La Nuit sur terre

 
 
 

Date et lieu

Au milieu des années 1980, dans les Vosges.

Sujet

La France profonde. Deux braves types exploitent une petite entreprise. Ils n'ont qu'une ambition : acheter la maison voisine pour agrandir leurs locaux. Tout cela paraît bien inoffensif… jusqu'au jour où débarque la jeune propriétaire de la fameuse maison, qui est à la recherche de son mari. Et c'est la découverte cauchemardesque…
Le livre de Pierre Pelot fait peur et fascine. Âmes sensibles s'abstenir. La langue est belle, riche. Il y a là un lyrisme et un talent de romancier qui dépassent le cadre du policier classique. (4ème de couverture, 1983).

Lorsque Josiane reçoit une lettre anonyme lui apprenant que son mari la trompe lorsqu'il se rend dans sa maison de campagne dans les Vosges, elle décide d'aller l'y rejoindre. Mais ce n'est pas son époux qu'elle va trouver là… car les Etats-Unis n'ont pas l'apanage des fous furieux qui dressent des pièges sordides pour leurs proies... (Présentation de l'éditeur, 2013).

 

Éditions

Couverture de Philippe Guéroult.

  • 1ère édition, 1983
  • Paris : Denoël, mars 1983 [impr. : 02/1983].
  • 21 cm, 206 p.
  • Illustration : Philippe Guéroult (couverture).
  • (Sueurs froides [1ère série ]; 16). Collection dirigée par Noëlle Loriot (1982 - 1983).
  • ISBN : 2-207-22868-1.
  • Prix : 36,00 F.
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    Couverture de Pierre-Olivier Templier.

  • 2ème édition, 1997
  • Paris : Pocket, septembre 1997 [impr. : 08/1997].
  • 18 cm, 206 p.
  • Illustration : Pierre-Olivier Templier (couverture).
  • (Terreur ; 9171). Collection dirigée par Patrice Duvic.
  • ISBN : 2-266-07457-1.
  • Prix : catégorie 5.
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  • 3ème édition, 2013
  • Paris : éditions Bragelonne, 25 mars 2013.
  • (Bragelonne Classic).
  • Livre numérique.
  • 179 p.
  • ISBN : 978-2-8205-0971-0.
  • Prix : 2,99 €.
  • Lorsque Josiane reçoit une lettre anonyme lui apprenant que son mari la trompe lorsqu'il se rend dans sa maison de campagne dans les Vosges, elle décide d'aller l'y rejoindre. Mais ce n'est pas son époux qu'elle va trouver là… car les Etats-Unis n'ont pas l'apanage des fous furieux qui dressent des pièges sordides pour leurs proies...
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    Première page

    Il avait neigé la veille, vendredi 31 mars, sur les premiers bourgeons éclatés des saules. De la neige fondue et de la pluie crachouillante, du matin jusqu'au soir, et même encore dans les heures avancées de la nuit. Résultat : le sol une fois de plus recouvert de mauvaise boue, l'air humide porté par un vent ricanant, qui savait s'insinuer par le moindre interstice - même qu'il n'avait pas besoin de ça, le vent, pour vous pénétrer sous la peau et venir vous lécher l'intérieur des boyaux.

    Et aujourd'hui, jeudi 1er avril, grand soleil, beau temps parfait, ciel bleu. Ce n'était pas une blague. A croire que la veille remontait à des mois…

    En fait, cette alternance de chaleurs odoriférantes et de froidures traîtresses ne présentait rien d'extraordinaire pour la saison et le manège durait depuis le milieu du mois écoulé. Le mardi précédent, des gens avaient commencé de brûler leurs prés d'herbe jaunie et sèche à souhait. Clam avait reniflé les odeurs piquantes, aperçu les fumées, à l'entrée de la vallée. En général, dans cette période à cheval sur mars et avril, pratiquement jusqu'à Pâques, il ne faut rien attendre de bon du climat. C'est une valse-hésitation permanente, de "j'avance ou je recule ?" ; un jour vous ramassez un coup de soleil, le lendemain une pneumonie.

    Il n'était pas 11 heures et le soleil tapait. L'heure solaire, d'ailleurs, ne s'accordait plus avec celle des montres ; il avait fallu tout chambouler une fois de plus une semaine auparavant.

    Clam était assis sur la dernière marche de pierre qui menait à l'entrée de sa maison accolée à l'ancien bâtiment de la scierie. Son coude gauche s'appuyait sur le dessus de sa cuisse et le creux de sa main était rempli de grains de café. Mécanique, il prenait un grain de café qu'il portait à sa bouche et mâchait longuement. Un grain à la fois, jamais deux. Ou alors rarement. Les vieilles molaires broyaient. Cela donnait un bruit particulier, bien spécial. C'était l'habitude de Clam d'ingurgiter ainsi des grains de café. En revanche, il en buvait relativement peu ; le breuvage tiré de la plante ne l'intéressait pas.

    Clam, tout en mâchouillant son café, assis là sur l'escalier devant sa maison, observait la portion de vallée comprise dans son champ de vision, devant lui. Il regardait les flaques de boue qui achevaient de sécher, les vieilles taches de neige gelée et sale, sur le bord du chemin goudronné, entre sa cour et l'étang - ces bouses de glace étaient tout ce qui subsistait des hauts bourrelets rejetés par le chasse-neige, durant l'hiver. La cour était excessivement boueuse, voire bourbeuse, et les roues du Toyota y avaient tracé des entrelacs inextricables. Hénoch conduisait l'engin comme un cinglé, à croire que plus ça giclait de partout, plus il était content ; parfois, il réussissait à projeter de la boue jusque sur la façade de la maison. Hénoch ne tournait pas bien rond, de temps à autre.

     

    Revue de presse

    Le Journal du livre populaire

    N° 2, mai 1982, page 7

    Le centième roman de Pierre Pelot, qui paraîtra cette année, sera peut-être un roman noir qui s'appelle (à l'heure actuelle) La Nuit sur terre. Est-ce pour fêter l'événement que Pierre réalise l'adaptation ciné dudit ? En tout cas, si un producteur et/ou réalisateur nous lit, il y a un bon sujet à acheter.

     

    Les Nouvelles littéraires

    14 avril 1983. Bernard LE SAUX

    Sang d'encre

    Dans son numéro Spécial Polar d'avril, notre confrère Le Magazine littéraire nous propose un mini dictionnaire qui recense un peu plus de cinquante auteurs d'aujourd'hui. Des Français, en majorité : d'ADG à Villard (Marc). Pierre Pelot, lui, n'y figure pas. C'est fâcheux. Surtout pour ceux qui l'ont oublié. Et d'autant plus qu'on y trouve en revanche... enfin, passons.

    Tristes campagnes

    Je m'en voudrais, cela étant, de ne pas signaler un dossier qui offre, par ailleurs, d'excellentes choses. Ainsi, le piquant débat post-mortem sur le roman policier entre Somerset Maugham et Edmund Wilson. Et puis - c'est une manière de compensation dans sa rétrospective du néopolar, ce phénomène littéraire hexagonal né de la rencontre des enfants de Mai 68 avec la Série Noire, Jean-Pierre Deloux, quant à lui, ne manque pas d'évoquer notre homme, qualifié en quelques mots, de peintre d'un monde rural hanté par la sauvagerie et l'horreur.

    Cette définition n'épuise certes pas la riche personnalité de Pierre Pelot. Du moins vaut-elle assurément, plus que jamais, pour son dernier polar : La Nuit sur Terre. L'action s'y déroule a nouveau dans ces hauteurs vosgiennes que le romancier connaît si bien pour ne les avoir jamais quittées. Un monde, sous sa plume, étonnamment rude, oppressant. Aux antipodes des bergeries écologistes. Un monde qui vous happe d'emblée (les flancs des montagnes resserrées semblaient soudain prêts à se refermer sur vous à tout instant. C'était comme un piége de silence et d'immobilité, tendu du vert sombre des épicéas, depuis la terre fanée jusqu'au bleu immaculé du ciel) pour ne plus vous lâcher, sinon pantelant, au terme d'une traversée angoissante des apparences. Un monde à part, curieusement proche du Deep South de la littérature américaine d'ailleurs.

    Ainsi, La Nuit sur Terre a-t-elle en l'occurrence pour héros un vieil homme rappelant étrangement quelque prêcheur sudiste au cerveau dérangé : le vieux Clam, qui croque à longueur de journée des grains de café et recrache un jus brun en même temps que des proverbes bibliques - "Qui manie l'épée périra par l'épée", etc. Le vieux Clam qui, flanqué d'un valet un peu simplet, répondant au curieux nom d'Hénoch, exploite au fond d'une vallée perdue, dans une ancienne scierie, un élevage de lapins ainsi qu'un zoo calamiteux recueillant des animaux estropiés : lynx à trois pattes, pies aux ailes brisées... Cela pour le décor en trompe-l'œil, car il suffira que débarque inopinément la jeune propriétaire de la maison voisine, à la recherche de son mari, pour que tout, soudainement, bascule. Dans l'horreur. Dans un hallucinant cauchemar. Dans le fantastique pur. N'en dévoilons pas plus, sinon pour indiquer que c'est un peu comme si, page après page, le sol s'ouvrait littéralement sous les pas du lecteur téméraire, laissant affleurer les forces du mal, une sorte de horde de morloks... Grand frisson garanti.

     

    Fantastik

    Toute la fantaisie de la BD. Bayonne, [juillet-août] 1983, bimestriel, n° 16. Gilles BERGAL, page 79

    Autre auteur qui s'est distingué dans la collection Angoisse (mais dans les derniers volumes, celui-ci) : Pierre Pelot qui, à l'époque, signait encore Suragne. Pelot s'est apparemment souvenu du métier appris par Suragne, le temps d'écrire La Nuit sur terre, qui vient de sortir dans la collection Sueurs froides, chez Denoël. Je prétendais récemment qu'il était impossible d'écrire un vrai roman d'horreur situé en France, Pelot vient de m'infliger un démenti éclatant. L'horreur existe au fin fond des campagnes françaises, Pelot l'a rencontrée.

    Au début du roman, rien que de très normal : une maison de campagne dans laquelle un mari peu scrupuleux amène ses conquêtes, une femme qui l'apprend grâce à un ami anonyme, et de paisibles voisins tenant un zoo minable du genre de ceux que l'on rencontre parfois au détour d'un chemin de terre. L'un des deux est un vieillard qui sent son heure approcher, l'autre, son aide, est un demeuré qui bave d'envie devant les jolies dames qu'amène chez lui le monsieur de la ville.

    Et l'horreur, dans tout ça ? L'horreur arrive insidieusement. L'horreur est présente dès le début, vous prend dans ses rets, et vous étrangle brusquement quand vous pensez avait tout compris et n'avoir affaire qu'à une banale histoire policière.

    Écrire un roman d'horreur sans recourir au fantastique n'est pas chose aisée, c'est pourtant ce qu'a réussi Pierre Pelot avec ce livre, et peut-être est-ce là le secret d'une si éclatante réussite : ce livre est d'autant plus angoissant que l'histoire est presque plausible, et quand je dis presque, c'est uniquement pour me rassurer.

     

    Fiction

    N° 343, septembre 1983, page 173

    Pierre Pelot écrivant du "gore", c'est dans La Nuit sur terre, un faux polar publié chez Denoël (Sueurs froides) ! Cette histoire de mongoliens en train de copuler sous une scierie en ruine est un bel exemple de mauvais goût comme je l'aime et c'est en me pinçant les narines que je vous le conseille joyeusement ! Sacré Pelot, va !

     

    L'Almanach du crime 1984

    Octobre 1983. Michel LEBRUN, page 307

    Elle s'appelle Jos Halmer. Elle débarque, seule dans la maison des Vosges où elle fut heureuse avec son mari, dans le temps. Patelin au bout du monde, juste une vieille baraque à côté, où deux inquiétants ploucs, Clam et Hénoch vivent d'on ne sait quoi, et prétendent tenir un zoo d'animaux étiques. La sinistrose totale, où la jeune femme est venue se détendre, tu parles! Entre les rats, le temps dégueulasse, les voisins visqueux aux regards comme des limaces, c'est vraiment pas Naples au baiser de feu à Mogador. D'autant que, c'est à n'y pas croire, sous la terre, oui, juste en-dessous, semblent vivre d'étranges créatures! Ca commence comme un polar-Pelot traditionnel, avec les deux compères inquiétants et la femme qui déboule, ça se poursuit comme Théophraste Longuet avec peuple souterrain, et ça se termine comme au Grand Guignol. Moi, si vous voulez le fond de ma pensée, Pelot est un gros farceur, qui tire sur l'élastique pour voir jusqu'où il peut aller trop loin. Et si lui veut le fond de ma pensée, il n'est vachement pas loin du point de rupture.

     

    7 à Paris

    Mai 1987. Sophie CHERER

    Un polar visionnaire, fantastique, zoologique et effroyable. Prévoir une nuit blanche.

     

    Télérama

    Monique LEFEBVRE, citée dans la 4ème de couv., éd. de 1997

    Un livre fantastique dans tous les sens du terme... Difficile d'imaginer plus fou, plus effrayant, plus monstrueux...

     

    La Liberté de l'Est

    22 octobre 1997. Raymond PERRIN

    Pierre Pelot : come back puissance 4

    En attendant la parution du deuxième tome de sa saga préhistorique prévue début 1998, Pelot offre à chacun l'occasion, grâce à des rééditions automnales, d'apprécier cinq facettes de son talent multiforme.

    [...] Qu'un roman noir devienne un roman de terreur importe peu quand il s'agit de l'excellent récit La Nuit sur terre, d'autant que ce glissement d'un genre à l'autre permet à un des rares écrivains français d'accéder à la collection Pocket, l'apanage presque exclusif des Anglo-Saxons. D'ailleurs le récit flirte avec un fantastique étonnant, né d'un quotidien qui ne recourt jamais au surnaturel. L'épouse infortunée Josiane Halmer ne s'attendait pas à être kidnappée par son voisin, Clamessey, éleveur, mais surtout "corbeau" et vengeur biblique. Les entrailles de sa scierie vosgienne cachent un univers monstrueux insoutenable. Ce livre dont la langue est superbe, est un des meilleurs Pelot, virtuose du frisson. [...].

     

     

    30 juin 2004. Raymond PERRIN

    Basculement dans la nuit la plus noire

    Le récit qui flirte le plus avec l'horreur et le fantastique, peut-être le chef d'œuvre du roman noir pour Pelot, c'est La Nuit sur Terre, paru dans la collection Sueurs froides, au titre justifié.

    Il ne paraît pourtant pas bien méchant, ce Clam vite rencontré en train de mâchouiller sans cesse des grains de café en surveillant son curieux zoo, installé au fin fond d'une vallée perdue. Et Jos Halmer, venue en train pour se reposer dans la maison de son mari Jean-Claude, n'a pas de raison de se méfier. C'est d'autant plus étonnant que lorsque l'épouse infortunée et enceinte d'un mari volage se rend au fond d'un écart de village, ni elle ni le lecteur ne se doutent du sort qui l'attend. Qui croirait que, dans ce coin perdu des Vosges, "les flancs des montagnes resserrées semblaient soudain prêts à se refermer sur vous, à tout instant. C'était comme un piège de silence et d'immobilité...". Elle craindrait plutôt le fils de Halmer, Hénoch, si adroit de ses mains ! "Au cœur de la nuit", ne sentira-t-elle pas ses jambes et ses cuisses incisées comme par la lame du couteau de Henoch, le valet de ferme de Clam, si rapide lorsqu'il dépouille les lapins ?

    Elle est d'ailleurs autrement préoccupée. Des photos prises en ces lieux, et qu'une âme sans doute "charitable" lui a envoyées, prouvent que son mari la trompe alors qu'elle attend un enfant. Pourtant, ces petits malheurs ne sont rien en comparaison du cauchemar qu'elle va devoir subir. Son tortionnaire sera même assez habile pour effacer dans son esprit toute trace de ce qu'elle aura vécu. Son mari, prisonnier, cloîtré, drogué dans les souterrains cachant des turpitudes et des monstruosités inimaginables, aura beaucoup moins de chance. Clément Clamessey, corbeau à ses heures, citant la Bible et se prenant pour Caïn, va faire connaître des enfers insoupçonnés au couple, donnant libre cours à ses pires fantasmes.

    Il faut avoir l'âme et le cœur bien accrochés pour affronter l'univers oppressant et cauchemardesque de ce roman d'où surgissent brutalement rats crevés, fœtus, breuvages mortels et autres joyeusetés, souvent souterraines, garantissant un basculement inattendu dans l'horreur la plus nue et le frisson durable. Dans les entrailles de la scierie, les deux portes de la terre et des eaux sont gardées par Henoch et son frère, Méhujaël, auprès de qui Quasimodo aurait l'air d'un Don Juan !

    Là s'entassent toutes les créatures épouvantables et difformes, tous les spécimens de malformations génétiques "tordus, bossus, boiteux, déhanchés, pustuleux, croûteux, suintants, bulbeux...".

    De ce séjour au pays de l'indescriptible et de l'insoutenable, personne ne sort indemne, surtout lorsque Clam, en claquant ses talons sur la vanne qui retient les eaux, a l'impression que "les montagnes n'attendent qu'une occasion pour se fendre et s'écrouler, et nous écrabouiller tous autant que nous sommes."

    Ce roman fait éclater le cadre du thriller pour atteindre un fantastique né, au départ, de la réalité la plus banale qui implose finalement au cœur d'un enfer souterrain défiant l'imagination. Impressionné par Cujo de Stephen King, Pelot atteint son objectif de "toucher le fantastique sans déborder le surnaturel".

    La Nuit sur terre est publié chez Denoël depuis 1983. Il est paru en Presses Pocket, dans sa collection Terreur en 1997.

     

    Page créée le jeudi 6 novembre 2003.