Et sur Terre vint le temps du Voyage, comme le voulait la Loi des anciens, pour ceux qui étaient presque des hommes. Pour Niels-le-long, pour d'autres aussi. Vint ce temps-là, et le Voyage, qui devait mener les presque-hommes vers d'autres clans, vers d'autres femmes. C'est ainsi que Niels-le-long s'en alla, laissant derrière lui sa famille, laissant Irilia. Comme le voulait la Loi.
Et sur Vataïr vint ce jour où l'on convoqua Joli Matom dans un des bureaux de la Compagnie pour la Diffusion des Plaisirs, afin de lui fournir les coordonnées d'un nouveau safari sur la planète D'om. Pour Joli, ce n'était rien de mieux qu'un safari comme tant d'autres, qu'une chasse aux Sierks à organiser pour la satisfaction des clients. Mais bien vite, cela se transforma en quelque affreux piège aux multiples mâchoires. Un piège dans lequel il risquait non seulement de laisser sa réputation, mais aussi sa vie. Par la faute de ce sacré Lohert qui faisait partie des clients... (4ème de couverture, 1974).
Depuis ce jour où il était devenu Chasseur, chaque retour de safari était un grand moment de joie pour Matom. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'aimait pas son travail, tout au contraire. S'il aimait les retours, c'est parce qu'il pouvait alors se plonger à cœur perdu dans les délices de la planète capitale. Il était fêté et pouvait raconter mille histoires. C'était, en vérité et indiscutablement, un fameux instant.
Mais, au bout de quelques jours, l'ennui mettait la patte sur Matom. Il devenait alors très nerveux, il se traînait sans véritable but et les visages qu'il rencontrait, toujours les mêmes, ne lui semblaient plus présenter d'intérêt. Matom se mettait à attendre le prochain départ avec une impatience croissante. C'est pourquoi l'on peut dire que, s'il aimait les retours sur Vataïr, il aimait tout autant - et peut-être davantage encore - les départs.
La position sociale de Matom était quelque chose d'assez particulier. C'était même rare. Bien entendu, les safaris existaient depuis longtemps déjà, depuis, probablement, des dizaines et des dizaines d'années. Il y avait, par exemple, les chasses aux oiseaux-plongeurs de Navaéé et les chasses d'étude des planètes Voll et Voll X. Il y avait finalement de nombreuses chasses, et cela depuis longtemps, mais, sur la planète D'om, la chose était relativement récente, deux, trois années.
La découverte de ce monde remontait à dix ans, à tout casser. Et nulle part ailleurs on n'avait encore déniché ce gibier particulier, ces troupeaux de sierks en nombre élevé. C'est pourquoi les Chasseurs de sierks, les vrais, étaient relativement peu nombreux. Et c'est pourquoi la position sociale de Matom était particulière : il était Chasseur de sierks, partageant ce statut avec trois ou quatre autres privilégiés. Mais, de tous, Matom était certainement celui qui promettait le plus.
En un mot comme en cent, Matom était un Vatayéen heureux et il possédait en lui tout le potentiel de qualités et de capacités requises pour que cet état de faits dure longtemps. Il en était d'ailleurs bougrement conscient.
La connaissance pour elle-même est évidemment très louable, mais là où
il s'agit de l'homme, nous devons appliquer les découvertes de la science aux
problèmes que l'homme ne peut pas manquer de se poser" (Ashley Montagu).
("C'est sacrément bien dit"), Joll Matom Y. X.
Fleuve Noir informations
Eugène MOINEAU
La loi des clans pour la survie de l'espèce avait institué le Voyage. A un moment de leur vie, les presque-hommes devaient s'en aller vers d'autres clans, pour y vieillir et y prendre femme. Niels-le-long s'en alla. Il laissa Irilia derrière lui.
Sur Vatair, Matom était Chasseur à la Compagnie de Diffusion des Plaisirs, maître d'œuvre de gigantesques chasses aux Sierks... Et cette chasse-là devait se révéler être un piège affreux.
L'Est républicain
7 décembre 1974. Ch. FINEL
Qui sont ces Vatayéens, qui viennent "chasser le Sierk" sur la planète d'Om, en voyages organisés par la Compagnie pour la diffusion des plaisirs ? Jol Matom ménera-t-il à bien ce safari-piège avec ce maudit Lohert, introduit parmi les clients dans le but de couler la compagnie ? Niels et Irilia attireront-ils sur eux et sur les hommes la colère des dieux ? Comment va se passer la rencontre de ces êtres différents ? Autant de questions dont les amateurs de "fiction" trouveront les réponses en découvrant cette nouvelle étude imaginaire, qui oppose des êtres irréels à des terriens ancestraux.
Horizons du fantastique
N° 31, 1er trim. 1975.- Denis GUIOT, p. 70
Il en est des écrivains comme des cinéastes, peintres et autres créateurs. Certains explorent toutes les possibilités potentielles du mode d'expression choisi, remettant en jeu à chaque oeuvre tout l'acquis de leurs travaux précédents; d'autres au contraire, inlassablement, affinent, polissent le même matériau, effectuant ainsi un passionnant enrichissement thématique et/ou stylistique.
Pierre Suragne appartient à cette deuxième catégorie d'écrivains. Mais la marge est étroite entre le ressassement stérile et l'approfondissement d'un univers personnel.
Avec Ballade pour presque un homme, le lecteur reconnaît, fidèles au rendez-vous, les idées favorites de l'auteur : son anarchie sympathique, son mépris des lois, des religions, des tabous (lui permettant au passage de décrire une fort belle passion incestueuse, et de démontrer que dans notre société pétrie de tabous, les passions dites "anormales" ne peuvent qu'être vouées à l'échec) et son entêtement à rechercher dans la réalité apparente, une réalité autre (oubliée, adjacente ou parallèle).
Le thème central du roman est la juxtaposition de deux civilisations situées aux pôles extrêmes de l'évolution, sur fond de légendes signifiantes. Rien de très original, d'autant plus que l'on devine très rapidement le rapport qui unit les deux races. Mais d'ordinaire, ce que Suragne perdait en originalité, il le compensait aisément par sa puissance d'évocation (cf. Et puis les loups viendront). Ici, le microcosme ne renvoie que faiblement au macrocosme. Le roman reste prisonnier de son intrigue sans pouvoir élever le débat proposé sur l'Évolution, ce qui frustre le lecteur. L'utilisation de schèmes déjà et mieux employés (la femme initiatrice : Mécanic jungle), le réemploi plutôt systématique du montage parallèle (admirablement utilisé par ailleurs dans Mais si les papillons trichent) accentuent cette impression de frustration.
Dans une lettre adressée à S.A. Bertrand (Fiction 235), Pierre Suragne indiquait que deux de ses manuscrits avaient été refusés par le Fleuve "pour cause de complication". Nul doute qu'une sorte d'autocensure se soit alors manifestée, ne faisant de Ballade pour presque un homme qu'un intéressant produit de série.
Mais on aimerait lire ces romans refusés. Pierre Pelot pourrait-il les publier... ailleurs... ou demain ?
Page créée le lundi 20 octobre 2003. |