65000 ans avant notre ère, les Wurehwê, hommes de Néandertal,
vivent sur un territoire qui bien plus tard s'appellera la France. Le froid
descendu de la source du vent et de la bouche du ciel s'étend, et les
troupeaux nourriciers fuient vers le sud, laissant les hommes démunis. Alors
Èheni (celui qui marche) décide d'accomplir l'inimaginable, afin de sauver
ses compagnons, de leur redonner la force d'avant le froid et la maladie, en
renouant le dialogue perdu avec les animaux.
Il va nourrir de sa force le ventre de l'edroütohur, la
biche meneuse de harde, pour que de ce ventre naisse un fils à la fois homme
et cerf, qui saura parler aux hommes et aux animaux, les réconcilier comme
aux temps anciens. Mais le drame se noue autour de cette transgression : rejeté
par les siens, Èheni, emporté par une formidable aventure mêlant "ceux
de la forêt" et "ceux des deux rivières en une", ira au bout
de sa folie jusqu'avant la fin du ciel. (4ème de couverture, 2002).
Sur une terre qui sera appelée plus tard la France vivent les Wurehwê, des hommes de Neandertal. Tandis que le froid s’installe et avec lui la fuite des troupeaux et la famine, Eheni se lance dans une véritable folie : tenter d’ensemencer l’edroütohur, la biche meneuse de harde, pour que naisse un enfant qui soit à la fois homme et cerf, et qui saura réconcilier les humains et les animaux qui les abandonnent… (Présentation de l'éditeur, 2013).
Èheni allait dans le long cri du vent.
Il avait quitté l'anse de la rivière abritée par le grand ravin de roche alors que la lumière blême éclaboussait le ciel traversé de nuages effilochés encore silencieux. Et puis le vent, la voix des blanches et froides montagnes où sont les sources du ciel et de tout ce qui est sous le ciel, était descendu jusqu'à terre.
Èheni avait entendu le vent avant de le voir, avant de le sentir sur sa peau.
Il s'était arrêté de marcher. Écoutant.
Silhouette soudain dressée parmi les arbustes épars au sommet d'une pente d'herbe maigre, le regard levé dans la lumière épaissie vers le déferlement sombre maintenant ininterrompu des nuages. Dans une main le bâton court appointé, dans l'autre les bois de l'edroü tué plusieurs jours auparavant (toute sa chair n'était pas mangée), et la peau de la bête grossièrement écharnée, pas même saupoudrée de la terre rouge qui assouplit, poisseuse encore de son odeur, les pattes nouées sous le menton, portée par-dessus celles qui le vêtaient, épaississant son allure. Écoutant, là, debout. Le cou tendu, reniflant par ses larges narines qui palpitaient lentement…
Aux oreilles de Èheni, pas mieux qu'un murmure, à cet instant. La voix du vent montait des gorges de la lointaine montagne aux sommets enlisés dans le ciel alourdi, écharpant aux dents noires des arbres, dans les escarpements, des lambeaux de nuages pendus. Comme une bête qui tourne et cherche sa colère.
Écoutant, reniflant. Regardant, paupières plissées, courir vers lui le vent dans la forêt, les talus dénudés, sur les herbes durcies et cassées par l'haleine des nuits froides revenues. Le souffle avait fraîchi la sueur de son visage, bu les gouttelettes qui perlaient à son front et sous ses yeux, caressé ses bras et ses jambes nus. Avait emporté le faible grognement échappé d'entre ses lèvres, dans un bref frisson de tout son corps.
Il s'était remis en marche, face au vent, à petites foulées régulières, soutenant d'une main les bois du cerf croché sur son épaule par l'empaumure d'une des branches.
Et il allait toujours, de cette même allure. La bourrasque qui secouait les entours braillait à ses oreilles. Les hautes pentes et les parois abruptes des lointains n'étaient plus visibles, emportées dans les sombres replis que charriait la fin du jour. Les arbres de la forêt se dressaient gigantesques et secoués de toutes leurs branches par l'empoignade avec les griffes du vent sous le grand remous noir du ciel. Il allait, sans faillir. Les feuilles arrachées volaient autour de lui, des branchages l'atteignaient parfois sans qu'il leur accordât plus d'attention qu'aux ramures cinglantes des buissons fouettant sa course obstinée - comme s'il ne s'en apercevait pas. Parfois, il manquait un temps, qui n'avait rien d'une hésitation : sa course trottinante reprenait allure de marche ; il resserrait sous son cou les pattes nouées de la peau d'edroü et réajustait ses bois sur l'épaule, reniflait le vent ; entre les plis des paupières, son regard acéré fouillait la houle embrouillée et craquante des branches et des cimes.
Il savait où aller.
Page créée le samedi 22 novembre 2003. |