Dans l'avenir, on sera vraiment "branché". Le SPD remplacera les rêves. SPD : Sommeil Paradoxal Dévié. Une technique révolutionnaire qui permet d'installer la télévision dans votre cerveau. Les téléviseurs académiques, vieux et encombrants, sont dépassés. Désormais, on vous adapte un simple relais auriculaire, un vrai petit bijou, et les images défilent dans votre tête. Vous pouvez, pendant votre sommeil, consommer l'actualité mondiale, les films, les reportages... Vos rêves les plus fous ne sont plus que le reflet de la réalité, les frontières s'effacent. Qu'y gagne-t-on ? Un plus grande disponibilité, un sentiment de liberté. Qu'y perd-on ? Peut-être, précisément, la liberté.
Le SPD n'est-il pas le meilleur moyen de faire régner l'ordre jusque dans l'inconscient ? Le gros Diph Bilbee, nostalgique des sous-cultures populaires du XXéme (il a pris le nom d'un personnage de dessins animés) va être amené à se poser la question. Sa compagne, Kim Sciovva, victime d'une implosion de récepteur SPD, est plongée dans un coma profond. Véritable morte-vivante, prisonnière de l'enfer d'une mémoire folle, elle devient la source d'émissions sauvages. Daniel Montclément, représentant des appareils Thom-Phil, a effectué un branchement illégal, provoquant la mort d'une cliente. Exclu de la communauté audiovisuelle, il va lui aussi tout remettre en question. Les médias de l'avenir ne seront décidément pas tristes... (4ème de couverture, 1982).
Après le départ des contrôleurs de l'assurance Thom-Phil, deux clients, que Diph Bilbee ne connaissait pas, poussèrent la porte du magasin. Ils étaient les bienvenus...
Diph et les jeunes gens parlèrent de bandes dessinées (ce procédé de narration alliant graphisme et texte, complètement tombé en désuétude) pendant plus d'une heure ; ils envisagèrent des possibilités d'échanges, les deux jeunes se révélèrent des amateurs plus qu'éclairés - à les entendre, ils possédaient en commun une multitude d'albums et même des numéros doubles de journaux en bon état, de magazines hebdomadaires pour la jeunesse des années soixante-dix. Ils achetèrent un album de Jeleu, ainsi qu'un autre signé Druillet, dépourvu de couverture mais authentifié. Ils s'en allèrent sur la promesse de revenir bientôt avec une cargaison de numéros doubles...
La rue se trouvait maintenant tout à fait dans l'ombre ; seuls, les hauts toits zingués des immeubles brûlaient sous le soleil. Les heures chaudes passées, des promeneurs allaient et venaient, dérangeaient les pigeons. Diph Bilbee n'était plus tout à fait ce naufragé solitaire sur la planète morte des instants précédents.
Il se sentait moins oppressé. Un peu de cette fatigue énorme qui lui plombait les reins et les jambes s'était envolée. S'il transpirait toujours d'abondance, il n'y accordait plus de véritable attention et gardait son mouchoir au fond de sa poche. L'exposé clinique et les diverses réflexions toutes professionnelles de Matthieu Vilmo, l'un des contrôleurs de l'assurance, toujours imprimés dans son souvenir, avaient perdu un peu de leur méchant pouvoir corrosif (ou de ce qu'il avait ressenti comme tel...) Sa gorge lui piquait. Une coulée de transpiration descendit le long de sa tempe gauche, poussant le chatouillement jusqu'au milieu de sa joue semée de poils roux.
15 h 12 à sa montre. Le temps rampait. Diph Bilbee, vingt-cinq ans, un mètre soixante-quinze, cent treize kilos... Kim Scciova, trente-trois ans, morte depuis cinq ans... Diph aurait donné une fortune (qu'il ne possédait pas) pour voir s'achever le jour dans l'instant. De longues heures devaient encore grignoter sa patience avant que le soleil rouge s'enlise là-bas, dans les brumes d'ouest, quelque part sur l'horizon flou de la ville géante. Le jour des contrôleurs était véritablement une épreuve, sans que Diph puisse analyser raisonnablement cette montée d'angoisse qui, après avoir culminé à l'instant de la rencontre, retombait de quelques degrés ensuite pour ne s'évanouir tout à fait qu'une fois donné le coup de gomme nocturne.
Admettre que la venue des contrôleurs de la Thomp-Phil traduisait l'irruption inévitable du réel hostile dans son univers de reclus volontaire était douloureux pour Diph. Ce réel, il n'en voulait plus. Une matrice de malheur, d'agressions permanentes, de frustrations, voilà ce qu'était le réel... Un carcan trop étroit imposé dès sa naissance comme une torture permanente. Et lorsqu'il avait cru pouvoir s'en accommoder, d'une certaine façon y échapper, les boucles de la camisole s'étaient serrées d'un cran : le monde entier avait hurlé sa présence étouffante en provoquant l'accident qui avait tué, ou presque, Kim Scciova - sa bouée de sauvetage.
Dédicace : Aux quatre points cardinaux, cela va sans dire.
Épigraphe : Le mot oiseau n'a rien de décourageant et pourtant il y a des oiseaux qui ne volent pas (Jehan Mayoux).
Ère comprimée
Revue bimestrielle, n° 15. Bayonne, avril-mai 1982. Richard D. NOLANE, page 6
Honnêtement, je me demandais si on allait avoir un jour un bon roman de SF français dans la, par ailleurs, excellente collection dirigée par Robert Louit. On avait eu droit à un Douay assez moyen, suivi par une brochette d'insanités dont les plus belles portaient la signature de Curval et Berthelot. Et bien, réjouissez-vous, braves gens, une fois de plus la cavalerie Pelot est arrivée à la rescousse de la SF française.
Véritable usine littéraire, Pelot avait pratiquement toutes les grandes collections à son palmarès (avec, à chaque fois, au moins une réussite notoire) et il ne lui manquait plus que la C.L.A. (là, ça risque d'être dur...) et Dimensions. Maintenant, c'est fait pour cette dernière.
Je ne voudrais pas déflorer Les Pieds dans la tête en dévoilant le scénario : non, je préfère insister sur des traits qui m'ont frappé à la lecture, comme cette volonté évidente de Pelot de fignoler l'écriture, comme cette situation fascinante dans laquelle évoluent les personnages (la TV de demain, en direct dans votre crâne), comme les personnages eux-mêmes (cette Kim Sciovva victime d'une implosion de son "poste" crânien) ou comme cette dénonciation inédite des pouvoirs des médias. On retrouve là toute la fougue et le savoir-faire de Pelot au service d'un de ses romans les plus ambitieux et les plus réussis. Un régal.
Fiction
N° 331, juillet/août 1982, page 208. Emmanuel JOUANNE
Robert Louit avait promis des "surprises" côté auteurs français dans Dimensions SF, et il tient ses promesses : Pierre Pelot, le plus prolifique (et de loin!) de nos écrivains nationaux, celui que les critiques ont l'habitude d'étiqueter "populaire", pénètre dans celle de nos collections qui fait, peut-être, le moins de concessions à la "commercialité", et qui se soucie aussi peu que possible d'être uniforme aux yeux du public.
C'est que, au fond, quelque chose rapproche Dimensions de Pelot : l'unité de l'une et de l'autre se rattache à une personnalité forte. Dimensions, c'est avant tout Robert Louit et ses goûts, de même que ce qui lie entre elles les oeuvres si diversement "ciblées" de Pelot, c'est la personnalité de Pelot. Les Pieds dans la tête est un nouveau cri, une nouvelle dénonciation de la mocheté du monde, un nouvel appel à l'amour. Diph Bilbee, caractère central du livre, est un pur produit de la misère la plus sordide, rejeté du corps social, à la vocation ratée, et qui veille sur le corps plongé dans le coma depuis cinq ans de son unique amour... Les gens se promènent en étant branchés en permanence sur les réseaux de télévision dont les images font irruption directement dans le cerveau.
Paradoxalement, c'est le fonctionnement implacable de cette mécanique broyeuse d'individus qui, en brassant indifféremment les existences grises des uns et des autres, va permettre à Diph Bilbee d'envisager l'avenir sous des couleurs plus optimistes. Ou ne sont-elles pas optimistes ?
Les Pieds dans la tête est, comme l'on pouvait s'y attendre, parfaitement construit, et s'affirme comme l'une des oeuvres les plus "écrites" de Pelot - et autant pour les poseurs d'étiquette! C'est aussi, dans le domaine français, l'une des réussites les plus fortes de Dimensions SF, à ne rater sous aucun prétexte.
L'Année 1982-1983 de la Science-Fiction et du fantastique
Dirigée par Daniel RICHE.- Paris : Temps futurs, 1983, page 122
A failli faire partie des 30 Hits 82. Un roman effroyable, terrifiant, désespéré. Le plus écrit des livres de Pelot.
Le Science-fictionnaire
Paris, Denoël, 1994, tome 1 (Présence du futur, N° 548). Stan BARETS, page 316
Connaissez-vous le S.D.P. ? C'est le Sommeil Paradoxal Dévié, une technique révolutionnaire qui permet d'implanter la télévision dans le cerveau. Finie la distinction entre le rêve et la réalité!
Les médias de l'avenir en folie.
La Liberté de l'Est
14 février 1995. Raymond PERRIN
Pierre Pelot : un maître reconnu de la science-fiction et du fantastique français
[...] Un nouvel opium : les médias de l'avenir
L'Amérique et les médias suscitent chez Pelot les mêmes sentiments ambivalents et contradictoires d'horreur et de fascination. Comment ce fou d'images ne se sentirait-il pas impliqué dans le procès de la télévision ou de la vidéo, lui qui s'est nourri d'images cinématographiques ou vidéo.
Les médias de l'avenir trouvent leur apogée dans Les Pieds dans la tête. On implante maintenant la télévision directement dans les cerveaux. Diph Bilbee, devenu émetteur vivant, se rend compte qu'il peut émettre des signaux indétectables. Ainsi il est capable d'insinuer le doute et une pensée différente du discours officiel toléré … qui a tué son amie ! [...]
Page créée le samedi 1er novembre 2003. |