Lorsque j'ai pris pour engagement vis-à-vis des lecteurs de ne passer sous silence aucun des tourments auxquels l'homme est en proie, vous conviendrez qu'il m'était difficile de ne pas aborder un point épineux s'il en est un : le dédoublement de personnalité.
Éric Verteuil ne nous ménage pas, ne se fourvoie pas en de viles complaisances, il va au fond des choses sans craindre de nous effrayer (Patrick Siry, 4ème de couverture, 1975).
La petite histoire... Alain Bernier a longuement travaillé à une thèse sur les Incas qu'il n'a jamais soutenue... Il s'en est souvenu lors de l'écriture de ce roman.
Ma sœur se dresse au-dessus de moi.
Dans ses mains elle tient un poignard dont le manche représente un serpent.
- Il faut que tu meures. Il le faut, crie-t-elle.
La lame s'abat sur moi.
Cette scène, je l'ai vue, revue si souvent. D'abord, petite fille ; ensuite à intervalles irréguliers. Toujours le soleil brillait et jamais je n'étais assoupie ; les objets qui m'entouraient étaient bien réels, le visage de ma sœur était d'une précision parfaite et sa voix résonnait clairement à mes oreilles.
A chaque fois je faisais des efforts pour chasser cette image grimaçante, mais il me fallait toujours subir le spectacle de ma propre mort.
Tout avait débuté, il y a dix ans, un jour ou je jouais avec des enfants de mon âge dans la pinède, près de la mer. Ils s'étaient cachés et je les cherchais derrière les buissons épineux ou, plus loin, parmi les arbres. Tout à coup, ma sœur Colette avait surgi devant moi et j'avais été d'autant plus étonnée que je la savais en Angleterre pour la durée des vacances. Avec horreur, je réalisai qu'elle voulait me tuer et je me mis à hurler. Une de mes camarades accourut et, gênée, je lui expliquai que je m'étais tordu la cheville ; comme je marchais sans difficulté, elle se moqua de moi et le jeu reprit. Pendant tout l'après midi, j'eus le sentiment qu'un malheur allait arriver et que je ne pourrais pas l'empêcher. Quant à la nuit suivante, je ne peux y songer sans frémir…
Nous étions en vacances sur la côte varoise, mon père avait été rappelé à Paris pour son travail, ma sœur aînée, Colette, comme je viens de le dire, était au pair en Angleterre ; j'étais donc le seul avec ma mère dans le mas loué pour l'été. C'était une vielle maison de couleur safran, entourée de pins et située à proximité de la mer. Après le dîner, contrairement à mon habitude, j'avais insisté pour ressortir et aller me promener sur la plage.
- Ma petite Céline, avait dit ma mère, il faut être raisonnable. Tu as nagé toute la journée, tu as fait deux heures de tennis, il est temps d'aller te coucher.
Moi, si calme, si tranquille, je m'étais mise en colère, ce qui m'avait valu une paire de gifles. Ma mère, qui ne m'avait jamais frappée, avait sans doute été aussi bouleversée que moi ; nous étions montées en silence et j'avais gagné ma chambre sans dire un mot. Je m'étais déshabillée et couchée aussitôt.
Un peu plus tard, une vieille femme était entrée, m'avait fait signe de me taire et de la suivre ; je n'avais éprouvé aucune crainte car elle avait un sourire rassurant. Les marches de l'escalier avaient craqué - de cela j'en suis sûre - et nous étions restées immobiles un long moment.
Dans le jardin, la vieille avait murmuré :
- On ne voit rien mais ne t'inquiète pas, je te guiderai.
- Vous n'êtes pas du pays, comment ferez-vous pour trouver votre chemin ?
- Je connais la région mieux que tu ne penses.
Immédiatement elle me fit entrer dans une pièce fraîche après que nous eûmes grimpé deux ou trois marches, et pourtant la maison la plus proche était à plusieurs centaines de mètres… Je m'assis dans un grand fauteuil et regardai autour de moi, j'étais dans un salon blanc au mobilier très moderne ; elle ferma la porte et, malgré tout, je n'éprouvai aucune crainte.
- Maintenant nous allons au Cuzco.
- Dans la cordillère des Andes !
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Page créée le dimanche 7 décembre 2003. |