Ils m'ont appelée la Rouge Bête. Ce n'était pas méchantement. C'est Esdeline Favier, née en 1733 aux Ordons du Haut, qui parle. Elle va nous entraîner de ses Vosges natales aux Amériques, non sans revenir sur les rives de la Moselle. Tour à tour bergère, pirate, cavalier, planteur, la Rouge voguera sur un roulier de nègres, prendra les armes, hissera le pavillon noir, libérera des esclaves de Sénégambie, toujours habitée par une même rage, une même passion sauvage.
L'Ombre des voyageuses flamboie d'un soleil qui illumine l'intérieur des êtres et des choses pour en faire un roman d'aventures au féminin illustrant le bonheur et la tragédie. Une histoire comme seuls Alexandre Dumas ou Jules Verne ont pu en concevoir, portée par un souffle épique et d'une écriture remontée du coeur de la mer. (4ème de couverture, 2006).
Ils m'ont appelée la Rouge Bête. Ce n'était pas méchantement.
Depuis qu'Emeline au bord de ses six ans les avait lues, perchées en haut de la page couverte d'une écriture ronde appliquée, au craion pâli, les deux phrases lui tenaient compagnie, accrochées pour jamais à l'en-tête de ses pensées quotidiennes.
C'étaient des feuilles de papier de mains inégales, vergé de Hollande pour la première grande partie et vélin pour un dernier tiers, dont certaines portaient les traces de bien fortes fatigues et aussi de dommages d'éraflures et de déchirures sur leur pourtour, de pliages qui avaient amputé certains mots. Le manuscrit avait près de deux pouces d'épaisseur, serré dans une couverture souple de parchemin encollé sur un galuchat roussâtre, fermée par des rubans sur chacune des tranches. Emeline savait lire depuis peu et sa gourmandise pour la chose ne faisait que s'épanouir au fur des jours. Tout ce qui lui tombait sous les yeux, imprimé ou écrit à la main, était bon à dévorer gloutonnement.
Les phrases ne l'avaient pas quitté, ni le souvenir du moment de leur rencontre, dans cette pièce de la grande maison qui serait ce que M. Forestier appelait « notre bibliothèque », pour l'heure encore fleurant l'essence de bois blanc, les colles et vernis, aux rayonnages fort peu garnis. La plupart des livres ramenés de France se trouvaient toujours dans des caisses entassées, en guise de meubles, au centre de la surface de parquet roux.
Un après-midi tellement chaud de juillet. Vacillante de chaleur, en chemise et les pieds nus, cherchant le chat Pompon qui d'ordinaire partageait sa sieste et qui ce jour manquait au rendez-vous, elle avait poussé la porte entrouverte, était entrée dans la pièce gorgée de silence et de cette poudreuse lumière que tamisaient les lamelles des hauts volets étroits tirés. A peine franchi le seuil, Emeline avait été saisie par cette sorte de magie qui baignait l'endroit, son cœur s'était mis à battre plus fort. Des mouches comme des étincelles dorées passaient et repassaient dans les zébrures de soleil que les interstices traçaient de part et d'autre de la pièce. Du dehors lui venait, assourdie, une lointaine conversation, dans le jardin, entre Joseph le jardinier et ses garçons - ou d'autres personnes, mais elle reconnaissait la voix et le ton nonchalant de Joseph.
Elle avait fait un pas et les lames du parquet posées depuis moins de deux mois avaient émis un petit gémissement de surprise. Pour une très mystérieuse raison, Emeline s'était sentie traversée par une sorte de vertige, comme quand on a tourné tourné tourné sur soi-même en écartant les bras et en fermant les yeux, qui pouvait aussi n'être pas très éloigné du bonheur. Traversant la pièce à pas lents, dans la pénombre douce - Pompon avait surgi tout à coup de nulle part, assis sur une des caisses au couvercle décloué. Il s'était laissé attraper sans résistance. Pompon ne résistait jamais. Par l'ouverture du couvercle glissé, elle avait aperçu le contenu de livres reliés de cuir fauve, et le premier, celui-là, qui n'en était pas un, le manuscrit dans son portefeuille souple de parchemin grisâtre sans autre inscription que des taches et des éraflures de longue vie, elle l'avait tiré de la caisse et posé sur le couvercle de planches et, Pompon sous le bras, elle avait de sa main libre dénoué les rubans qui fermaient la couverture. Penchée, lèvres pincées, les sourcils froncés dans une mimique d'attention curieuse, elle avait lu à voix haute distinctement la première phrase écrite :
Ils m'ont appelée la Rouge Bête. Ce n'était pas méchantement.
Prix Amerigo Vespucci, Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges, 2006.
Le Nouvel Observateur
Hubert Prolongeau, 8 juin 2006
Pierre Pelot, écrivain multiforme, s'est colleté avec un rare bonheur au roman historique avec le monumental C'est ainsi que les hommes vivent. L'Ombre des voyageuses reprend un archétype du genre (la femme libre dans une époque qui l'est moins, de la Lorraine à la Louisiane) et le transfigure à nouveau par une écriture foisonnante et lyrique. Narré du point de vue de l'héroïne à la première personne, le destin de la « bête rouge », de par sa sauvagerie, offre la matière d'une fresque souvent étincelante.
France Info
Philippe Vallet, 10 juin 2006
Le Journal du dimanche
Hubert Prolongeau, 11 juin 2006
De la Lorraine à la Louisiane
Ecrivain multiforme, prolifique et encore trop méconnu, Pierre Pelot publie L'Ombre des voyageuses. L'héroïne, Esdeline Favier, née dans ces Vosges chères à l'auteur, est une aventurière haute en couleur. Archétype du genre (d'Ambre à Caroline chérie en passant par Angélique, la femme libre dans [...]
Est Magazine
Michel Vagner, juin 2006
Les fantômes de Pierre Pelot
Avec L'Ombre des voyageuses, Pierre Pelot compose le plus formidable des romans d'aventure, son 165e livre ! Une réussite totale.
La Liberté de l'Est
Gérard Noël, juin 2006
Flamboyante la Rouge Bête de Pelot !
Le Magazine littéraire
Jean-Baptiste Harang, juin 2006
Le Monde
Pierre Assouline, juin 2006
Le Républicain lorrain
Michel Genson, juin 2006
Virgin
François Aubel, juin 2006
Télérama
Michel Abescat, 21 juin 2006
L'Ombre des voyageuses
Mais qu’a-t-il donc dans son stylo, le Pelot, pour vous enchanter comme ça, à chaque nouveau livre ? On l’imagine chez lui, là-bas dans les Vosges, à l’écoute du vent qui passe, porteur d’une nouvelle histoire. Juste un murmure d’abord, comme une très vieille mémoire, puis des personnages qui prennent forme. Des paysans, au XVIIIe siècle. La silhouette d’une femme qui s’impose bientôt : enfance de sauvageonne à courir les prés et les ruisseaux, chevelure flamboyante et caractère en acier trempé. Une fille de chez lui, Esdeline Favier, née l’été 1733, aux Ordons du Haut, en bout de méchante grimpée...
La mécanique narrative se met alors en branle, comme sous la dictée, les images s’allument, le souffle se fait puissant et voilà l’auteur et le lecteur embarqués dans l’aventure de cette femme hors du commun.
Ils m’ont appelée la Rouge Bête. Ce n’était pas méchantement. On franchit allègrement les siècles, et l’océan, pour la suivre au bout de ses rêves et de ses aventures, des Vosges à Lorient et jusqu’en Louisiane, tout à tour fille de ferme, pirate, planteur, femme amoureuse, trompée, impitoyable dans sa vengeance. On en sort les yeux écarquillés, l’imagination en feu, une nouvelle fois bluffé par le talent de conteur de ce diable d’écrivain, bouleversé par son humanité, sa manière de faire chanter les paysages, bruisser le plus infime silence.
Et de traquer, toujours, l’énergie vitale dans les épisodes les plus sombres. Pierre Pelot retrouve ainsi l’esprit de C’est ainsi que les hommes vivent, fresque dévorante située au début du XVIIe siècle, cette gourmandise des mots anciens, cette invention d’un monde et d’une langue disparus. Mais s’agit-il vraiment d’invention ? Esdeline Favier, la Rouge Bête, n’est-elle pas, dans l’esprit de son auteur, la descendante d’Apolline d’Eaugrogne, sa précédente héroïne, qui, à l’évidence, ne l’a jamais quitté ? La vérité des histoires est infiniment mystérieuse, elle s’impose, elle fascine ceux qui, comme Pelot, savent ouvrir leur cœur et leurs oreilles. Pour le plus grand bonheur de leurs lecteurs.
Le Figaro
Olivier Delcroix, 29 juin 2006
Un Edmond Dantès en jupon
Odyssée sur terre comme sur mer, ce récit haletant plonge au coeur du XVIIIe siècle, plein de fureur, de poésie et d'amour.
Assis sur les marches du monde, en haut de ses Vosges natales, il jette un regard distancié sur le cours des événements. Pierre Pelot écrit à la ligne de son inspiration... qu'il a ample et bigarrée.
Depuis son infarctus, en 1999, ce forçat des lettres (qui aura signé plus de cent soixante romans en trente ans) a cessé de semer ses mots à tous les vents. Sous ses allures de rude gaillard, la soixantaine charpentée, la barbe poivre et sel, et un dragon tatoué sur le bras toujours prêt à cracher son feu romanesque hors de l'encrier, l'auteur de Méchamment dimanche a compris qu'il lui fallait bien se fixer en territoire littéraire.
Sans doute est-ce pour cela que son nouveau roman s'enracine, comme les deux précédents, non loin de chez lui, aux Ordons du haut, à quelques encablures de Remiremont, au pied du ballon d'Alsace. Et puisque l'aujourd'hui n'est guère reluisant, Pelot préfère plonger au coeur du XVIIIe siècle. Il a raison. Sa langue, toute emprunte de rude tendresse terrienne, n'aime rien tant qu'à puiser dans le patois vosgien de cette époque-là.
Une donzelle rebelle portant « tignasse fauvaine »
Ainsi, il touche son lecteur dès cette première « phrase-refrain » dont l'écho scandé se répercute dans tout le roman : Ils m'ont appelé la Rouge bête. Ce n'était pas méchantement. A la première personne du singulier surgit ainsi Esdeline Favier, paysanne à la chevelure flamboyante, gardienne de chèvres, qui possède tous les attributs romanesques des grandes héroïnes.
Et tandis que des mouches, comme des étincelles dorées passent et repassent dans les zébrures du soleil, que l'été mourant, pressé de brûler ses dernières cartouches, distille une lumière qui frise sur le bord des choses, le romancier se met à nous conter son histoire pleine de bruit, d'amour et fureur.
Les pages défilent. Gorgée de mots et d'expressions savoureuses, l'intrigue se ramifie comme un fin réseau d'artères et de veines. À chaque chapitre, le sang romanesque pulse de plus en plus fort. Car le destin de cette rouque fille n'est certes pas de garder continuellement quelques chevrettes. Dès l'âge de huit ans, un dénommé Cauvin Sauvé remarque cette donzelle rebelle portant tignasse fauvaine. Il tente même de la noyer pour un lapin chapardé. Puis se ravise. Il lui apprend alors à lire et écrire, la traite comme une quasi-cousine. Lui a de grands désirs de guerpir au-delà des océans, jusqu'aux Amériques. Elle l'écoute, sous le charme.
Et un jour, tout s'accélère. L'épopée se mue en odyssée marine. A Lorient, la Rouge embarque sur La Fortune, navire au nom rassurant qui va lui permettre d'échapper à son passé. Elle découvre ces reflux d'odeurs, le bruit fiché dans ses oreilles de l'eau léchant la coque. Bientôt, la pleine mer lui apprend la complainte des grands clappements d'eau au creusé desquels elle entrevoit les immensités océanes.
Mais comme l'écrit joliment Pelot, la mer a ses couleurs aussi changeantes que le ciel. La mer aussi a ses nuages. Les orages, ouragans et autres tempêtes narratives ne tardent pas. Et voilà le lecteur emporté par les embruns d'une aventure flibustière vengeresse, rythmée par les braillées du vent sur la mâture, battant les voiles comme des galopades au-dessus des têtes. Trahie, pourchassée, écrouée à fond de cale, Esdeline Favier finit par épouser le destin d'une Edmond Dantès au féminin. Mais on n'en dira pas plus...
Un lyrisme terrien
Quant à l'auteur de Sous le vent du monde, il ne manque pas de souffle, on le sait. En digne fils d'un charpentier et d'une ouvrière à la filature de Saint-Maurice-sur-Moselle, l'auteur d'Un été en pente douce se fait, une fois encore, tailleur d'histoires. Sa pierre philosophale littéraire n'a pas changé, car il parvient plus que jamais à nous faire ressentir tout ce qui se passe au plus profond d'une scène. Jusqu'à en faire ressurgir l'âpre poésie.
Avec L'Ombre des voyageuses, il nous en donne une preuve flamboyante. Son roman est dense, foisonnant, en continuelle expansion. A tout coup, le lecteur se laissera charmer par son rugueux lyrisme terrien, méchamment giflé, cette fois, par une écriture remontée du coeur de la mer.
Le Point
Guillaume Cherel, 29 juin 2006
Le projet est grandiose. L'Ombre des voyageuses n'est pas seulement un roman d'aventures sur le thème de la trahison, c'est un exercice de style. Pierre Pelot excelle dans l'art d'écrire comme aux temps anciens... S'il était américain, on crierait au génie ! Le deuxième tiers de cette invitation au voyage rappelle Jack London, Conrad, Stevenson... Le compliment n'est pas mince. Et si le prochain Pelot était un récit maritime ?
Le Monde
Josyane Savigneau, 30 juin 2006
Pierre Pelot,
au nom d'une femme rebelle et obstinée
Lorsqu'un lecteur dit aimer Pierre Pelot, on a immédiatement envie de lui demander : lequel ? Celui qui a écrit, avec Yves Coppens, Sous le vent du monde (5 tomes, Denoël) ? Celui qui aime la SF et le polar - voir L'Été en pente douce (Folio) ou Le Pacte des loups (Rivages) ? Serait-ce plutôt l'auteur des quelque 1100 pages de C'est ainsi que les hommes vivent (Denoël), où l'on est entraîné dans une folle aventure, du XVIIe au XXe siècle ? Ou bien celui qui a osé une autobiographie clandestine, en racontant dans Méchamment dimanche (éd. Héloïse d'Ormesson, Pocket N° 12921), les tribulations d'une bande d'adolescents, dans les Vosges, à la fin des années 1950 - Pierre Pelot était lui aussi adolescent à ce moment-là, et il vivait à Saint-Maurice-sur-Moselle, où il est né en 1945 et où il habite toujours.
Chacun, selon ses goûts, a le loisir de choisir parmi les nombreux livres de Pierre Pelot. Toutefois, pour apprécier sa littérature, au-delà du sujet, il faut partager une passion commune : aimer les conteurs, les raconteurs. Être capable de retrouver ce qu'on avait naturellement dans ses lectures d'enfance, une absence de distance, une capacité à se laisser embarquer dans une histoire, et à y croire...
Pelot sait mener son lecteur sur ce chemin, il en a une certaine habitude. Mais dans cette Ombre des voyageuses, il réussit son coup comme jamais. Avec un roman d'une structure assez complexe, mais très subtilement construit pour qu'on ne s'y égare pas, où il alterne une voix féminine parlant à la première personne, le journal intime de cette narratrice, au ton différent de sa parole, et un narrateur à la troisième personne, qui observe et recadre les événements, les personnages, les situations.
Ils m'ont appelée la Rouge Bête. Ce n'était pas méchantement. Qui a écrit cette phrase, le début d'un manuscrit trouvé par une enfant de 6 ans, Emeline, au XVIIIe siècle, dans une grande maison en Louisiane, nommée Magnolia ? Il faudra attendre la fin de l'histoire pour comprendre le lien entre la petite Emeline et la Rouge Bête. Mais on saura très vite que la Rouge Bête se nomme Esdeline Favier, qu'elle est née à l'été de 1733, dans les Vosges, que très jeune, elle était déjà héritière de lourds secrets de famille, et que bien sûr, elle était rousse, avec tout ce que cela entraîne de méfiance, de superstition.
Esdeline gardait les chèvres, avec sa petite soeur, Apolline, qu'elle ne quittait jamais. Elle était promise à un avenir illettré et sinistre. Mais, un jour de bagarre, elle rencontre Cauvin Sauvé. Ils sont "demi-cousins", selon Cauvin. Mais ce n'est pas l'essentiel. Cauvin rêve d'un autre destin. Il sait lire, écrire, et veut conquérir le Nouveau Monde, partir pour l'Amérique. Avec Esdeline, à laquelle il apprend à lire et écrire. Après un périple à deux à travers la France, c'est finalement seule qu'elle embarque à Lorient, sous un faux nom, sur La Fortune, à destination de la Louisiane. Cauvin est censé être sur un autre bateau.
Là, Pelot fait donner à plein sa passion pour la navigation d'autrefois, pour les histoires de forbans et de pirates. Maladies, morts, équipage décimé, changement de capitaine, attaque par un bateau ennemi, voies d'eau dans la coque, naufragés et rescapés... tout y est, tout en couleur, on se sent presque un passager de ce bateau bien mal nommé, où règne plutôt l'infortune. Esdeline, qui finit par révéler son vrai nom, demande du papier à celui qu'on appelle l'écrivain du bord, Johan Forestier - ne pas oublier ce nom, il est important pour la suite des événements - et rédige son journal, dont une partie sera perdue. On suit ainsi plusieurs mois de cette année 1751, et les pensées de cette jeune femme décidée, obstinée, libre, rebelle.
Pourquoi Esdeline, qui a finalement atteint la Louisiane, et qui, après bien des aventures, est demandée en mariage par Forestier - il veut acheter une propriété, Magnolia, et y vivre avec elle - revient-elle en France, à la fin de 1765, sur La Belle-Métisse et se rend-elle dans les Vosges ? N'a-t-elle pas perdu l'espoir de retrouver la trace de Cauvin Sauvé ? Veut-elle revoir sa petite soeur, qu'elle avait abandonnée pour suivre Cauvin ? Apolline est-elle vraiment sa soeur ? Les secrets sont encore plus lourds qu'on ne l'imaginait. Et Cauvin Sauvé est bien vivant, mais n'a jamais quitté la France, il s'est simplement débarrassé d'Esdeline avant de revenir dans les Vosges. Comment pourrait-elle ne pas se venger de lui ?
Lire
Christine Ferniot, juillet-août 2006
La Rouge Bête, pirate des mers et des granges
Dans une langue somptueuse, Pierre Pelot raconte les péripéties d'une jeune femme au XVIIIe siècle.
Il avait déjà tâté du western, du polar, de la science-fiction, du roman historique, de la bande dessinée. Mais, depuis quelques années, Pierre Pelot avait envie de se pencher sur le monde des pirates, tenté qu'il était de replonger dans ses passions d'enfance, du côté de Barbe Noire et du capitaine Crochet.
L'Ombre des voyageuses est d'abord une histoire de femme, Esdeline Favier, surnommée «la Rouge Bête» pour ses longs cheveux aussi flamboyants que son caractère. C'est également une incroyable saga avec pavillon noir, flots déchaînés, filles violées par des marins ivres de gnôle, vengeances et passions. Au début du XVIIIe siècle, Esdeline la rouquine naît en Lorraine, petite bergère miséreuse au tempérament bien trempé. Traitée comme une esclave par sa propre famille, elle dort dans les granges avec ses chèvres. Elle croise Cauvin et, par amour, le suit pour s'embarquer avec lui pour les Amériques. Sauf qu'au moment de partir, Cauvin disparaît et Esdeline se retrouve seule sur une frégate, La Fortune, en partance pour la Louisiane. Mais la route est longue, les embûches multiples et la Rouge Bête, véritable louve des mers, ne reviendra que quinze ans plus tard dans son pays natal, accompagnée d'une troupe colorée et d'une réputation de pirate sanguinaire.
Pierre Pelot ne cherche pas la facilité : il imagine une langue bien à lui, sorte d'ancien français bigarré et tordu, ose s'exprimer au féminin, et fait traverser le monde entier à son lecteur, n'épargnant ni les combats, ni les naufrages, ni les revanches familiales ou les amours de bravaches. Des granges pouilleuses de la Moselle aux craquements morbides des rafiots, il parvient à esquiver tous les dangers grâce à une espèce de folie, une grande fougue descriptive. Jamais il ne recule devant les situations les plus improbables et les plus extrêmes. Car, chez Pelot, on ne s'aime pas, on s'agrippe. On ne meurt pas dans son lit, mais dans la cale d'un rafiot. On croise toutes les cultures, des Hurons aux Wolofs. Et son écriture, sanguine comme la chevelure de son héroïne, n'en finit pas de nous emporter et de nous éblouir.
Page créée le mardi 30 mai 2006. |