Il se décida, car il savait très bien que l'attente, s'éternisant, risquait tout simplement de le conduire à sa perte. Il sentait bien, partout, autour de lui, l'étau invisible qui se resserrait. "Ils" l'avaient peut-être repéré depuis fort longtemps... "Ils" ne tarderaient pas à donner le signal de l'hallali. C'était à lui de prendre les devants.
Alors il prit le revolver et le glissa dans sa ceinture. Dans le même temps, Albin Misardi - alias Jerry Lamen -, tapait sur sa vieille machine : "Vous vous réveillez un matin et vous sentez immédiatement que la journée ne sera pas folichonne..." Il imaginait sans doute que ce qu'il avait écrit là correspondait directement à sa propre vie du moment. Il se trompait. Complètement. (4ème de couverture, 1977).
Il avait décidé de passer à l'action.
Agir.
Il n'en pouvait plus. L'attente était horrible et les heures coulaient avec une lenteur désespérante. Il avait dépassé le stade de la prudence et des velléités.
Agir.
Était-ce, en fait, une décision prise de sang froid ? La raison avait-elle encore son mot à dire ?
Il fallait qu'il bouge, qu'il se décide.
Il se décida. Il savait bien que l'attente, s'éternisait, risquait tout simplement de le conduire à sa perte, et il sentait partout, autour de lui, l'étau invisible qui se resserrait. "Ils" l'avaient peut-être repéré depuis fort longtemps.
"Ils" ne tarderaient pas à donner le signal de l'hallali. C'était à lui de prendre les devants.
André Demaison (c'était son nom) quitta son lit d'un bond nerveux. Un court instant, il resta debout au pied du divan défait, longue silhouette frêle et maigre, bras démesurés, doigts décharnés qui bougeaient sans cesse comme des portions de tentacules étranges animés de leur propre vie. Sa chemise était ouverte sur une poitrine creuse et dénuée du moindre duvet. Il avait un long visage, avec une mâchoire inférieure tombante, un menton plutôt lourd. La bouche était un fil, le nez pareil à une étrave d'os au profil tranchant. Il avait un front bas, et des cheveux blonds, lisses, rejetés en arrière comme une sorte de casque de métal en fibres : pas l'ombre d'une ondulation dans ces cheveux-là.
Il laissa courir un moment, autour de lui, son regard gris et dur filtrant sous les paupières mi-closes.
Autour de lui, c'était sa chambre."Va dans ta chambre, André, va donc faire tes devoirs, ensuite tu pourras jouer", disait Maman. Il y avait longtemps. Combien de temps ? Avant qu'il soit malade. Maintenant, c'était encore sa chambre. De nouveau. Maman disait : " Tu montes dans ta chambre André ?" Elle n'aimait plus tellement ça. Maman, comme les autres, le surveillait et l'espionnait. Si c'était encore Maman…
Il avait compris, à certains détails, qu'elle pouvait très bien être un agent de la police. Il n'était pas fou. Si quelqu'un n'était pas fou, sur cette foutue planète, c'était bien lui.
Magazine littéraire
Octobre 1977. Alexandre LOUS, page 69
Peut-on parler d'un renouveau du roman noir français ? On serait tenté de répondre par l'affirmative. Du moins si on tient compte du nombre impressionnant de romans qui paraissent depuis quatre ou cinq ans et qui sont signés par des auteurs comme Jean-Patrick Manchette, Raf Vallet, Jean-Alex Varoux, Serge Jacquemard, Jean Vautrin, Pierre Siniac, Emmanuel Errer, Pierre Maldonado, Demouzon, Michel Grisolia - et d'autres encore. Un double dénominateur commun : un style narratif, direct, soucieux de l'efficacité, sans digression, sans bavardage psychologique gratuit : des sujets liés à l'actualité la plus immédiate, avec en filigrane des ramifications dans le monde politique et économique. En un mot, l'omniprésence du quotidien dans ce qu'il a de plus sordide, de plus dérisoire, de plus violent, de plus impossible. Et des mots de tous les jours. Et du sexe. Et du drôle et du dingue...
En somme, après de longs détours à travers le roman policier à problème et à machination, on reviendrait en quelque sorte aux sources mêmes du genre. Celles où se sont abreuvés les grands auteurs américains, de James Cain à Charles Williams, de David Goodis à Chester Himes, de John D. Mac Donald à John MacPartland, de Jim Thomson à Richard Matheson. Et on y reviendrait, après avoir également assimilé au passage les recettes et les techniques romanesques de James Hadley Chase, de Mickey Spillane ou de Carter Brown.
Renouveau ? Peut-être. En tout cas, les temps s'y prêtent et au train dément où vont certaines choses, cette soudaine prise de conscience n'a rien d'étonnant. Elle semble du reste parfaitement correspondre à des besoins et à des périls précis et, par là-même, stigmatiser quelques errances de la société moderne. A ce titre, les romans d'un Jean-Patrick Manchette sont exemplaires. (Qui lit cette chronique et n'a pas lu Le Petit bleu de la côte ouest est prié de se précipiter chez le libraire le plus proche et d'acheter le livre aussitôt.)
Mais parler de renouveau du roman noir français laisse, bien entendu, supposer que le genre existait déjà naguère et qu'il avait déjà fleuri à une autre époque.
Témoin les récits de Jean Amila à la lin des années 50. Témoin le livre de Georges Bardawil, Aimez-vous les femmes ?, publié une première fois dans la Série Noire en 1961 (N° 641), puis réédité dans la collection Poche Noire (N° 23) et qui reparaît aujourd'hui en Carré Noir. […] Il n'est pas exagéré de dire qu'Aimez-vous les femmes ? reste un des chefs-d'œuvre du roman noir de langue française. En tout cas, peu de romans ont distillé le macabre avec autant de complaisance maligne. Beaucoup d'écrivains dont les oeuvres paraissent aujourd'hui ont dû apprécier Georges Bardawil, même s'ils ont leur univers et leur préoccupation propres. Chez Pierre Suragne par exemple, l'outrance est souvent présente, mais peut-être davantage dans ses récits de science-fiction (ceux qu'il signe Pierre Pelot plus particulièrement) que dans ses romans policiers. Les Grands méchants loufs s'arc-boutent d'emblée sur le monde quotidien, à travers une intrigue qui progresse sur plusieurs niveaux et met en scène quelques personnages dont certains semblent familiers à l'auteur. Celui entre autres d'un nègre qui multiplie des livres alimentaires pour le compte d'un auteur à succès. Sa description, ses difficultés, ses rapports avec son "employeur" forment la meilleure part du récit sur lequel se greffe le cas d'un jeune louf qui a des idées de meurtre derrière la tête. Pierre Suragne a, on le sait depuis longtemps, un réel talent de conteur et son histoire ici est fort bien menée. Elle se termine de manière un peu floue, sans chute véritable, ce qui en l'espèce ne constitue pas un handicap. Il reste que le style personnel de Pierre Suragne, ses phrases courtes qui se succèdent les unes derrière les autres, sa manie d'aller à la ligne à tout moment pour renforcer l'impact d'un mot (qui souvent d'ailleurs est un synonyme du précédent) freinent l'adhésion et gênent à tout moment la lecture.
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Page créée le dimanche 26 octobre 2003. |