Zèke Paillette le pêcheur se retrouve parfois projeté dans un futur assez noir...
Le vent courait sans s'énerver, sud-ouest-nord-est, tout juste pour dire qu'il était le vent, tout juste pour maintenir le ciel dégagé, comme une grande cape bleue bien repassée dont les pans reposaient, en ronde corolle, aux quatre points des horizons dentelés de la forêt.
Il y a deux saisons au Québec, vous diront tous les Québécois, sur un sourire-clin d'œil et un joli roulement d'accent : l'hiver et le mois de juillet.
C'était juillet, fidèle au rendez-vous, comme tous les autres juillets passés et comme ceux qui viendraient. Ciel bleu, chaleur épaisse, lourde, et chaque instant de la journée semble étiré, allongé au maximum dans le temps : le matin n'en finit pas, le midi n'en finit pas, l'après-midi n'en finit pas, le soir n'en finit pas. C'était l'après-midi de ce jour-là et ce jour-là était dimanche.
Le soleil avait tourné, et du même coup les ombres qu'il tirait au sol. Cette chaleur nouvelle plaquée sur son visage tira Zèke Paillette de sa somnolence. Il ouvrit les yeux.
Des insectes zizillaient dans les hautes herbes sèches en bordure du lac. La forêt, alentour, était grasse et dorée, mélèzes, sapins et bouleaux tressant le décor épais qui enfermait le lac. Un calme de bout du monde régnait sur l'endroit. Mais ce n'était pas le bout du monde, juste le lac Porte-Vent, à quelques miles à l'est de L'Outardière (4 000 habitants) sur le cours de la rivière Mistassini, 115 miles à vol d'oiseau au nord du lac Saint-Jean. Ce n'était pas le bout du monde : en prêtant l'oreille, on pouvait entendre les miaulements plaintifs qui montaient par intermittence au-dessus de la scierie Grand-Amour, au nord de L'Outardière et sur la rive gauche de la Mistassini ; de plus, par bouffées paresseuses, le vent charriait parfois des odeurs qui n'étaient pas celles des solitudes mais qui provenaient directement des tanneries Bonaventure, sur l'autre rive de la rivière.
Zèke avait glissé, pendant son sommeil. Allongé sur le dos, il regarda un moment le tronc du bouleau qui fuyait au-dessus de lui, et les feuilles qui tremblaient dans la lumière. Il ne se souvenait pas de s'être endormi : le sommeil avait dû lui tomber dessus comme un coup de poing. Une curieuse sensation de flottement pesait dans sa tête.
Page créée le jeudi 30 octobre 2003. |