4ème de couverture, 1970.- Généralement, on peut lire sur ce verso d'un livre, ce qu'il est convenu d'appeler le "résumé page quatre de couverture". Il s'agit d'un texte de quelques lignes (écrites par le personnel de l'éditeur ou par l'auteur, cela dépend), qui est sensé donner une idée du contenu de l'ouvrage, doit aguicher le lecteur en puissance et déclancher un "tilt" dans sa tête qui le poussera à acquérir cet objet bizarre fait de pages et de mots imprimés. Dans le cas présent, l'éditeur a téléphoné un soir à l'auteur en lui disant : "Écoute, tu ne voudrais pas écrire le résumé de couverture ! Moi, je n'y arrive pas…". Je n'aime guère cet exercice qui de toutes manières, toujours, donne une fausse idée du livre. J'ai dit : "Bon, d'accord, je vais essayer…" Et j'ai essayé. Pendant quatre jours. Sans résultat. Alors quoi dire ? Que j'ai écrit cette histoire il y a quelques années déjà, que je l'ai relue récemment pour l'édition présente sans y changer un mot (ou presque). Qu'il n'est peut-être pas facile d'y entrer, pas plus qu'il ne m'a été facile de la modeler… Dire que pour moi Blues pour Julie est tout à fait irrésumable et avouer mon impuissance, là, ici, en tant qu'observateur extérieur de ce "roman". J'en suis heureux et désolé à la fois. Pierre Pelot.
4ème de couverture, 1984.- Vignault, l'écrivain, vit dans son Abri avec Mousse et le petit garçon. Ce n'est pas lui qui pense à raconter l'histoire de Julie, mai Jo Dague y tient et ne le lâchera pas avant que tout soit fini. Julie, la Plus Jolie. Elle est tombée dans un univers de carte postale où elle a une famille. Mais il y a des moments où le décor flageole comme s'il allait s'effacer ; et elle pense qu'il existe ailleurs un univers en ruine où elle est un personnage de roman. Le cataclysme a eu lieu quand elle était très petite, mais elle se souvient. Elle seule peut monter cette jument sauvage qui est le reflet de Vignault et qui l'aidera à s'échapper. Comment savoir si elle est autre chose qu'un mot ? Dague aime Mathilde, la fille de Julie. Il espère que Vignault pourra guérir la mère pour guérir la fille. Vaste programme. Mais Vignault ne tient pas à écrire cette histoire, parce qu'il sait comment elle finit.
La petite histoire... Au détour d'une page, Pierre
Pelot cite l'une de ses oeuvres : Les
Canards boiteux, publiée en 1979 (pages 120/1980, 132/1984).
Ce roman aurait été refusé une douzaine de fois par les éditeurs (cf. J.P.
Vernay, Fantastik N° 6), avant d'être publié chez Ponte Mirone.
J'AVOUE que je fus étonné lorsque j'appris l'existence de Dague. Je revivais le jour où pour la première fois je m'étais regardé dans un miroir - et où j'avais découvert ma propre existence.
Bien entendu, je n'ignorais pas qu'il fût en vie.
Il était une image en tout point semblable à tant d'autres images, qui parfois croisaient ma route, et c'est tout. J'imagine que je n'étais pas le seul à raisonner ainsi : j'imagine que tous les autres étaient un peu dans le même cas, et j'ai de très bonnes raisons : ma vie avait été analogue, et pendant très longtemps, pour les autres, j'avais eu l'apparence, moi aussi, et seulement l'apparence, d'une image qui parfois se trouvait sur leur chemin. C'était avant que je sois reconnu : avant qu'on m'accepte, bon gré mal gré, dans mon rôle.
Ce rôle, je l'avais choisi seul. C'était peut-être ce qui gênait l'entourage des autres personnages, qui tenaient des rôles octroyés d'office.
C'était certainement ce qui gênait, aujourd'hui, chez Dague. Lui aussi avait choisi, et le temps n'avait pas encore coulé pour confirmer ou rejeter son choix. Il se réduisant encore à l'apparence d'une image floue, d'une fumée.
Je découvris son existence le jour où il vint me rendre visite à la maison. Il n'avait pas téléphoné auparavant, ne m'avait prévenu de sa visite en aucune façon. Il surgissait. (C'était sa façon d'être, je m'en rendis compte par la suite. Il avait une manière à lui de jaillir, comme craché par le mur le silences et de bruits grinçants qui clôturait mon univers. Il était là, et il fallait bien, alors, compter avec sa présence. A chacune de ses visites éclair, il devenait de plus en plus vivant, si vous voyez ce que je veux dire. Il ne restait en ma compagnie, à chaque fois, que quelques minutes, puis il s'envolait. Et moi, je continuais, avec lui, avec le souvenir des paroles qu'il avait prononcées, avec le fardeau terrifiant de ses doutes, de ses peurs, de sa faim, tout ce poids gluant aux épaules…)
J'étais en train d'écrire quand pour la première fois il vint. J'étais ailleurs. Le grelottement de la sonnette me ramena sur terre, un peu éberlué, mécontent, énervé.
Je fus tenté, quelques secondes, de faire le mort, de répondre à l'appel par toute la force pesante de ma maison-coquille. Ma femme était absente, mon petit garçon aussi. Il n'y avait que moi, et une foule d'amis silencieux, obéissants, rangés sur leurs rayonnages dans mon bureau. Je baissai le son de mon magnétophone, immergeant dans le silence la musique des Pink Floyd.
De nouveau, terrifiante, la sonnette tinta.
"Bonjour, Monsieur Vignault", dit Dague d'une voie douce, basse, lorsque je lui ouvris la porte.
(Vignault n'est pas mon vrai nom, mais c'est ainsi que tous m'appellent, c'est sous cette étiquette qu'ils me reconnaissent. C'est de ce nom que je signe mes livres. Je me demande parfois s'il n'est pas le seul réel.)
"Bonjour", dis-je. Je ne lui donnais aucune étiquette. Et pour cause.
Il entra.
C'est ainsi que je découvris son existence.
Circus
N° 25, mars 1980. [Numa SADOUL]
La jeune maison de MM Valéry-Goupil-Marlson publie un roman qui dormait dans les tiroirs de Pierre Pelot et qu'il eût été dommage d'ignorer plus longtemps : Blues pour Julie (160 p., couverture de Volny, pas très belle) est certes un ouvrage difficile, tout en flash-backs, en quêtes de soi, en chuchotements, en folies sous-jacentes. Richesse de la langue, séduction des mots : l'éloge du romancier n'est plus à faire, sa valeur tranche par ses vertus littéraires, sur la plupart des auteurs français de S.F. Pourtant, ici, la S.F. est un support pour une aventure purement intérieure. D'où l'appellation de "blues" qui caractérise ce récit inracontable, un blues à partager dans les instants de grisaille intérieure.
Deux "auteurs" partent à la recherche du passé, à la recherche de Julie, celle qui ne peut exister avec ses semblables ; ces auteurs, qui sait s'ils ne sont pas une seule et même personne ? Et puis, Julie et la jument qui se nomme Julie, qu'ont-elles en commun ? Fort, le blues et un rien amer. A entendre/lire avec passion.
Le Magazine littéraire
N° 159/160, avril 1980. Antoine GRISET, page 128
Un nouveau Pelot un peu en marge de la production habituelle de l'auteur comme l'était Le Sommeil du chien. Une tentative littéraire pour parler du suicide d'une amie d'enfance, pour en reconstruire la genèse dans une sorte de dialogue de l'auteur avec lui-même. Une sensibilité à vif. On aimerait bien que cette nouvelle matière devienne plus habituelle.
Sud-Ouest Dimanche
6 avril 1980. Michel JEURY
Après Suragne [Virgules téléguidées], Pelot, son alter ego sans masque. Cette "biographie rêvée" frôle la S.F. sans y entrer vraiment. Julie ou la recréation du souvenir : un récit vibrant dans lequel le grand écrivain de science-fiction Pierre Pelot nous livre beaucoup de sa vie et de son âme. "Il se demandait comment il allait supporter tout cela après avoir écrit le mot fin une fois de plus".
Catalogue des éditions Ponte Mirone
Inséré dans Opzone, le mensuel de toutes les fictions, n° 8 bis, juin 1980 et dans Le Citron hallucinogène, n° 14, II/1980
La quête d'un homme double dans un monde en bascule, derrière votre porte.
Libération
?. Antoine GRISET (cité par les Ed. Ponte Mirone)
La sensibilité d'écorché vif de Pelot baigne, inspire tout son livre, et c'est ce qui lui donne son caractère si prenant, si attachant...
Il faut entrer dans ce roman, même si c'est parfois difficile au début ; d'abord parce que sa construction en flashes éclatés est fascinante, ensuite pour l'atmosphère étrangement prenante qui s'en dégage... Une révolte devant un monde souvent incompréhensible dont nous faisons partie, devant le gâchis d'une mort...
Fiction
N° 350, page 188
En juillet, enfin, (... une réédition est annoncée) : Blues pour Julie de Pierre Pelot, qui se présente comme un semi-inédit. Semi-inédit, car il avait déjà été publié par les éditions Ponte Mirone, juste avant qu'elles disparaissent, ôtant ainsi à ce livre toute chance de trouver son public, mais également parce qu'il a été partiellement récrit (chose que Pelot ne fait pratiquement jamais) pour cette nouvelle publication. Que les amateurs de SF pure et dure soient prévenus : ils risquent d'être surpris par ce roman qui se situe plus dans la ligne du Sommeil du chien (même coll.) ou de L'Été en pente douce (coll. Engrenage) que dans celle des space-operas ou des SF/romans noirs signés habituellement par Pelot. Il s'agit néanmoins d'un roman attachant que ses fidèles ne regretteront pas de pouvoir enfin découvrir dans une collection accessible au grand public.
La Liberté de l'Est
14 février 1995. Raymond PERRIN
Pierre Pelot : un maître reconnu de la science-fiction et du fantastique français
[...] Les romans parus dans la collection Angoisse, très prisés par les collectionneurs sont considérés par Pelot comme des "travaux" qui lui permettront d'aborder un fantastique plus contemporain à travers deux récits du genre, par exemple dans deux récits, considérés comme des ouvrages de S-F. Les deux (Blues pour Julie et Le Sommeil du Chien), ont en commun des allusions autobiographiques, noyées dans une construction éclatée mêlant faits réalistes et éléments fantastiques. C'est là que font le mieux irruption des thèmes traités d'une façon moderne , nés du quotidien le plus banal.
Dans Blues pour Julie, un écrivain reçoit la visite d'une sorte de double plus jeune que lui, Joël Dague, qui le pousse à écrire l'histoire de Julie Ablet, une jeune fille amie d'enfance... à moins que le romancier ne l'ait inventée ! Née en 1940, la fillette connaît la guerre, le refuge dans une cave. Une bombe explose et tue ses parents. Il y a, pour Julie enfant, une autre expérience traumatisante: celle provoquée par un soldat américain qui l'initie bien précocement. Beaucoup plus tard, Julie fait un mariage malheureux avec Norbert Durteau, un homme imbu de sa personne et de son titre de directeur commercial.
Une curieuse jument apparaît soudain : double de Julie ou double de la mort ? Elle est tuée sur la place du village le jour même où la jeune femme se tire une balle dans la tête. Mosaïque fragile, puzzle incertain dont les éléments se perdent, se confondent, et parfois se raccordent, ce roman construit par flashes et fragments est aussi un moyen pour l'écrivain, au-delà des allusions autobiographiques discrètes, de dénoncer la tricherie de l'écriture qui ne permet qu'à lui seul de tirer son épingle du jeu, alors que les autres n'échappent ni à la folie, ni à la mort [...].
Page créée le mardi 28 octobre 2003. |