N.33
N.37
Le début : C'était le jour même de l'emménagement en
banlieue. Le samedi, en fin de matinée.
La veille, ce salaud de Paul Dropt, au bureau, n'avait pas été le dernier à
lui proposer son aide, comme l'aurait fait un véritable ami (s'il en avait eu
un seul), et bien malin qui eut décelé derrière son sourire de faux-jeton
toute l'infatigable opiniâtreté qu'il dispensait jour après jour au service
de son arrivisme. Ce saligaud de Paul Dropt. Quant aux autres, il s'étaient
contenté de fausses propositions, style : "Si j'étais pas occupé, je
serais volontiers venu ye donner un coup de main, George, c'est vrai !"
N.39
Fille de papier : à bien y réfléchir
N.40
N.41
Le début : Quittant la fête aux alentours de deux heures du matin, juste après que les serveuses eurent servi le dessert, au moment où les premières grosses blagues commencèrent à circuler, en provenance de l'aile droite de la table en U où s'étaient regroupés les boute-en-train, il avait prétexté une migraine. A voir la tête de ses voisins, voisines et vis-à-vis, c'était flagrant que le malaise n'était vraiment pas pris au sérieux - peut-être cela valait-il mieux, au fond, qu'on le jugeât bêcheur et menteur plutôt que femmelette délicate.
N. 42
N.45
Où vont les hommes qui marchent sous l'écorce ?
Le début : Ici, désormais, la bête est couchée sous terre. Elle se repose.
Jadis, elle a grondé, craché ce qui n'était que sa douleur à vivre, pas même
de la colère ; elle a montré les crocs, fait le gros dos, et ses ébrouements
aspergeaient l'alentour de flammes et de rocs liquides.
La bête a fait sa place, grattant l'emplacement de sa couche, tournant sur
elle-même, comme un chien sans nom qui se prépare au repos. Elle a plié le
jarret, une longue et terrible fatigue l'écrasait, il lui fallait du sommeil
pour continuer de vivre.La bête venait de loin, des entrailles du monde,
presque du bout du temps.
N.48
Rue-du-Bac : Le Poudrier de Laetitia
N.49
Le début : Depuis longtemps. Il est venu souvent, il
reviendra, ce n'est pas son genre de manquer le rendez-vous. Ce n'est pas encore
le jour, mon impatience prend de l'avance, c'est pas sa faute, c'est la vie,
comme on dit quand on ne sait pas en débrouiller les nœuds et plutôt que de
se mettre en rage pour rien. C'est la vie. Haut les cœurs et les chœurs !
J'attends du présent et du passé à la fois. En l'occurrence, ça se mélange.
N.50
N.51
Le début : C'aurait pu être un joli jour de mai. Sauf que
le mois de mai n'existait pas encore. Les jolis jours, oui déjà.
Cela date de bien avant la dernière pluie. Dans les 500 000 ans, au bas mot.
Encore que les ans n'existaient pas davantage que les mois de mai - il y avait
des saisons qu'on nommait allez savoir comment, si on les nommait.
"On", c'est-à-dire les hommes. Car c'étaient des hommes, et des
femmes. Des costauds, le regard sombre sous l'arcade sourcilière en visière,
le front fuyant, la nuque épaisse et la mâchoire à l'avenant. Avec dans les
1200 cc de volume crânien pour se faire des idées. C'était comme ça. Et
ceux-là s'appelaient les Nôrm.
N.55
N.57
Le début : Les premiers flocons voletaient dans la lumière jaune des lampes de rue quand Jami sortit de la maison du docteur. C'était encore le jour quand il était entré. Il remonta machinalement le col de sa vieille canadienne, recoiffa sa casquette et se mit en marche, à pas lents, un peu plus lourds encore que d'ordinaire, vers le parking. Le chien couché dans la voiture, à sa place sur sa couverture sur le siège du passager, leva le nez. Jami se glissa derrière le volant et reprit son souffle, puis il referma sa portière en laissant échapper un long soupir.
N.58
Le début : En fait, la première fois que je l'ai vue, en
plein mois de mai, j'en suis tombé forcément raide dingue. Comme les copains.
Ni plus ni moins, pas mieux, pas plus mariolle.
Toute l'école en tomba raide dingue, les garçons en tout cas - sans doute
aussi les filles, parce qu'on ne tarda pas à dire qu'elle n'était pas hostile
aux minou-minous et que d'ailleurs elle avait été ramassée par Ladidi,
si on se souvenait bien. Tu parles qu'on se souvenait bien. "Ramassée"
n'est sans doute pas le bon mot. Draguée ? Levée ? En plus si c'était le cas,
une histoire entre filles, laquelle des deux avait dragué l'autre ?
N.59
Un jour, ils lèveront les yeux
Le début : Le changement, c'est qu'ils se tiennent debout,
dressés sur leurs pattes antérieures, et qu'ils marchent. Ca ne date pas
d'hier - ce qui n'est qu'une façon de parler : en regard de l'évolution de la
vie sur terre, c'est encore aujourd'hui. Deux ou trois millions d'années. Rien.
Mais ce changement-là, celui-là parmi tant d'autres, s'est insinué dans la
permanence des changements qui font bouger et rouler les manifestations du
vivant de flux en marées, d'effondrements en soulèvements.
Vertiges, sans doute. De ces vertiges qui vous attirent implacablement.
N.60
Le début : Le bar de l'hôtel a commencé de se remplir un
peu avant minuit. D'abord sont arrivés les plus frais, qui se sont dispersés
dans la salle et ont investi les fauteuils et les tables basses, puis les
moyennement clairs qui se sont juchés sur les tabourets et accoudés au bar, et
enfin les naufragés louvoyant au sonar, cherchant quelque récif où s'arrimer
et finalement squattant un accoudoir de fauteuil, une périphérie de groupe à
même la moquette, ou encore les abords du billard. Le brouhaha enfumé était
compact, le grand écran qui diffusait des clips en fond de salle flottait dans
la brume, à peine audible.
- Où est passé David ? demanda Patrice, à un moment.
N.61
La Vie sur Terre, suivi de Entre tous les vivants
Le début : Je suis venu vous raconter une histoire. Une
longue histoire, étrange et formidable, fantastique.
C'est la plus grande histoire du monde. L'histoire de toutes les histoires.
Personne n'en connaît encore le commencement exact. En verra-t-on un jour la
fin ? Nous sommes tous dans le ventre de l'histoire, puisque c'est l'histoire de
tous les êtres vivants. Des plantes comme des animaux.
N.62
Septembre, un peu, beaucoup (Vosges)
Le début : Les étés des temps enfouis, lui semblait-il,
avaient une autre gueule. N'étaient pas pourris, il n'y pleuvait jamais plus
que de saison. Les coups de soleil avaient bonne mine et les guêpes n'étaient
pas tueuses. Les odeurs rampaient et flottaient partout. Les derniers jours d'école
prenaient des allures de folie, le maître avait des conversations normales et
quand il vous adressait la parole ce n'était plus dans l'unique attente de la réponse
juste.
Ca lui était venu comme une maladie soudaine. La varicelle. La jaunisse. Sans
les symptômes ni la période trouble d'incubation. Une rage de dents, plutôt.
Tout simplement, il avait été terrassé par sa beauté. Un jour, il l'avait
vue.
Page créée le lundi 26 octobre 1998. |