Le Ciel sous la pierre

 
 
 

Date et lieu

En 1991 ou en 2046 ? Du côté de Padirac...

Sujet

Il n'y avait pas d'étoiles, mais le ciel n'était pas couvert pour autant. Une brume légère stagnait sur la ville recroquevillée, et pouvait fort bien créer ce phénomène d'écho. Il y avait si peu de bruits, dans la nuit douce, quand on finissait par les remarquer… des crissements d'insectes qui semblaient provenir de l'autre bord de la terre.

"Des criquets… des grillons, en cette saison ?" songea Alice. - C'est bien l'hiver, non ? dit-elle dans un souffle. (4ème de couverture, 1990).

 

Éditions

Couverture de Vatine.

  • 1ère édition, 1990
  • Paris : Fleuve Noir, mars 1990 [impr. : 02/1990].
  • 18 cm, 187 p.
  • Illustration : Vatine (couverture).
  • (Anticipation ; 1743).
  • ISBN : 2-265-04289-7.
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    Première page

    Ce qui s'offrit aux yeux de Troper et d'Alice les laissa muets et bouche bée un long moment.

    Sans doute elle s'était attendue à découvrir l'extraordinaire mais pas maintenant, pas si tôt. Pas cet extraordinaire-là.

    Qu'elle devait bien vite adopter et assimiler. Dont elle devait bien vite faire son ordinaire.

    C'est pourquoi elle était ici. Pour ne plus s'étonner de rien - une fois déjà, et ce n'était pas si ancien, et cela semblait déjà si loin, la stupéfaction était tombée sur elle. Cela suffisait bien. Elle n'en était toujours pas revenue.

    Elle en gardait comme une sécheresse à la base de la langue, au fond de la gorge, qui se signalait à elle à chaque inspiration. Comme une aigreur douceâtre au creux de l'estomac, un goût de fer permanent dans la salive.

    Mais ce n'était rien. En vérité, elle se comportait plutôt honorablement. Car si - la première fois, quand l'incroyable s'était révélé à elle - elle avait réagi par la stupéfaction, elle aurait pu tout aussi bien perdre la raison. Certains, que traversait l'abominable, devenaient fous.

    C'est pourquoi désormais, l'extraordinaire qu'elle découvrait et découvrirait encore, encore et encore, jusqu'à l'explication ultime, tout extraordinaire qu'il fût, ne pouvait guère l'ébranler davantage que la première découverte n'avait su le faire, si inimaginable fût-elle.

    Elle était de taille à soutenir sans faillir les pires chocs. Les pires assauts sans broncher.

    Désormais impavide et parfaitement inébranlable, croyait-elle.

    Mais pas étrangère aux fatigues grossières, toutes physiques, ces ombres intérieures, insidieux parasites qui s'installent dans les chairs et les os, quelquefois dirait-on même jusque dans les cheveux, les ongles. Elle ne pouvait rien contre cette compagnie-là.

    Seulement l'écouter ricaner en elle.

    Elle dit - elle murmura - quelque chose, d'à peine audible, de parfaitement incompréhensible. Si sèche était sa bouche qu'elle aurait craché en copeaux l'amertume montée de sa gorge.

    Troper tourna lentement la tête vers elle, le regard interrogateur. Elle pensa négligemment qu'il avait un faciès de dément, une tête à faire peur, comme si les dernières vingt-quatre heures écoulées avaient, elles aussi, rebondi n'importe comment dans le temps, et comme s'il était le seul à en avoir fait les frais. Il avait pris dix ans, ses rides s'étaient creusées, figeant sur ses traits une expression d'effort perpétuel et grimaçant.

    - Je ne sais pas, répéta-t-elle à mi-voix, si le fusil nous aidera à passer inaperçus.

     

    Revue de presse

    L'Année de la fiction 1990

    Polar, S.-F., fantastique, espionnage, Encrage, Amiens, (1991 ?). Jean-Claude ALIZET, page 261

    Avec ce troisième tome, le décor change et le mystère ne touche plus seulement au temps, mais à l'espace.

    Jiggs Moran vit dans une ville silencieuse et quasi déserte, sous un ciel quotidiennement brumeux et au climat perpétuellement égal. Il souffre de migraines et de troubles visuels, séquelles d'une guerre en cours, une guerre sans fin dont personne ne veut parler, mais qui continue quelque part en secret. Il a pour amie Viviane-Lo, secrétaire à la Production des Mines, à moins qu'elle ne soit là en tant qu'infirmière chargée de guider et de surveiller sa thérapie. Autre surveillance qui s'exerce sur Jiggs : celle d'un nouveau voisin fouineur, Falaconi, qui fait partie du service de sécurité du secteur.

    Telle est l'existence médiocre de ce solitaire à l'esprit perturbé... à moins qu'il ne s'agisse de rêves cycliques et obsessionnels et que le vrai Jiggs soit un officier de la police militaire en attente d'affectation, vivant dans la crainte que Viviane-Lo, sa maîtresse, le quitte.

    C'est en tout cas la porte du Jiggs, ancien combattant traumatisé, que va forcer Alice, après sa descente dans le gouffre de Padirac. Elle a couru le long d'une voie ferrée pour atteindre cette ville de province dont les murs ressemblent à un décor de théâtre et dont les quelques habitants croisés se comportent comme des figurants. Dans sa fuite, elle a été séparée de ses deux compagnons, Troper, le camelot, et Gaël, son fils (voir tome 2). Sans doute ont-ils été arrêtés car la présence d'intrus dans la ville a été rapidement signalée par les autorités.

    Après avoir confié à Jiggs son histoire, elle se fait conduire dans la périphérie de la ville jusqu'au secteur des mines où seraient détenus Troper et Lou-Gaël. Arrivée sur ce territoire protégé, avant de voir des hommes armés s'avancer vers elle, encadrant son fils, elle entend les révélations que lui fait Jiggs, d'une voix mécanique : il s'appelle Daniel et est né en surface pendant le "chaos" en 2011. Puis il a quitté le "dessus" pour s'engager dans les Cohortes rouges et effectuer des missions de maintien de l'ordre, de 2031 à 2041, jusqu'à ce qu'il soit victime de troubles de la personnalité.

    Nous n'en saurons pas plus et les questions antérieures restent posées. Dans cet épisode disloqué, tout en glissages et en dérapages entre le monde intérieur du personnage central, Jiggs, et une réalité dont il est impossible de définir les contours, c'est le malaise et l'angoisse qui se saisissent du lecteur.

    Comme dans les deux premiers tomes, Pelot biaise avec l'intrigue principale, ne livrant que quelques informations fragmentaires et déplaçant les repères que l'on croyait sûrs. Cette avancée à petits pas s'enlise parfois dans la mollesse du détail superflu et dans la somnolence du leitmotiv. Cependant, le romancier atteint son but : égarer son lecteur dans les méandres d'un récit enveloppant et lui faire attendre avec une certaine fièvre les révélations du dénouement.

     

    Page créée le jeudi 6 novembre 2003.