peu à peu. Et celui du passé qui envahit lentement le livre à travers une conversation montée en parallèle, dont le ton se fait de plus en plus violent. Le livre refermé, certains mystères demeurent, inébranlables, sur la personnalité de son héros, sur la réalité des événements relatés, et l'on se surprend à le relire immédiatement : comment ce diable de Pelot s'y est-il pris pour nous intriguer ainsi ?

     

     

    Page créée le samedi 2 février 2007.