Après le Bout du monde

 
 
  • Pierre Pelot
  • 1995 | 144ème roman publié
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Date et lieu

Au milieu des années 1990, à Paris et en Papouasie.

Sujet

Nicolas Courot, dit "Nico", cinéaste passé de mode tant auprès des chaînes que des producteurs, a tout du looser sur la pente descendante. Alcoolique, aigri, un peu paumé, il traîne son amertume de rendez-vous en rendez-vous en s'accrochant à l'espoir qu'un miracle finira bien par se produire. Et un jour, le miracle se produit.

Un certain Daniel Zuchetto lui propose d'aller tourner un "sujet formidable" chez les chercheurs d'or de Papouasie… C'est lui qu'il veut pour ce reportage, et personne d'autre. Seulement voilà, Nico aurait dû savoir que les miracles, ça n'existe pas même en Papouasie, même… après le bout du monde. (4ème de couverture, 1995).

 

La petite histoire... La composition numérique réalisée au Maroc, l'impression en Angleterre, tout est passé comme souvent par les tuyaux informatiques. Et au beau milieu de l'Atlantique, un vilain "bug" a rendu incompréhensible la dernière phrase de cette histoire. EcriVosges vous en donne ci-dessous le texte corrigé !

 

Éditions

Couverture de Bruno David.

  • 1ère édition, 1995
  • Paris : Fleuve Noir, novembre 1995 [impr. : 10/1995].
  • 18 cm, 220 p.
  • Illustration : Bruno David (couverture).
  • (Aventures sans frontières ; 5). Collection dirigée par Daniel Riche.
  • ISBN : 2-265-05211-6.
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    Première page

    Ça lui bouffait la tête. Le calcinait, tout spongieux qu'il se sentît, au-dedans.

    Et depuis un moment, c'était comme si quelques chose avait claqué dans le mécanisme sournois de l'oppression environnante, depuis que ce type, dont tout le camp braillait le nom sans que pour autant Nico parvînt à le mémoriser était mort dans son trou de merde, tartiné de trois ou quatre cents kilos de boue, au fond de laquelle il avait fallu le repêcher, le tirer par un pied, ou un bras. Il était trop tard, de toute façon. Il n'y avait qu'à voir sa bouche ouverte et dégueulant cette purée grise. Ses yeux écarquillés pareils à des galets salis, tandis qu'on le remontait hors de l'entonnoir meurtrier.

    Seigneur ! Ce connard ! Mourir comme une espèce de toast mou sous le contenu d'un pot de gelée de coings renversé.

    Il devait s'appeler Dimanbal, ou quelque chose d'approchant. "Dimanbal ! Dimanbal !" rebondissant sur la crête des exclamations déferlantes, roulant partout, dehors et dedans, traversant les parois des cabanes, depuis l'accident. Comme s'il avait été une personne importante, comme s'il se pouvait qu'une personne fût importante dans ce malheureux coin de la planète. Quelle planète ?

    Mourir, évidemment.

    Ça te traverse la tête, à un moment ou un autre. On t'a appris que ça se produisait régulièrement. A toi de digérer au mieux. On t'a appris et tu as appris sur le tas, en regardant par la fenêtre. Mourir, eh oui, ça finira bien par te prendre la main en personne, et même que tu as imaginé comment ce serait le mieux, le moins vilain, le plus acceptable, un frisson, ou n'importe quoi de rapide. Ne pas savoir avant, ne pas avoir l'intuition d'une imminence, ne rien renifler de la sale odeur… Tu n'y échappes pas, d'accord.

    Jamais Nico n'aurait imaginé que ça puisse se produire dans de telles circonstances. Ni dans un tel endroit. Ni au bout d'une telle aventure.

    C'était parfaitement inacceptable.

    Et parfaitement inéluctable aussi, sans doute.

    Crever ici, dans cette humidité, dans ces couleurs délavées, crever sans que la chose vaille mieux qu'une de ces baveuses dégoulinades qui composaient l'environnement, pas mieux qu'un bruit furtif de succion éclos parmi des centaines d'autres, pas mieux qu'un pet mouillé.

    Pas question de crever ici, se disait Nico, abattu dans l'instant suivant par l'énormité de l'effort à fournir pour échapper à la fatale conclusion.

    Il était convaincu des intentions de Zuchetto. Ce "Vieux Zuch", comme disait Le Chanteur. Les deux larrons. Convaincu, depuis l'affrontement qui avait particulièrement crevé l'abcès. Ça mûrissait depuis des jours, depuis le premier jour, pratiquement - en ce qui concernait Zuchetto, en tout cas. L'abcès avait craché une bonne partie de son contenu sanguinolent. Une partie. "Nom de Dieu !" songeait Nico, comme s'il cherchait à se protéger, tout rabougri, sous l'exclamation mentale qui faisait presque trop de bruit, encore. L'erreur grotesque, de sa part, avait été de laisser paraître son soupçon quant aux intentions véritables des deux larrons. Il n'en finissait pas de se botter le cul en pensée, pour avoir si bêtement failli à l'élémentaire prudence. Mais d'un autre côté, la manigance devenait tellement criante, comme une vraie provocation, que faire mine de ne pas s'en être aperçu équivalait à un aveu hurlé d'hostilité… Le piège était d'une gluante viscosité, à l'image du ciel, de la terre, et de tout ce qui faisait l'endroit compris entre ces deux limites floues.

    A quel moment ? se demandait Nico. Comment vont-ils s'y prendre ?

     

    Dernière page

    Plus tard, dans le soleil qui frappait le cockpit de l'hélico au-dessus des brumes écartelées, Nico posa le revolver entre ses pieds.

    Adine était assise à côté de lui, sur le sol de la cabine. Derrière les deux seuls sièges étaient occupés par le pilote et Julius Den. Son profil se découpait nettement sur le fond barbouillé de lumière, comme ce qui pouvait se voir de plus beau au monde, en cet instant. Sans regarder Nico, elle cria dans le vacarme :

    - Pas question de laisser tomber ce film, d'accord ?

    - Pas question, bien sûr ! cria-t-il comme s'il n'avait attendu que cela.

    En fait, il ne savait strictement pas de quoi serait fait l'instant prochain, au-delà de ce qui restait à boire dans la bouteille d'alcool, ni demain, mais il répéta :

    - Pas question de laisser tomber.

    Et certainement prêt à se le répéter le nombre de fois nécessaire jusqu'au souvenir retrouvé d'une maison à lui, quelque part, après le bout du monde.

     

    Revue de presse

    L'Année de la fiction 1995

    Polar, S.-F., fantastique, espionnage : bibliographie critique courante de l'autre-littérature). Amiens, Encrage, 1996. Page 22, Francis SAINT-MARTIN

    Nico, réalisateur sur le déclin, est embauché pour un reportage en Papouasie, dans une région où les indigènes exploitent de riches mines d'or. Adine, une jeune photographe, est aussi du voyage, avec Zuchetto, le chef de l'expédition. Sur place, le petit groupe est rejoint par Bori, un chanteur indigène qui leur sert de passeport pour atteindre la région des mines. Après quelques jours calmes, un homme est retrouvé étranglé dans sa mine et son or volé. Comme par miracle, l'or est retrouvé en possession de Nico et d'Adine alors que Zuchetto et ses guides ont disparu. Nico comprend alors que cette mise en scène est la couverture qui permet à son employeur, décidé à s'emparer de l'or, de s'enfoncer plus avant dans la région des mines, pour arriver à un point de rendez-vous où se posera l'hélicoptère qui fait la tournée des places pour y recueillir l'or extrait.

    Nico et son amie, menaçant de leurs armes la foule des mineurs prête à les lyncher, contraignent un des hommes de Zuchetto, resté en arrière pour mener à bien l'opération, à les conduire sur les lieux de l'attaque. Les deux fuyards sont repris par la bande des voleurs qui met aussi la main sur l'appareil posé. Pourtant, la chance des voleurs s'arrêtera là car, déchirés par l'appât du gain, ils s'entre-tueront et permettront à Nico, dans un geste désespéré, de se débarrasser du survivant. Il ne restera plus alors qu'à profiter de l'hélicoptère pour regagner une ville et reprendre la direction de la France.

    * Pierre Pelot ne peut s'empêcher de nous proposer des portraits de losers qui parviennent à peine à échapper à leur torpeur alcoolique pour former l'argument de romans anecdotiques bâtis sur des schémas lassants. Ce livre n'échappe pas à cette règle qui finit par nous fatiguer aussi. Heureusement qu'ici, pour sauver quelque peu l'ensemble, les décors, les descriptions des situations et des personnages sont plus intéressants que l'intrigue squelettique. Le talent technique de l'auteur est toujours aussi présent, mais où est donc passée son imagination autrefois fameuse ?

     

    Page créée le lundi 17 novembre 2003.