32000 ans av. J.-C., au paléolithique supérieur, au bord
de la mer qui sera un jour la Méditerranée, vivent les Doah, hommes de
Cro-Magnon. Isolés sur le bord de la grande eau, les Doah n'ont pas croisé
d'autres hommes depuis longtemps. Il pleut sans cesse et la mer continue de
monter, comme si elle devait un jour tout submerger. Dohuka, le chamane de la
tribu, a des doutes. Il se demande s'il a bien su comprendre sa dernière
vision où "ceux du dessous" disaient aux Doha de rester sur le
rivage. Et voici plusieurs années que son frère Naobah est parti de l'autre
côté de la montagne, à la recherche d'une terre nouvelle pour la tribu…
Naobah et Aruaeh, sa compagne, ont traversé les hautes montagnes enneigées.
Ils y ont rencontré les Wêrehé, des hommes étranges, les derniers Néandertaliens.
Et c'est dans leurs huttes que Tuhi-horea, l'enfant né du ventre de
Aruaeh, a fait ses premiers pas avant de disparaître. Sur les bords
de la grande eau, Dohuka a peut-être compris, enfin, le message des
"forces du dessous". Voilà qu'apparaissent à ses yeux deux
créatures - mi-Doah, mi-Wérehé - témoins du destin incroyable et tragique
de Naobah et d'Aruaeh. (4ème de couverture, 2001).
Au bord de la future mer Méditerranée, 32 000 ans avant J.-C., vivement les Doah, des hommes de Cro-Magnon. Mais les eaux montent et le chamane de la tribu se demande s’il est sage de rester au bord de l’eau. Il y a plusieurs années, son frère Naobah est parti de l’autre côté de la montagne avec sa compagne Aruaeh. Or voilà qu’apparaissent au chamane et à sa tribus deux êtres, à la fois Doah et issus d’une autre tribu mystérieuse, témoins du tragique destin de Naobah et Aruaeh… (Présentation de l'éditeur, 2013).
Les yeux clos, celui qui entend écoutait.
Assis, jambes croisées et le dos courbé, sa tête effleurait les branches entrecroisées qui soutenaient la grande peau couvrant l'abri du rêve et dont il pouvait, sans écarter les bras, toucher les parois courbes.
Les crépitements de la pluie ruisselante l'enveloppaient. Seul bruit. Dohuka n'entendait rien d'autre. La pluie. La pluie, sans discontinuer, tombait depuis toujours comme si elle ne devait jamais plus s'arrêter.
Avant Dohuka, Bak'o'hashieeodo savait changer la course des nuages du monde du dessus, mais son corps enseveli n'était pas revenu, son nom n'était pas prononcé, et plus personne, parmi les Doah de moins en moins nombreux, n'ordonnait aux nuages.
Dohuka était le dernier hisodrah, celui de maintenant. Il pouvait parler aux forces et aux gens de odrah, le monde du dessous qui soutient drah, celui du dessus - pas aux nuages.
Mais Dohuka se taisait, il s'était tu jour et nuit, avec au fond des oreilles et des yeux l'inextinguible brûlure des dernières paroles entendues et des dernières images vues, jaillies du ventre de odrah à travers la roche.
Pas une fois, au cours des temps froids, Dohuka n'était venu se préparer au passage dans l'abri du rêve.
Il s'était enfin décidé : la pluie qui avait goulûment avalé la neige semblait vouloir faire gronder toujours plus fort les rivières et monter toujours plus haut la grande eau jusqu'au ciel et tout engloutir.
Des frissons secouaient son corps maigre, recroquevillé dans cette position évoquant une souche noueuse, frôlée au seuil de l'ombre épaisse intérieure par la grisaille du dehors. La pluie frappant l'abri et le sol avait progressivement substitué au souffle de Dohuka son rythme monotone. Des aigreurs remontaient dans sa gorge, au fond de son ventre vide et gargouillant. Il attendait le signe qui l'eût conforté dans le choix qu'il se préparait à faire - ce qui se produisit n'était pas ce qu'il espérait, et cela l'irrita, en le tirant soudain de l'engourdissement dans lequel il avait insensiblement glissé.
Un bruit de pas légers sur la terre gorgée.
Les pas s'approchèrent s'arrêtèrent.
Dohuka, immobile, ouvrit lentement les paupières. Par l'ouverture de l'abri, il voyait ruisseler la terre couleur de vieux sang jusqu'à l'arête rocheuse, à quelques pas ; au-delà, l'étendue grise de aruduiroah, la grande eau, fuyait pour se mêler aux nuages du ciel bas. Se penchant légèrement, Dohuka aperçut le genou de celui qui se tenait accroupi au bout du sentier raviné serpentant parmi les buissons ras de l'abri du rêve aux huttes des Doah. Pas besoin d'en voir plus pour savoir à qui appartenait ce genou osseux.
Il ne pouvait s'agir que de Hiéhura.
Un instant, penché dans cette posture inconfortable qui lui tiraillait le dos, Dohuka fixa le genou marqué d'écorchures. Puis, il reprit sa position première et la contracture s'atténua entre ses épaules.
Il referma les yeux.
Le jour, grand comme un homme, jeune à présent, n'était pas encore enfant quand Dohuka avait quitté la hutte des Doah pour venir s'accroupir dans l'abri du rêve, alors les Doah avaient levé vers lui leurs regards brouillés par le manque de sommeil et l'avaient regardé s'éloigner, sans un mot, attendant sans doute qu'il parle, mais il n'avait rien dit, rien au sujet de la vieille femme au souffle devenu très lent, rien non plus sur ce qu'il allait faire, emportant avec lui leur silence et le sien. Il lui semblait que la vieille femme était déjà vieille femme quand il n'était lui-même qu'au matin de son nom - déjà vieille femme, en tout cas, le jour où Naobah était parti…
Grand prix de l'imaginaire 2001, prix spécial (pour l'ensemble de l'œuvre).
La Liberté de l'Est
Livres en liberté, N° 423, 30 mars 2001. Raymond PERRIN
Pacte avec les hommes ancestraux : la fin de la saga
Après dix ans de recherches passionnées et passionnantes, Pierre Pelot, "l'ethnologue des préhistoriens" (selon son complice et conseiller Yves Coppens), arrive au terme de sa saga Sous le vent du monde, forte de cinq volumes parus annuellement de 1997 à 2001.
Quel voyage étonnant depuis le berceau tropical africain jusqu'en Europe, en passant par les "deux bouts de l'Asie" ! Chaussant encore une fois "ses bottes de sept lieues et de sept temps", il entraîne son lecteur pour un dernier voyage en "paléofiction" chez les hommes qui respectent certains animaux, peignent sur les parois et communiquent avec "l'invisible".
Ce 5e tome, Ceux qui parlent au bord de la pierre, est pour une part, l'histoire d'une rencontre pendant le Paléolithique supérieur, 32 0000 ans avant J.-C. Celle des hommes dits "modernes" de Cro-magnon, plus savamment nommés "homo sapiens sapiens" et des Néandertal, installés bien avant eux en Europe.
Les premiers sont incarnés par les Doah, installés au bord d'une mer qu'on nommera un jour la Méditerranée et qui ne cesse de monter alors que la pluie tombe sans discontinuer. Aussi le chamane Dohuka se demande-t-il si la tribu doit bien rester au bord de ce rivage menaçant comme semblait le conseiller sa dernière vision dans la faille sombre donnant accès au "monde du dessous". Ne devrait-elle pas plutôt partir vers l'autre côté de la montagne où le frère du chamane et sa compagne sont déjà partis en quête d'un nouvel espace ?
Le couple de Naobah et Aruaeh qui attend un enfant a quitté la tribu et réussi à traverser les montagnes escarpées et enneigées avant de rencontrer les Wéréré, des Néandertaliens aux autres coutumes. On dirait que les événements tragiques se multiplient pour empêcher à jamais leur retour au bord de la grande eau, un retour demandé par "celui qui parle au bord de la pierre"…
Certes, le chamane Dohuka est un personnage important puisqu'il célèbre l'inhumation des morts, sculpte les formes et surtout, projette sur les parois des grottes les images inspirées par les "forces du dessous". Néanmoins et une fois de plus, l'image centrale du récit semble bien être celle d'une femme, celle de Aruaeh, désirée par Dohuka, choisie par son frère Naobah, avant d'infléchir elle-même sa destinée au contact des hommes qui vivent dans les huttes au cœur des terres.
Malgré les épreuves douloureuses qu'elle subit, elle fait face avec énergie et lucidité, jusqu'au terme d'une histoire d'amour et de haine, aussi fragile qu'inattendue dans son dénouement.
Sud-Ouest dimanche
1er avril 2001. François RAHIER
Science-Fiction
Entre ethnologie et préhistoire, le 5e volume de la fresque romanesque de Pierre Pelot, écrite avec la collaboration scientifique d'Yves Coppens, nous fait assister à la confrontation dramatique des néandertaliens et de nos ancêtre Cro-Magnon. C'était hier, il y a à peine 35 000 ans, et tout près d'ici. L'ouvrage vient d'obtenir le Grand Prix de l'imaginaire 2001. Immersion totale et dépaysement assuré, avec cette fiction savante que les auteurs ont accompagnée d'un étonnant lexique.
Page créée le jeudi 20 novembre 2003. |