L'enfant bougea quand Naja remit la patte dessus pour assurer sa prise, avant un nouveau coup de dents. Les petites jambes tressautèrent animées par un mouvement dérisoire qui faisait songer à une tentative de défense…
Le chien broya les côtes, arracha une partie de poumons élastiques et spongieux qui se déchirèrent en filaments… (4ème de couverture, 1987).
La première fois qu'Alain Chalendon entendit prononcer son nom à la radio, cela lui fit un choc. Sa première réaction fut de se dire que le seul ayant le droit de porter ce nom était lui, personne d'autre, qu'il était bel et bien le véritable Alain Chalendon, et ce depuis suffisamment longtemps pour qu'il en soit certain, que tout autre utilisateur du patronyme ne pouvait être qu'un usurpateur éhonté.
Après quoi, passée sa première bouffée de stupéfaite révolte, cela lui fit tout drôle.
Il avait vécu pendant soixante-huit ans, s'imaginant l'unique détenteur du nom, n'ayant en vérité jamais rien fait d'autre, jamais rien de franchement important, que s'appeler ainsi et être reconnu comme tel par une trentaine de personnes au monde. Voilà que du jour au lendemain, le nom courait sur les ondes, voilà que n'importe qui pouvait l'entendre. Il n'alla pas jusqu'à se mettre à la place de cet "autre", mais d'une certaine façon, à travers cette célébrité, il prit curieusement conscience de sa propre existence - ce qui n'avait jamais été pour lui un souci de réflexion.
Pendant un temps, il s'était mis à passer ses jours à l'extérieur de la maison, abandonnant Loïse à sa couture et laissant en suspens toutes ses petites occupations de bricoleur à la retraite : il enfourchait son vélo et se rendait au village, d'un café à l'autre, où il faisait des haltes, assis devant un verre de bière ou un canon de rouge, en écoutant ce que disaient les gens. Ou bien encore, il faisait les courses dans les magasins, corvée qui avait toujours été jusqu'alors le lot de Loïse. Les gens qu'il rencontrait dans les magasins et dans les cafés ne lui avaient jamais, auparavant, prêté la moindre attention. On lui adressait désormais la parole en souriant, mais bien vite - très vite -, Alain identifia derrière ces sourires autre chose que de l'amitié. Il comprit que ce nom-là, le sien, prononcé si souvent à la radio et par les gens, n'était pas celui d'un héros.
Alors, ce fut la seconde période. Alain rangea son vélo dans la remise et cessa de se montrer au village, non seulement dans les cafés et les magasins, mais même dans la rue. En fait, c'est à peine s'il osait encore sortir sur le pas de sa porte, craignant d'avoir à affronter quelque rieur de passage. Dieu sait pourtant que les visiteurs, dans ce quartier abandonné à l'écart du village, étaient rares : il y avait les ouvriers qui venaient charger des camions de matériaux de construction au dépôt, de l'autre côté de l'étroite route, et il y avait les clientes de Loïse. A cent mètres, entre la route nationale et le dépôt de matériel de construction, il y avait aussi la ferme de Jean Torte. C'est tout. Et c'était devenu beaucoup trop pour Alain Chalendon, le contremaître de tissage retraité.
Page créée le jeudi 13 novembre 2003. |