La petite histoire... Ce roman n'est paru qu'en feuilleton dans la presse.
Nathalie se sent à bout, elle tente de se calmer et n'y arrive pas.
Hier matin, elle était si heureuse. Ses problèmes n'étaient pas résolus, mais elle savait ce qu'elle devait faire et, malgré les difficultés, envisageait l'avenir avec optimisme. En passant devant le piano du salon, elle s'était assise sur le tabouret et avait joué une valse de Chopin qui lui rappelait tant de souvenirs. Virginie, l'employée de maison, était entrée et avait paru très surprise. Sans doute imaginait-elle que dans ce milieu riche et snob le Pleyel avait un simple rôle de décoration et que personne ne s'en servait ! Elle était sortie sur la pointe des pieds en murmurant :
- Je ferai le ménage plus tard...
L'après-midi, elle était allée à un vernissage, un peintre exposait des toiles conçues avec des signes cabalistiques étonnants et qualifiés de géniaux depuis peu !
C'était le genre de manifestations où des femmes comme elle devaient se rendre ; bien entendu elle rencontra sa grand-tante qui lui avait envoyé l'invitation.
- Je suis ravie que tu soies venue, tu pourras en parler à ton mari, attaqua-t-elle aussitôt, ce n'est pas pour lui faire des reproches, mais il n'est pas très au courant de ce qui se passe dans le monde artistique.
- Il a tellement de travail. Il faut reconnaître que malgré la crise les affaires marchent bien.
- C'est vrai. Comme je suis actionnaire, ajouta-t-elle en riant, je surveille cela de près.
Reprenant son sérieux, elle lança, non pas une rosserie, mais ce qu'elle considérait comme la vérité.
- Entre nous, ma chérie, je reconnais qu'il réussit, mais pour le caractère, c'est difficile de faire pire.
Nathalie soupira, effectivement Sylvain se mettait souvent dans des colères épouvantables. Elle ne pouvait le nier, mais répliqua :
- Il n'a plus une minute à lui, il est surmené.
- Dans tous les cas, son physique n'en souffre pas, il est toujours aussi beau.
Elle ne le dit pas, mais il était évident qu'elle lui attribuait de nombreux succès féminins !
Nathalie rentra chez elle, un peu déçue par l'exposition et les allusions de la vieille dame. Mais, en définitive, tout cela n'était pas grave. C'était durant la soirée que la catastrophe était arrivée.
Il y avait juste vingt-quatre heures.
Et maintenant elle attend le retour de Sylvain. Elle se répète qu'il est impossible qu'il soit au courant. Si c'est une coïncidence et que son mari renonce à son projet, elle aura eu plus de peur que de mal, mais s'il s'entête, cela peut créer un drame.
Elle qui ne fume plus prend une cigarette dans le paquet sur un guéridon puis la remet dedans aussitôt.
D'un instant à l'autre, il va donc rentrer, il faut qu'elle ait un objet entre les mains afin de se donner une contenance. Elle prend le magazine et cherche un crayon dans le secrétaire ; elle n'en voit pas et fouille les tiroirs avec fébrilité. Elle en découvre un sous des papiers, ouvre la page des mots croisés et se donne un air affairé. Elle a conscience de la fixité de son regard, de ses traits défaits, de ses doigts crispés; ce n'est pas souhaitable que Sylvain la voie ainsi dès son entrée. Elle semble être plus près de quarante ans que de trente et n'a pas eu le courage de se maquiller même légèrement comme d'habitude. Elle tourne son fauteuil de l'autre côté.
Page créée le dimanche 8 août 2010. |