La Méditerranée n'est plus ce qu'elle était. Elle est devenue la Mer Damnée, balayée par le froid et la Pourriture. Pourriture sur la mer, à la surface boueuse. Pourriture sur les hommes dévorés de cloques, crucifiés par des brûlures insoutenables. Un programme est en cours pour vaincre le fléau. On rassemble les habitants : les malades sont abattus, les autres sont évacués en attendant la désinfection.
A moins qu'on ne dise pas toute la vérité aux gens… Polynésie, cette petite fille, le comprendra très vite. Hierro le chasseur mettra plus longtemps. Et pourtant il est pressé. Il a attrapé la Pourriture. (4ème de couverture, 1982).
ELLE était revenue à elle une première fois, dans le courant de la nuit. Ensuite, elle avait dû retomber dans l'inconscience ; à moins que la terreur et la tension nerveuse accumulées l'aient fait glisser dans le sommeil pour protéger sa raison…
Et voilà qu'elle refaisait surface.
Pour l'instant, la résurgence n'était que pénible - donc, supportable -, mais cela risquait de se déchirer quelque part et de l'engloutir si elle ne rassemblait pas rapidement toutes ses forces. Ses pauvres et maigres forces… Sensation d'étouffement, respiration difficile qui lui mettait la poitrine en feu, elle était là, recroquevillée, enchaînée au fond de quelque puits, avec ce tunnel de pierres noires lancé au-dessus d'elle et menaçant de s'effondrer à tout instant et de l'écrabouiller.
Il n'y avait pas de puits.
Elle s'appelait Polynésie.
Un ourlet de gel blanc scellait ses paupières closes. Elle aurait pu ouvrir les yeux, mais non. Pas encore. Il lui fallait reprendre pied, se ressaisir. S'habituer à l'horreur. Car elle se souvenait.
Au bout d'un moment, des larmes chaudes firent fondre partiellement les perles de givre accrochées à ses cils. Les larmes de l'œil droit coulèrent le long de son nez, puis tombèrent goutte à goutte.
Elle ne bougeait pas sachant très bien où elle se trouvait ; dans sa tête défilaient en chapelets des images de fer et de feu, de fureur et de vacarme, tombées de l'autre bout du temps… ou bien âgées de quelques heures seulement : comment être sûre, à présent ? Des images incrustées à jamais dans sa mémoire et dont le souvenir la ferait longtemps frissonner d'épouvante. Si elle vivait longtemps.
Le vent glacé sifflait quelque part au-dessus d'elle, mais ne prodiguait que des caresses légères à son corps nu : des attouchements furtifs au creux des reins, le long d'une cuisse, à la pliure interne du genou, sur la pointe d'un sein. Elle était à l'abri.
C'était mou, contre son corps. En même temps, c'était hérissé d'ergots durs : comme un entassement de pièces de mousse et de morceaux de bois. C'était froid. Ça puait.
Le ciel était d'une couleur laiteuse et sale.
Le froid, très certainement, avait tiré Polynésie de l'inconscience. Du givre en pointillé piquait le bord de sa lèvre supérieure, lui dessinant, sous les narines, une moustache carrée de vieillard chenu. De la salive avait coulé à la commissure de sa bouche et gelé sur son menton. Sur sa joue gauche, le sang, lui aussi, avait gelé.
Elle attendit, sans bouger. Raidie. Pareille à tous les autres, - à ceci près qu'elle respirait, elle. L'air glacé taillait au rasoir dans ses poumons, mais elle ne pouvait pas faire un seul geste. Elle attendit, comme ça, pendant plus d'un quart d'heure.
Dehors - au-dehors d'elle-même -, vibrait ce silence de gel dur, comme une immense crispation, griffes plantées dans cette portion d'univers. Et le vent.
Polynésie comprit qu'elle avait peut-être une chance de s'en tirer vivante - puisqu'elle se trouvait là, au bout de ce voyage et de cette nuit d'enfer, puisqu'elle respirait encore le froid noir du matin revenu ; alors une peur métallique s'installa dans ses muscles ankylosés et jusqu'au fond de ses os. Elle fit un violent effort pour se maîtriser… Il ne fallait pas se dresser en hurlant, jaillir, s'extraire hors de la fosse et filer à toutes jambes au-devant d'une probable rafale de P.M. Elle eut mal. Mal aux jambes, au dos. Mal au crâne - et au visage, sous le masque déchiqueté de sang durci.
Enfin elle ouvrit les yeux, perçut le petit bruit fragile de ses faux cils de givre qui se décollaient. Son champ de vision, excessivement limité, baignait dans une pénombre grise. Elle habitua son regard et distingua, à une dizaine de centimètre, les parties génitales fripées et blêmes, d'un homme au ventre lourd. La bedaine du mort pesait sur la tête de Polynésie. En dessous, il y avait une femme, couchée de travers, arquée, et la joue de Polynésie reposait sur sa poitrine glacée. La tête de la femme était cachée par les jambes velues d'un autre cadavre masculin.
Archipel
Revue de la SF francophone, bimensuel, n° 4, décembre 1982. Didier GIRON, page 10
L'humanité se délite lentement, dans un monde corrompu par la pollution, la maladie, l'abandon. Le temps joue contre l'espèce humaine, brutalement frappée par une mutation génétique qui lui fait procréer des enfants différents d'elle-même, des "Supérieurs". Comme l'homme se résigne à l'extinction, tandis que les Supérieurs étendent leur domination, parquant leurs ancêtres dans des réserves à l'odeur de mouroir...
Ce deuxième volet de la série des Hommes sans futur est encore plus durement écrit que le précédent. On y retrouve un trio de personnages principaux, une femme et deux hommes, qui évolue sur un fond aussi sordide que puisse imaginer Pelot. Ce roman, noir et désespéré s'il en est, ne manque pas de scènes particulièrement cruelles et de morts horribles. Comme si l'agonie d'une race devait nécessairement se terminer par une curée.
Le style de Pelot est sans complaisance, sans illusion, et reflète parfaitement son thème. Si le premier tome avait quelque peu une allure de western, celui-ci ressemblerait plutôt à un polar vraiment réussi.
Ce roman, ce n'est qu'une tranche, un épisode parmi tant d'autres, de la mort lente des hommes. Mais il est magnifique, excellent, mené de la main d'un maître : Pierre Pelot. Et la qualité de cette série semble pour l'instant s'affermir encore. On attend la suite avec impatience...
Magazine littéraire
N° 190, décembre 1982. Jacques CHAMBON, page 59
Il me semble bon aujourd'hui de braquer le projecteur sur la science-fiction française dont quelques-unes des dernières productions tranchent assez nettement sur le paysage dessiné, toutes frontières abolies, par l'ensemble du genre - un genre que l'on sent ici comme ailleurs à la recherche d'un renouvellement, où de nouveaux talents préparent la SF des années 80 tandis que les anciens vieillissent plus ou moins bien, mais qui reste généralement avare de grandes surprises […].
Avec Saison de rouille paraît le deuxième volume de la série des Hommes sans futur. Cette autre histoire de traque dans un monde déséquilibré par l'apparition d'une race d'Hommes Supérieurs ne dépare pas toute cette brillante noirceur et si Saison de rouille il y a, ce n'est pas celle du talent du presque vétéran Pierre Pelot.
Fiction
N° 337, février 1983. Claude ECKEN, page 159
Plus réussi que le premier, ce second épisode des Hommes sans futur se présente comme un livre extrêmement sombre et désespéré. Le ton Pelot demeure cependant, vibrant de chaleur humaine derrière la rudesse du récit.
L'Homo Sapiens assiste toujours, impuissant, à sa disparition encore accélérée par les expériences manquées des Supérieurs, leurs remplaçants. Fruit de leurs manipulations, une nouvelle maladie épidémique décime les rangs des derniers hommes.
Ce livre aux images très dures, aux scènes d'une violence exacerbée et d'un pessimisme saisissant, retrouve quelques accents de Et puis les loups viendront. Derrière la déchéance et l'avilissement de l'humanité se profile la mort, glaciale et impitoyable, que le héros ne parvient pas à accepter avec sérénité, comme le montre la très belle fin de ce livre, sur les notes de l'angoisse, du renoncement et du désespoir.
Il n'y a pas d'analyse dans les récits de Pelot. L'auteur ne propose comme sujets de réflexion que ceux que le lecteur voudra bien y trouver. Pas de philosophie de l'existence, donc, mais une description de la vie à l'état brut.
Saison de rouille en est un exemple réussi.
SFère
Le magazine du club Rencontres SF, N° 1. Sans date (1983), ronéoté. Éric MOUREY, pages 7-13
L'Année 1982-1983 de la Science-Fiction et du fantastique
Dirigée par Daniel Riche. Paris : Temps futurs, 1983. Page 122
L'écologie, encore. La Méditerranée n'est plus ce qu'elle était... Elle est devenue la Mer Damnée, balayée par le froid et la pourriture.
Phénix
Bruxelles : Lefrancq, 1998. N° 46, [avril 1998]. Christophe CORTHOUTS, pages 271-272
Voici donc le second volume de la série des Hommes sans futur de Pierre Pelot. Pour ce second chapitre, Pelot nous emmène sur les bords de la Méditerranée, une Mare Nostrum tellement polluée qu'elle se réduit à une immense flaque de pollution porteuse des maladies les plus létales. L'une d'entre elle, "La Pourriture" comme la nomment les habitants fait de tels ravages qu'une évacuation totale du secteur du Delta (géographiquement dans le sud de la France) a été commandée afin de pouvoir entreprendre la construction d'un monde meilleur, débarrassé de toute forme de pollution. Le lecteur est amené à suivre cette aventure apocalyptique au travers des yeux de deux personnages que tout oppose. D'une part Hierro Setiembre, "chasseur" au service de la société mise sur pied pour faire le "ménage", et d'autre part Polynésie, jeune fille au caractère trempé, qui apprendra très vite ce qui se cache derrière les bonnes intentions de la soldatesque.
Vous en dire plus serait déflorer un roman aux surprises multiples, à l'écriture toujours aussi travaillée, mais à l'intrigue un peu tirée en longueur. L'ombre des "Supérieurs" plane toujours sur le monde, mais nous en apprenons moins sur leur univers que dans Les Mangeurs d'argile et le lecteur reste parfois sur sa faim (paradoxal pour un roman un peu longuet, je vous l'accorde).
Bref, un roman qui s'élève facilement au-dessus de la masse des sorties (ou ressorties) SF de ces dernières semaines, mais au vu des Mangeurs d'argile, nous en attendions un petit peu plus… Ce sera sans doute pour le troisième volume.
Galaxies
N° 8, avril 1998. Claude ECKEN, page 183
Saison de rouille est également le sujet de traques multiples dans une Camargue contaminée par un virus, où les populations, sous couvert d'évacuation, sont impitoyablement éliminées : Polynésie, une rescapée, entend retrouver Hierro, responsable d'un de ces massacres. Celui-ci, contaminé, échappe à la quarantaine afin de battre le score de son principal rival et de retrouver le Supérieur qui se cache parmi la population. Récit sanglant, d'une violence qui n'est pas sans rappeler celle du Sourire des crabes, ce roman âpre est un saisissant instantané du déclin de l'humanité.
La réédition de ce cycle, qui comprend six romans à ce jour, résonne d'échos nouveaux depuis que Pelot s'est lancé dans la rédaction d'une saga préhistorique contant l'émergence de l'espèce humaine : en se situant aux deux extrémités, il se fait le chantre de ceux dont les luttes pour se forger une destinée ou refuser un destin ont été ou seront vouées à l'oubli, le conteur de toutes les histoires qui échappent à l'Histoire mais qui parlent toutes, avec peut-être plus de vérité, de l'Homme.
Femme actuelle
N° 707, du 13 au 19 avril 1998. Brigitte KERNEL et Éliane GIRARD
Pierre Pelot est passionné par les origines du monde et de l'homme. Se projeter dans l'avenir tout en s'amusant des théories de l'évolution attise son inspiration. Dans ce deuxième volume d'une série de six (à paraître), dont le premier est intitulé Les Mangeurs d'argile, il fait de nous, pauvres humains, des êtres sans futur réduits à disparaître pour être remplacés sur cette terre par des "supérieurs", individus patients qui, nous ayant littéralement "parqués", attendent notre extinction. Pelot l'évolutionniste nous terrorise et nous captive. Vous allez adorer avoir peur.
La Liberté de l'Est
23 septembre 1998. Raymond PERRIN
Saison de rouille a pour cadre une Méditerranée souillée. La jeune rescapée Polynésie entreprend, avec l'un de ses bourreaux atteint par la "pourriture" virale, une odyssée sanglante.
Page créée le lundi 3 novembre 2003. |