Nashez, le Supérieur de Yorgom, sait depuis toujours qu'il ne vieillira pas sur cette planète. Yorgom n'était pas un but. Tout au plus une étape. Et Nashez, de la Forteresse, contemple l'hiver, un des plus rudes de la Galaxie, le trente-huitième hiver depuis la conquête. Le dernier, et il le sait. Les autres se demandent pourquoi les habitants de Yorgom, les Shisals, sont si insensibles aux bienfaits de la colonisation. Ils préfèrent consommer le chitache et vivre en communion avec la nature.
Paradoxalement, il y a des rebelles parmi ces non-violents. Et voici qu'ils passent à l'attaque. Par surprise ? On ne le dirait pas. La répression tourne au génocide. Et dans tout l'Empire, l'affaire fait scandale. Il faut offrir une compensation aux survivants du peuple martyr. Nashez a prévu tout cela. L'opération Y-Z va-t-elle réussir ? (4ème de couverture, 1980).
L e soldat marchait devant Gyllia, d'un pas lent et balancé. Les talons ferrés de ses bottes griffaient le sol dallé du hall de la maison. Il était extraordinairement massif, avec des épaules très larges, un peu tombantes, mais bourrelées de muscles. Sa nuque était épaisse, rougeaude, comme un trait de chairs vives entre le col de la pelisse d'ours gris et le bord du casque de cuir fauve. Il ressemblait, en fait, à tous les soldats de l'Empire et ne possédait guère de trait caractéristique qui l'eût distingué tant soit peu de la masse anonyme et puissante des hordes conquérantes. Il était un soldat, parmi des centaines, des milliers d'autres soldats sur les terres occupées de Yorgom.
"Pourquoi serait-il différent ?" songea distraitement Gyllia.
Les Dieux savent qu'elle avait eu l'occasion d'en rencontrer beaucoup, qui venaient comme lui, puant l'alcool de gave et la fumée du shiff, pour une brève étreinte dans sa chambre de la basse-rue de Glaise-Ville… Et même avant, depuis toujours - depuis que ses yeux voyaient -, Gyllia connaissait les soldats de l'Empire. Elle était née en 4032 : l'occupation de Yorgom entrait alors dans sa douzième année…
Gyllia savait que les soldats se ressemblent tous. Petite fille, on le lui avait dit et répété. Par la suite, elle l'avait vérifié elle-même. Il fallait vivre avec eux, de la même façon que l'on vit avec le vent ou la neige, les ouragans du nord et les déluges de la première saison. C'est tout.
Les soldats étaient partout, dans toutes les villes et aussi dans les campagnes, sur les chantiers, partout. Ils dirigeaient les reconstructions, là où ils avaient semé la mort quelques années plus tôt, au temps de la guerre.
Yorgom avait cessé d'être une planète autonome et libre : c'était une colonie du grand Pacte Impérial. Une colonie parmi des centaines d'autres. Yorgom n'appartenait plus au peuple shisal ; c'était le temps des soldats.
Depuis longtemps, Gyllia ne prenait plus la peine de réfléchir. Elle avait cru comprendre que la réflexion était un luxe à tout jamais hors de portée du peuple shisal. Elle était de ce peuple ; elle était une Shisal.
Et les lions des montagnes enfermés dans les cages des zoos, est-ce qu'ils réfléchissent ? Pour quoi faire, sinon fuir ? Comme chacun sait, les lions des zoos ne s'évadent pas : il meurent.
Pourtant, depuis quelque temps, les prémices d'un changement s'étaient glissées dans l'ordre figé des choses. Surgie du fond de sa conscience endormie, une petite voix pimpante chuchotait : "Gyllia ! Gyllia ! Le soleil aurait-il retrouvé sa force ? Sera-t-il capable, un jour prochain, de percer le ciel gris de l'hiver qui règne sur Yorgom ?"
"Le soleil, Gyllia… Le Dieu Skô du peuple shisal… Va-t-il se réveiller pour toi ?"
Jamais encore, avant ce jour, Gyllia n'avait quitté les bas quartiers de la ville - ou si elle l'avait fait, c'était trop loin dans son enfance pour qu'elle en garde le souvenir. Et voici qu'elle franchissait l'enceinte du cœur de la haute ville, qu'elle pénétrait dans la maison d'un soldat.
La maison d'un chef…
Elle essaya de se rappeler son visage, et, bizarrement, n'y parvint pas. Quand elle voulait mémoriser ses traits, c'était toujours l'image anonyme d'un autre soldat qui s'imprimait sur l'écran sombre de ses paupières baissées. Elle eut un petit sourire, rapide. Allons, qu'elle se souvienne ou non du visage du Capt, cela n'avait guère d'importance. Il serait là, devant elle, dans quelques instants.
Par contre, elle n'avait pas oublié son nom : Piorth Ligam.
C'était un nom shisal.
Épigraphe : Le grand homme ne voulait qu'une petite, toute petite terre de la taille d'une peau de buffle où il ferait pousser les légumes pour sa soupe. C'est alors que nous aurions dû découvrir la fourberie de son esprit. (Paroles delawares, transmises par la tradition orale).
Dédicace : Pour Irma, depuis cette colline de Pog, sur Irockee - que nous n'atteindrons, j'en ai peur, jamais.
Libération
20 mai 1980. Docteur SOURIRE
Pierre Pelot prétend qu'il écrit lentement, mais qu'il ne fait que cela. Toujours est-il qu'il est l'auteur français qui a le plus de titres à son actif, et pas seulement en SF. Il écrit aussi des polars, des westerns, du fantastique, etc… Un vrai "pro" de l'écriture, quoi ! Dire que son œuvre soit d'une qualité toujours égale serait aller loin. Forcément, dans le tas, il y a toujours des scories : romans ficelés rapidement pour collections à grande diffusion. Pourtant ce mois-ci il sort coup sur coup trois ouvrages dans trois des collections importantes de SF. Pas bâclés du tout, ils montrent la diversité d'invention et la permanence d'écriture de leur auteur.
Avec Le Ciel bleu d'Irockee, Pierre Pelot retourne à un univers inspiré du western (après tout, il est l'auteur de la série des Dylan Stark). En SF, il est possible de faire que ce soient les indiens qui gagnent. Ici s'opposent les agents d'un Empire dont le machiavélisme est sans limite et qui ne répugne pas au génocide, et le peuple des Shisal, qui n'a comme arme face aux manœuvres impériales que sa faculté de communion avec la nature. Sur un thème proche, Pelot, qui signait alors Suragne, avait donné un admirable roman au Fleuve Noir : La Septième saison. Mais voici les derniers Shisals déportés dans une trop belle réserve, la planète Irockee. Est-ce enfin leur chance ? Ce petit livre se prend comme une bouffée d'air.
A&A infos
N° 55/55 bis, 20 mai 1980, ronéoté. ANONYME, page 7
Les données de l'histoire : un empire galactique face à un peuple opprimé; révolte de ce peuple et vive répression de la part de l'empire ; on offre par la suite une compensation aux survivants : une planète pour eux seuls. Qu'adviendra-t-il de cette nouvelle nation qui se crée, de l'empire ?
Oserais-je dire, comme d'autres l'on fait avant moi, que P. Pelot est réellement un des plus grands écrivains français de SF et qu'il nous le démontre à chacun de ses livres ? Ce roman où sont mêlés adroitement violence, écologie et poésie n'est qu'une étape de plus dans cette démonstration. A la prochaine, Pierre...
A&A infos
N° 56/56 bis, début juin 1980 (?), ronéoté. Deux avis
Celui de Jean-Jacques GALZIN, page 7 :
A l'actif de ce roman : un bon style qui change agréablement de certaines traductions américaines (et même de certains auteurs locaux), et une idée comme la SF les aime, bien paranoïaque et bien tortueuse, juteuse à point : une multiplanétaire (multinationale du futur) extermine un peuple à des fins très personnelles.
Le passif de ce roman, par contre, est assez important : la fin du roman est, à mon avis, bâclée, les personnages manquent de profondeur - ou je manque de l'imagination nécessaire à une bonne identification -, les astuces sont un peu naïves, le bien et le mal un peu trop tranchés à mon goût, et, toujours à propos de la fin, celle-ci est d'un optimisme béat qui m'a donné la nausée. En résumé : un roman qui aurait pu être un très bon, mais qui laisse une impression de brouillon, de hâte, enfin un Fleuve noir moyen égaré chez Presses Pocket...
Et celui de Gérard LAGARDERE, page 7 également :
Pelotons encore une fois. Il paraît que ça fait du bien, et du moment que ça ne rend pas aveugle... Ce livre m'a beaucoup plu. Je l'écris tout de suite, des fois que je l'oublierais. En fait, ce livre est double, car c'est, si l'on veut, deux nouvelles accolées, mais quel pied! Z'une chouette bataille où les méchants gagnent. Puis une revanche où ils perdent, revanche qui n'est pas sans rappeler La Septième saison d'un certain Suragne. Bref, à lire, et vite, et bon voyage!
Fiction
Septembre 1980, N° 311. Stéphanie NICOT
Pelot n'a pas la réputation de "faire dans la dentelle" ! La plupart de ses récits se caractérisent par des thèmes-choc, des personnages à l'emporte-pièce, un style parfois un peu rapide. Le but recherché, c'est l'efficacité, et Pierre mène souvent ses romans comme un conducteur de T.G.V. son engin ! Ce qui donne de temps à autre un petit côté schématique à ses charges féroces contre les institutions et les mécanismes sociaux.
Contrairement à un certain nombre de jeunes auteurs français, Pelot n'oublie cependant pas que ses lecteurs attendent un récit et non un tract. Et si Le Ciel bleu d'Irockee est bien un réquisitoire, la forme romanesque en fait une réussite totale.
Tout au long de ces 180 pages, on a donc une histoire. Thème initial : les habitants de la planète Yorgom se révoltent contre la domination de l'Empire, et c'est le génocide. Mise en situation : pour expier, les hautes sphères galactiques offrent la liberté et une terre édénique aux survivants. Question : est-ce réellement sans arrière-pensées, "de très haute bonne foi" comme le prétend le Pacte ?
Simple et efficace, la construction en deux parties met en scène successivement la planète détruite, puis la planète vierge, la mort et la possible renaissance. C'est l'occasion d'une violente dénonciation du colonialisme et de ses justifications pseudo-civilisatrices : "L'Empire ne force pas ; il offre, il propose, il aide les peuples à s'élever sur le chemin du progrès" (p. 81). Pelot décortique le racisme et son corollaire, la volonté de normalisation : "Ils se comporteront, le moment venu, comme de parfaits inadaptés sociaux - selon nos critères évidemment... Mais nos critères sont acceptés par tous..." (p. 177).
"J'aime qu'un propos intéressant soit soutenu par une histoire bien racontée." On ne saurait trouver meilleur résumé à cet excellent livre que cette phrase de l'auteur lui-même !
Sud Ouest Dimanche
15 juin 1980. Michel JEURY
Le Ciel bleu d'Irockee est un roman d'aventures spatiales où se croisent plusieurs veines de l'auteur. Un peu mince toutefois.
Catalogue des âmes et cycles de la S.F.
Paris : Denoël, 1981, nouv. éd. rev. et augm. (Présence du futur; 275).Stan BARETS, page 225
Pourquoi les habitants de cette planète sont-ils si insensibles à la colonisation ? Ils préfèrent consommer le chitache et vivre en communion avec la nature. Mais voici qu'ils passent à l'attaque et la répression passe au génocide.
Page créée le mercredi 29 octobre 2003. |