Quand il réalisa qu'il avait affaire à un fakir, il prit une planche traversée d'énormes clous et coucha l'homme dessus.
Puis il s'empara d'une planche qu'il posa, pointes en bas, sur sa poitrine. Il venait de créer le sandwich humain. (4ème de couverture, 1990).
Comme chaque jour à la même heure, Phileas Fogg quitta sa demeure de Saville Row pour aller déjeuner au Reform Club.
C'était un homme grand, beau, distingué, ponctuel et minutieux, ne se départant jamais d'un flegme de bon aloi. Il possédait aussi deux autres particularités : il était énigmatique et richissime. Après son repas, il lisait les journaux et prenait bien soin de ne pas faire de bruit en tournant les pages, puis jouait au whist.
En fin de journée, il aimait à se réunir avec trois ou quatre de ses amis dans un petit salon capitonné où ils pouvaient aborder tous les sujets qu'ils voulaient sans risque d'être entendus. Ils discutaient de la politique du gouvernement de Sa Gracieuse Majesté la reine Victoria, de sa haute finance, des expéditions lointaines ou même, plus simplement, de la vie quotidienne à Londres en cette année 1872.
C'est ainsi qu'un jour où l'on avait trouvé sur les bords de la Tamise, le cadavre d'une femme mutilée, Gauthier Ralph lança avec son autorité habituelle :
- Le coupable sera pris !
- Certainement pas s'il est intelligent, répliqua aussitôt Phileas Fogg.
- Dans tous les cas, s'il récidive, il sera découvert, fit remarquer Andrew Stuart, approuvé par John Sullivan.
La discussion fut longue et passionnée Fogg, seul de son avis, finit par affirmer :
- Je parie ce que vous voulez que l'on peut torturer ou tuer autant de gens que l'on souhaite sans être inquiété.
Il y eut un silence interminable. Les mots "je parie ce que vous voulez" prenaient une dimension exceptionnelle, car Fogg parlait toujours sérieusement et sa fortune était inépuisable ; de plus, les trois amis faisaient partie des hommes les plus riches du Royaume-Uni et augmenter leur capital était l'unique but de leur existence. Tous se passionnaient pour les paris et risquaient, chaque année, des sommes considérables. Mais cette fois-ci se dressait un obstacle majeur, fruit des leçons de morale subies à Oxford ou Cambridge.
John Sullivan prit la parole pour résumer la pensée de chacun :
- Nous ne pouvons pas laisser tuer…
Il reprit sa respiration pour donner encore plus de force aux mots qu'il allait prononcer :
- Des Anglais !
- Non, quelle horreur ! Je n'y ai jamais songé, voyons, vous me connaissez mal… Il y a tellement d'étrangers sans intérêt ; quelques-uns de plus ou de moins, cela ne tire pas à conséquence.
- Vue comme cela, l'affaire se présente différemment.
La discussion continua très animée ; Gauthier Ralph estimait qu'il était impossible d'entraîner un homme… surtout pour le torturer, quand on ne pratique pas sa langue ; cependant il reconnaissait que certains pays très primitifs devaient être plus propices que d'autres à une opération de ce genre.
Andrew Stuart fronçait ses sourcils broussailleux en faisant des calculs qui semblaient ardus.
- A mon avis, tuer plus de vingt personnes sans être soupçonné est une tâche surhumaine… même pour un Anglais.
- Sauf si l'on y passe des années, ricana Sullivan.
Phileas Fogg fit un large geste du bras pour balayer leurs objections :
- Sur le principe vous êtes d'accord, n'est-ce pas ?
Le devoir du voyageur est de raconter fidèlement ce qu'il a vu et entendu ; il ne doit rien inventer mais aussi il ne doit rien omettre (Chateaubriand).
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Page créée le mardi 9 décembre 2003. |