Ils auraient pu acheter n'importe quelle vieille ferme délabrée
: ce n'était pas ce qui manquait. Mais le hasard avait voulu que leur choix
se porte sur celle-là, perdue, isolée dans un creux de la montagne
vosgienne. Le hasard ?...
"Ils", c'était Paul et Delphine, et puis Bert. Un couple à la dérive,
plus un ami. Un vrai, un véritable ami.
Ils avaient donc acheté la maison, en commun. Ce devait être un havre de
paix, une sorte de refuge, un point de chute quand l'envie vous prend de
respirer de l'air pur, quand vous êtes fatigué de vivre à cent à l'heure.
C'était précisément pour travailler en paix à la préparation
d'un reportage télévisé que Bert avait décidé de passer quelques jours
dans cette "maison de campagne".
Sujet du reportage : Satan et la sorcellerie en France... Un reportage qu'il
ne devait jamais réaliser : on le retrouva mort, un crochet de jardinier
planté dans la poitrine... Pour tout le monde, c'était un accident...
Enfin... on fit comme s'il s'agissait d'un accident... (4ème de couverture,
1974).
Et pour tout arranger, il pleuvait.
Ce n'étaient pas de violentes averses, ni une pluie à chaudes larmes, mais, tout de même, il pleuvait. Un sale petit crachin tout gris, qui salissait les montagnes et engluait tout ce qu'il touchait, tirant la voûte molle des nuages jusqu'à presque lui faire toucher terre - il avait pourtant l'air bien fluet, ce petit crachin - une pleurnicherie.
Et puis il faisait froid.
Davantage encore à l'intérieur de l'église qu'au-dehors.
Paul frissonna. Cela naissait dans les reins et remontait au long de son dos, pour venir trembler jusque dans ses mâchoires. Depuis deux jours, il n'en finissait pas de frissonner.
Il avait froid aux pieds, bougea les orteils dans ses souliers et battit la semelle en essayant de ne pas trop faire de bruit. Il finit par se balancer d'une jambe sur l'autre.
Le prêtre se tourna vers eux, étendit les bras et lança quelques paroles indistinctes. Deux ou trois vielles femmes dans un banc à gauche de la travée centrale, répondirent. Un murmure qui pourtant résonna haut sous les voûtes gothiques.
Paul fit un effort pour ne pas claquer des dents. Il n'avait pas dormi de la nuit, bien entendu, ce qui n'était pas fait pour l'aider à lutter contre le froid humide. Il jeta un coup d'œil à Delphine, à ses côtés. Elles était engoncée jusqu'aux yeux dans son manteau de fourrure, un foulard noué sur ses cheveux blonds. On apercevait son nez - le bout de son nez - et il était rougi.
Dans le banc, juste derrière Paul et Delphine, le couple élégant soupirait de temps à autre. Un grand type aux cheveux blancs dans un trois-quarts de daim fourré ; une jeune femme aux cheveux très noirs, au petit visage rond, chaussée de bottes et vêtue d'un maxi-manteau qui ressemblait à une tapisserie.
Ni Paul ni Delphine ne les connaissaient. Ils étaient sortis d'une voiture immatriculée "75", lorsque le corbillard était arrivé devant l'église, et ils étaient entrés derrière le cercueil.
Ils étaient là. Avec Paul et Delphine. Quatre personnes, pour l'enterrement d'un ami. Quatre personnes, et puis bien sûr, le petit lot de vielles abonnées aux enterrements de tous genres.
Paul frissonna de nouveau.
Dernières Nouvelles d'Alsace
20-21 octobre 1974. Daniel WALTHER
Soucoupes volantes et maisons hantées
Quant aux flots d'encre du Fleuve Noir, ils nous apportent deux ouvrages très lisibles : un roman de science-fiction d'Alphonse Brutsche, qui porte un beau titre évocateur : Le Temps cyclothymique, et un récit surnaturel de Pierre Suragne (dans la collection Horizons de l'au-delà, une nouvelle née de cette maison tentaculaire) : Suicide.
[…] Le roman de Pierre Suragne renoue avec bonheur avec le thème de la "maison qui tue". Suragne est un conteur de talent, à l'imagination jamais prise en défaut. Suicide, si mes souvenirs sont exacts, est son 51e livre publié.
Horizons du fantastique
N° 30, 4ème trim. 1974. Marianne LECONTE, p. 67
Une maison hantée par tous les habitants qu'elle a abrités et dont elle a malgré elle accumulé les haines et les souffrances se venge sur ses nouveaux maîtres.
Tout l'art de Suragne est d'appâter le lecteur en commençant son roman comme une histoire policière par une mort bizarre. Puis quand le lecteur s'aperçoit que le thème n'est au fond pas tellement original, que l'histoire débouche sans surprise sur un fantastique très 19° siècle, c'est trop tard. Entraîné par un style alerte, accroché par l'étude psychologique de ce couple qui se déchire à pleines dents dans l'atmosphère humide et mélancolique d'une petite vallée vosgienne plus vraie que nature, il dévore le livre jusqu'au bout.
Page créée le dimanche 19 octobre 2003. |