Il vomit douloureusement sur le squelette de Josépha, qu'il se rappelait vivante, de chairs et de sourires, en un flash violent, à la seconde où couché sur ses os brisés il l'aspergeait de glaires et de sa propre puanteur intérieure.
Il était couché sur elle, sur Josépha éparpillée au fond de son cercueil, dont la langue grise se mit à bouger dans sa bouche, dont les yeux ouverts brusquement le regardaient, dont les dents cherchaient à saisir sa propre langue… (4ème de couverture, 1986).
Au cours de la nuit qui suivit cette fête en compagnie du Patron, sans doute parce qu'il avait bu plus que de raison, Cole fit un cauchemar abominable - c'est-à-dire : un cauchemar particulièrement abominable.
Ce genre de rêve qui vous atteint non seulement dans l'esprit et dont vous gardez longtemps en mémoire la cicatrice purulente, mais dans vos chairs aussi, au point de constater à l'éveil (et d'ailleurs sans trop savoir avec certitude qu'il s'agit d'un véritable éveil… si, au contraire…) que vos ongles ont laissé des marques sanglantes sur votre peau. Au point de ne plus être certain de rien, et ceci non seulement en cours du cauchemar, mais après, quand vous lui avez finalement échappé, les stigmates affreux gravés dans la peau comme si vous veniez de traverser en courant un buisson de ronces. Si toutefois vous avez vraiment réussi l'évasion.
Ce genre de rêve qui ne flotte pas en vous et dans la nuit, mais qui fait de vous la nuit tout entière.
C'était bien la première fois de sa jeune vie - il venait d'avoir vingt-cinq ans - qu'un tel cauchemar torturait le sommeil de Cole, d'ordinaire plutôt lourd et sans heurts. Il se couchait habituellement aux alentours de vingt-deux, vingt-trois heures, tout dépendait des programmes de la télévision, et s'il était possible ou non de les suivre tranquillement dans la salle commune où les pensionnaires de l'établissement, plus ou moins nombreux et plus ou moins attentifs, achevaient leur journée non pas comme un cycle qui se termine, mais au contraire comme s'ils devaient prendre des forces et emmagasiner de l'énergie pour la nouvelle nuit à subir. Cela dépendait. Cole regagnait sa chambre, se déshabillait, se couchait. Parfois, il parcourait une revue, généralement vieille d'un mois ou deux, empruntée à la salle de lecture (où les vieux à la vue déficiente, de toute façon, ne lisaient plus, et où les autres pensionnaires n'entraient pas, sinon pour balayer ou traînasser) ; parfois, c'étaient quelques pages d'un livre, un roman, comme Le Tour du monde en quatre-vingts jours, qu'il relisait. Mais cette période de lecture n'excédait jamais une demi-heure, au bout de quoi, les lettres se mettaient à papilloter et à sauter sur les pages comme des puces sur le dos d'un chien. Puis Cole restait là immobile sur son lit, à regarder les taches d'humidité au plafond, jusqu'à ce que ses paupières le brûlent, alors il éteignait la lumière après avoir attendu un instant pour savoir s'il se masturberait ; mais il se masturbait plutôt le matin. Et alors il s'endormait, comme on s'abandonne - ou comme on est abandonné. C'était la règle, l'ordinaire, l'habitude.
C'était le parcours courant immuable, tracé d'aussi nette et irrémédiable façon pour le jour et la nuit.
Sauf que cette nuit-là, il y eut le cauchemar.
Page créée le mercredi 12 novembre 2003. |