Il faudrait, finalement, y regarder à deux fois avant d'abandonner un enfant, sous prétexte qu'il gêne et qu'il est un fardeau. Il faudrait y regarder à deux fois avant de laisser un enfant en pension dans un orphelinat. Surtout quand l'enfant s'appelle Duz, surtout quand il n'a guère plus de huit ans.
Car c'est parfois bizarre un enfant de huit ans qui s'appelle Duz. Et un orphelinat, ça cache parfois quelque chose d'abominablement terrifiant… (4ème de couverture, 1973).
A un moment, Duz en eut assez de regarder défiler le paysage. Il décolla son front de la vitre de la portière et se laissa tomber sur la banquette.
- Est-ce que tu as fini de sauter comme ça ? dit le Type.
Sans même tourner la tête, ni jeter le moindre coup d'œil dans le rétroviseur. Rien. Ce gars-là devait avoir des yeux derrière la tête, ou quelque chose comme ça. On ne pouvait rien faire, sans qu'il le sente dans la seconde et se mettre à râler.
Un instant, Duz joua à se demander s'il n'était pas un Extra-Terrestre, avec des dons particuliers, comme on en trouve dans les bandes dessinées. De ces types qui viennent d'ailleurs, de la planète Marfol par exemple, et qui se font passer pour des Terriens, mais tout ça pour faire des coups en douce et essayer de coloniser la planète - la Terre - et jouer des sales tours autant qu'ils le peuvent. C'était presque amusant d'imaginer le Type en Extra-Terrestre. Cela aurait pu devenir tout à coup très intéressant. Cependant, Duz n'avait pas le cœur à l'amusement.
Il y avait, déjà, ces habits du dimanche qu'on lui avait fait mettre au matin. Un mardi. Les habits du dimanche, ce n'est pas précisément drôle, en soi. Quand c'est vraiment dimanche, ça passe encore : on se fait une raison, on se dit que les choses sont ainsi écrites...
Mais un mardi !
Et qui plus est : un mardi de juillet, avec ce soleil !
La cour derrière la maison, devait être parfaitement agréable dans toute cette lumière. L'ombre des grands marronniers, fraîche et tremblante à souhait. Le tas de sable et de terre idéalement chaud.
Il se demanda ce qu'allait faire Loïs, à présent. Probable qu'il s'ennuierait pendant quelques jours, et puis il trouvait de nouveaux copains. C'était sûr - on avait d'ailleurs assuré à Duz que la chose se passerait ainsi pour lui. Pas de raison qu'on ait menti, pas vrai ?
Ce qu'il y avait de certain, c'est que lui, Duz, de son côté, il n'était pas prêt d'oublier Loïs. Il l'avait juré. Ils s'étaient d'ailleurs piqué les doigts avec une épingle, et ils avaient mélangé leur sang. A la vie à la mort.
Duz ne reverrait pas la cour avant longtemps. Peut-être jamais. Ni la cour, ni le tas de sable et de terre dans lequel ils construisaient des forts et des galeries pour leurs soldats de plastique. Ni les marronniers, ni la maison, ni les rues, les collines dans lesquelles ils allaient construire des cabanes et jouer aux Indiens. Ni la chambre aux murs tapissés de photos et de posters découpés dans "Spirou".
Ni rien.
Comment ce serait, là-bas ?
Fleuve Noir Informations
1973
Duz, c'est un petit garçon de huit ans à l'imagination fertile. Ce n'est pas grave, en soi.
Ca le devient le jour où sa mère, qui désire se remarier, le confie à un orphelinat. Il y a de tout, dans les orphelinats. Toutes sortes de graines. Il y a aussi dans le même bâtiment, ces vieux de l'hospice, tous un peu détraqués.
Et lorsqu'il sortira, il ne sera plus tout à fait Duz. Mais déjà quelque chose qui ressemble terriblement à un monstre.
L'Année 1982-1983 de la Science-Fiction et du fantastique
Dirigée par Daniel RICHE, 1983, page 126
Suragne plus à l'aise dans la S.F. que dans le fantastique.
La Liberté de l'Est
22 octobre 1997. Raymond PERRIN
Pierre Pelot : come back puissance 4
En attendant la parution du deuxième tome de sa saga préhistorique prévue début 1998, Pelot offre à chacun l'occasion, grâce à des rééditions automnales, d'apprécier cinq facettes de son talent multiforme.
[...] Duz est un enfant de huit ans, abandonné par sa mère un été dans une colonie vosgienne. Il passe des larmes à des sentiments plus forts et sombre peu à peu dans le vice le plus noir, sans espoir de rémission. Un des plus sombres romans de Pelot sans doute, parce que c'est le seul où un enfant, abandonné au point d'incarner le mal, exclut tout espoir de salut. [...].
30 juin 2004. Raymond PERRIN
Ne laissez pas vos enfants seuls !
Dans les romans fantastiques de "Suragne" publiés au Fleuve noir, les adultes ne sont pas les seuls êtres victimes de puissances maléfiques. D'une façon plus inattendue, des enfants sont le jouet de ces forces néfastes.
Parce que sa mère, accompagnée par le Type qu'il déteste, l'abandonne, un jour de soleil de juillet, dans une colonie de vacances vosgienne, Luc, ou plutôt Duz, âgé de huit ans, se sent délaissé et mal aimé. Ce sentiment se renforce au contact de Coupe-Choux, le garçon roux qui, après l'avoir introduit dans sa bande, lui confie que cet établissement est surtout une sorte d'orphelinat dont on ne sort jamais définitivement.
L'enfant est d'autant plus désespéré, qu'à côté, il y a les vieux et les "dingues" de l'asile aux secrets effrayants. Après les larmes viennent des sentiments plus forts et plus amers surtout quand Duz, par l'entremise de Coupe-Choux, fait la connaissance de La Noblesse, un vieux jeteur de sorts "un peu sorcier". Après l'échec des prières ferventes "pour demander la disparition du type", le nouvel amant de sa mère, l'enfant sombre dans "le vice le plus noir", par exemple cette fameuse nuit où il assiste, écœuré jusqu'au vomissement, dans une rivière, à la souillure humiliante d'une jeune fille débile, quand "une grappe enchevêtrée d'enfants" barbouillent des fromages "petits suisses" sur sa chair offerte aux gestes et aux regards fous. Et puis, il y a la mort du garçon Sécaté dont il se fait le complice lors du crime parfait perpétré par Coupe-Choux. Dans le cachot où on l'enferme, il est entraîné dans le monde "des lémures, des larves, des goules et des vampires". Peu à peu, surtout après l'absence insupportable de sa mère, le jour d'une visite pourtant promise par une carte postale, il va mettre en action ses étranges pouvoirs et devenir le messager de forces diaboliques, criminelles et vengeresses.
Pour une fois dans l'œuvre de Pelot, parce qu'il n'a pas reçu sa part de tendresse, parce que les adultes n'ont pas su ressentir ses appels de détresse, un enfant sombre dans le mal, sans espoir de rémission.
Page créée le mercredi 15 octobre 2003. |